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Dominique de Villepin: "Nous sommes tous en exil en France, quand nous voyons tout ce qui s’effondre autour de nous"

Deuxième partie de l’interview donnée par Dominique de Villepin à Frédéric Taddei pour le numéro de janvier du magazine GQ.

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Frédéric Taddéi pour GQ: Vous semblez comme en exil…

Dominique de Villepin: D’une certaine manière, nous sommes tous en exil en France, quand nous voyons tout ce qui s’effondre autour de nous. Je suis surtout bouleversé par la crise, la gravité de ce qui va nous arriver collectivement, la souffrance de tant de nos concitoyens.

Comme tous les dirigeants politiques européens qui s’agitent aujourd’hui ?

Pas du tout. Je m’échine à expliquer que lorsqu’on veut quelque chose, il faut aller au bout. Il y a deux stratégies qui s’affrontent : la première, celle du « leadership », voudrait qu’on s’oppose à l’Allemagne pour lui faire comprendre que l’objectif qu’elle défend est tout à fait louable pour un pays financièrement vertueux, mais qu’il n’est pas réaliste compte tenu de ce qu’est l’Europe du Sud. On ne fera pas avaler à la Grèce le plan qu’on veut lui imposer, ce n’est pas réaliste, la Grèce va craquer. S’il fallait défendre une stratégie qui oblige l’Allemagne à obtenir en dix ans ce qu’elle veut obtenir dans deux ans, trois ans, y compris pour l’Italie et pour la France. Cette stratégie a échoué. L’Allemagne est têtue. Et Nicolas Sarkozy n’a pas réussi à faire passer le message. Du coup, c’est la deuxième stratégie, celle de l’alignement qui a prévalu. Or si on choisit l’alignement, il faut être vertueux jusqu’au bout, se dégager de cette Europe du Sud qui risque de nous entraîner au fond de la piscine. Imposer un plan à 6 milliards d’euros, c’est absurde. Il faut un plan à 20 ou 30 milliards d’euros, qui projette vers un ailleurs, un effort collectif majeur. D’où mon idée de rassemblement et de gouvernement d’union nationale. Mais nos dirigeants n’aiment pas la crise, ils ne sont pas fait pour ça. Or nous avons une chance historique de nous dépasser. Il faut la saisir.

« Du sang, de la sueur et des larmes » comme disait Churchill !

Oui, mais il faut quand même que je rappelle qu’en 2007, lorsque je quitte Matignon, je laisse une France à 2% de croissance, 600 000 chômeurs en moins, une baisse en deux ans de la dette de 50 milliards d’euros, et François Fillon déclare en arrivant qu’il est à la tête d’un Etat en faillite ! De plus, il « ouvre » la dépense publique dès 2007, avant même la crise, puis pendant trois ans comme on ne l’a jamais fait dans les trente dernières années. C’est là où je reconnais que je n’ai aucune capacité, aucun talent, dans ce jeu qui mange la politique.

La communication ?

Pas seulement.

De la légèreté ?

Non, car la légèreté est presque une vertu. Plutôt de l’indifférence, de l’inconsistance, de l’inconséquence.

N’avez-vous pas quand même une certaine satisfaction narcissique à penser « seul contre tous » ?

J’aime la solitude, oui. J’ai été élevé dans le secret de l’Etat, avec tout ce que cela implique de capacité à assumer seul. Mais, dans cette période-là, je n’ai vraiment pas le goût d’être seul à penser ce que je pense. Solitude oui, mais il ne s’agit pas de cette solitude qui vous enferme…

Le fait d’être physiquement très grand (1m93, ndlr) ne vous a-t-il pas isolé ? Quand je vous voyais avec Jacques Chirac qui est grand aussi, je me suis dit : « Eux deux, ils se sont trouvés ». Cela dit, Giscard et Chirac, qui étaient grands tous les deux, ne se sont pas trouvés.

Différent oui, isolé non. C’est plutôt une histoire d’itinéraire. Je vous donne un exemple : j’ai toujours eu beaucoup de sympathie pour certaines idées de Philippe Séguin, et son itinéraire propre, la Tunisie, moi le Maroc,le foot… mais Philippe Séguin m’a toujours considéré comme un « joueur de golf ». Dans son esprit, être grand, mince, avec une particule à son nom, non élu au suffrage universel, je ne pouvais être qu’un « joueur de golf ». Jusqu’au jour où on s’est retrouvés en tête-à-tête lors d’un déjeuner et qu’il s’est rendu compte que ce n’était pas ça !

