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Dominique de Villepin : « Il n’y a pas de guerre juste »

Que pensent les candidats à la présidentielle de la liberté, de la nature, de l’Histoire… ? Pour un livre (1) à paraître le 7 mars, François Gauvin, collaborateur au Point, a rencontré, de novembre à fin janvier, les candidats à la présidentielle pour qu’ils se livrent à un exercice inédit : répondre à des questions strictement philosophiques.

Dominique de Villepin s’est interrogé sur les rapports de la morale et de la politique.

François Gauvin (Le Point): L’exercice du pouvoir ne met-il pas le politique à distance de la réalité ?

Dominique de Villepin: Oui. L’exercice du pouvoir peut isoler, il peut placer l’homme politique dans une bulle et le tenir à distance de la cité. Ce qui évidemment peut poser un problème de légitimité : quand le peuple a l’impression que ses dirigeants sont au-dessus de la cité et de ses lois, on crée une « caste ». La légitimité devient alors contestée, et d’autres au sein de la cité deviennent plus légitimes pour les remplacer. L’élection est une garantie, mais ce n’est pas la seule. Il faut en permanence des contrepoids pour faire que cette légitimité n’aboutisse pas à un reniement de la responsabilité politique. Il faut un souci constant de l’homme politique d’aller et de venir pour caler son regard afin d’être capable d’englober la réalité, de saisir les problèmes, mais en même temps, il faut revenir à cette réalité constamment pour apprécier les résultats, la complexité, les difficultés, les récriminations… Le politique, c’est celui qui est en questionnement permanent…

La philosophie fait-elle partie de ce questionnement ?

Oui, même si l’homme politique est toujours ramené au concret par les médias et les citoyens, il ne peut pas se dégager du ciel des idées. Il est en permanence en confrontation avec les concepts, les principes, les questions. Qu’est-ce qu’être juste ? Un conflit peut-il éventuellement être utile ? Qu’est-ce qu’une guerre juste ?… Entre l’idéal et cette réalité parfois fangeuse, il y a un espace très complexe. Il faut faire le grand écart toute la journée. Mais la philosophie permet de donner des repères à l’homme politique : la justice, la paix, comment fait-on pour vivre dans un monde en paix…

Pour vous prendre au mot, y a-t-il des « guerres justes » ?

L’expression « guerre juste » est en soi très paradoxale, car nous savons tous à quel point la guerre s’accompagne de drames, de souffrance… Peut-on quand même imaginer une guerre juste ? Imaginons que notre responsabilité soit engagée jusqu’au point d’une intervention dès lors que nous avons la conviction que cette intervention s’appuie sur une véritable légitimité internationale, et dès lors que nous avons la conviction que nous pouvons ouvrir un chemin qui épargnera beaucoup de drames et de catastrophes. C’est un arbitrage très complexe. Prenez Hiroshima : au nom de tous les morts qui auraient pu tomber si la bombe atomique n’avait pas été larguée, peut-on dire que finalement que c’était une action juste ?

Je vous retourne la question…

Je ne le crois en aucun cas. Il n’y a donc pas à mon sens de guerre juste, car toute guerre a des conséquences dramatiques… J’allais dire qu’il y a des guerres qui peuvent être plus justes que d’autres, mais non, je ne donnerai pas de brevet à une guerre quelconque, une guerre, c’est toujours une catastrophe. En revanche, je crois que l’action doit toujours être fondée sur des principes – et pas seulement sur une analyse quantitative. Je crois que de ce point de vue là, le responsable politique doit s’atteler au moindre détail. Il ne peut pas se contenter d’appuyer sur un bouton et de voir ce qui se passe. Il est responsable à chaque instant de la décision. Et c’est ce que j’appelle « l’inquiétude du politique ».

Vous valorisez beaucoup l’interrogation, la préoccupation…

En effet. C’est ce qui me touche tellement dans l’histoire européenne : au coeur de cette histoire, il y a l’insatisfaction créatrice. Nous avons perdu ce petit miracle, ce petit grattement de gorge, qui, en permanence, nous conduit à nous remettre en cause. Ce devoir d’inquiétude, cette insatisfaction qui nous pousse à faire mieux, a donné l’histoire de l’art européen, la politique européenne, l’ambition, même, de l’idée européenne. Nous avons perdu tout cela et nous sommes aujourd’hui poussés à regarder en arrière, à nous tourner vers nos égoïsmes, nos peurs, plutôt qu’à continuer à creuser en nous pour avancer. C’est une inversion de l’Histoire, un véritable drame pour la civilisation européenne, qui doit continuer à allumer la lampe et à partager cette lumière avec d’autres. De ce point de vue là, je crains que l’universalisme soit de moins en moins européen et occidental. Par nous-mêmes, par nos faiblesses, par nos manquements, par notre manque de vigilance, d’audace, d’énergie, nous sommes en train de nous effacer.

Qu’est-ce pour vous qu’un grand homme, une grande femme ?

C’est pour moi celui qui ne baisse jamais les bras. Et c’est vrai pour celui qui est confronté à un handicap, qui fait face à des discriminations, qui a une conviction, une croyance, et qui est empêché dans cette croyance, pour celui qui a un rêve et qui veut partir à la recherche de ce rêve. C’est celui qui est en mouvement. C’est L’homme qui marche de Giacometti. C’est cette remise en cause permanente.

Source: Propos recueillis par François Gauvin (Le Point)

(1) Bayrou, Hollande, Joly, Le Pen, Mélenchon, Sarkozy… leur philosophie, Editions Germina, 209 pages, 11,90 €

1 Commentaire

  1. charles

    La Guerre n’est pas de la Philo.
    L’Art : si. Donc, il n’y a aucune règle.
    L’art de la guerre est un abus de langage, c’est une expression pour mieux dormir, c’est une fuite de conscience, on devrait dire : l’art-de-l’horreur de la guerre. C’est ainsi qu’il y a été mis des Règles. Face à la Folie des Hommes, Hitler ou Staline, kamikazes ou extrémistes, la Vie doit toujours demeurer, si possible libre. Et jusque là.. la Bombe nous a épargné beaucoup, jusque là.. et on ne peut pas le mesurer.. ce jusque là.. cela relève des hypothéses.
    Mais, on peut toujours causer.
    On ne refait pas le Passé. Il ne faut pas confondre l’Histoire et la Réalité des choses.
    Lire CDG est plus adapté pour penser « la guerre » et la Liberté des hommes, donc de l’usage des Moyens pour atteindre la Paix.
    « C’est L’homme qui marche » qui fait. Pas celui assis.. comme à Vichy.
    « C’est L’homme qui marche » qui a toujours libéré.

    « C’est L’homme qui marche » qui fait don. Don de sa vie.
    Il n’est pas un seul coin tranquille où poser sa nuque et se reposer un peu.
    Et ce sera toujours ainsi. Jusqu’à la Fin de cette Histoire.. Notre lot.

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