Est-il vrai que vous étiez le seul à 14 ans, au lycée français de Caracas, au Venezuela, à avoir fait grève en mai 1968 ? Bizarre pour un futur gaulliste, non ? Nicolas Sarkozy, lui, défilait sur les Champs-Elysée avec son grand-père le 30 mai 1968 !

A l’époque, je ne comprenais pas qu’on puisse continuer à aller en cours, faire comme si de rien n’était, alors que la France était à feu et à sang. Je suis d’une famille gaulliste avec un père qui a gardé l’oreille collée au transistor tout au long de sa vie à l’étranger. En 1968, on entendait : « la rue Gay-Lussac en flammes… » Je ne comprenais pas qu’on puisse faire autre chose alors que le pays brûlait.

Je reste sur l’idée de la solitude. A l’ENA, vous étiez proche de qui ? Vous êtes de la même promotion que François Hollande, Ségolène Royal, Renaud Donnedieu de Vabres…

Mes amis à l’ENA étaient en dehors de la politique à l’époque, comme Frédérique Bredin, très proche, une grande amie. J’ai beaucoup travaillé avec Frédérique comme avec ma sœur. On avait un petit groupe de travail, comme ça se faisait beaucoup à l’ENA. Mais j’étais beaucoup moins militant que ne l’était François Hollande.

Quel souvenir gardez-vous de lui ?

Quand on s’est croisés dans les coulisses d’une conférence à Strasbourg, il y a quelques mois, on s’est retrouvés exactement comme à l’époque de l’ENA. On a parlé avec une totale franchise.

Et vous vous tutoyez ?

Bien sûr, sans fard !

Est-ce qu’à l’ENA il n’y avait pas l’idée de compétition ? Ne serait-ce que pour le rang de sortie ?

Paradoxalement, moi je n’ai jamais été en compétition avec personne…

Là aussi, c’est de l’orgueil !

Non, mais je ne cherche jamais à me battre contre quelqu’un. Je joue l’objectif, pas l’homme. C’est pour cela que j’adore le foot et que je joue au rugby aussi. Ou alors un sport très solitaire comme la course à pied : on se bat pour se dépasser. Mais mon vrai plaisir est collectif, un idéal collectif. De ce point de vue-là, j’appartiens vraiment à une famille de militaires, il faut un combat pour quelque chose et pas juste une compétition pour gagner. Ca a toujours été mon problème en politique. C’est pour cela que je ne me suis jamais présenté à une élection. D’ailleurs, Jacques Chirac a été trop content que je ne vienne pas taper à sa porte en lui disant que j’allais être candidat à une circonscription ! Jamais il ne m’a proposé sa succession en Corrèze alors que je suis limousin, jamais aucune circonscription, rien ! Pour une raison simple : je lui étais trop utile 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

Source: Interview de Dominique de Villepin par Frédéric Taddéi (GQ du mois de janvier 2012)

3 Commentaires

  1. jany

    Intéressant cet interview, on apprend beaucoup sur la vie de DDV, le plus profond de ses pensées et sur son idéal politique.
    On voit qu’il savait contester même seul en 1968 à Caracas loin de Paris. Et en même temps, il sait échanger avec autrui, Philippe Séguin, ou encore F. Hollande.
    Ancien premier ministre et fier de son bilan, Il n’hésite pas à montrer ses dents, sans vergogne ,contre F.Fillion, DDV ne craint pas d’afficher en public ses opinions.
    Bravo Mr de Villepin, on sent là l’attitude d’un homme d’Etat responsable.

  2. georges

    L’exil… c’est exactement cela… l’impression d’être en décalage constant avec les pseudo-valeurs individualistes qui nous sont imposées…. Il s’agit donc de nager à contre-courant afin de retrouver l’autre rive : celle où le vivre ensemble et l’esprit de responsabilité sont la clé de voûte de la société…. Le courant dominant est certes puissant, mais n’oublions pas que DDV a un ascendant Poissons, cela pourra peut-être servir….

  3. charles

    « Du sang, de la sueur et des larmes » comme disait Churchill !
    Oui certes.
    But DDV :
    « La difficulté attire l’homme de caractère, car c’est en l’étreignant qu’il se réalise lui-même. »
    « Les choses capitales qui ont été dites à l’humanité ont toujours été des choses simples. »
    « Prenez invariablement la position la plus élevée, c’est généralement la moins encombrée. »
    « Le caractère, vertu des temps difficiles. »
    « La véritable école du Commandement est la culture générale. »
    « L’autorité ne va pas sans prestige, ni le prestige sans l’éloignement. » Charles de Gaulle

    « La fin de l’espoir est le commencement de la mort. »

    Charles de Gaulle

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