Dominique de Villepin a récemment accordé une interview exclusive au Huffington Post dans laquelle il précise sa vision de la politique étrangère et des relations franco-américaines.
Quelle coopération internationale envisage ce candidat ayant grandi et étudié outre-Atlantique? Quelle participation à l’OTAN souhaite-t-il? Et quelle est sa vision des conflits en Afghanistan, en Libye et en Syrie? Quel regard porte-t-il sur les relations internationales durant le mandat de Nicolas Sarkozy?
Pour les américains vous restez l’homme qui a dit « non » à la guerre en Irak. Quel souvenir gardez-vous de cette crise diplomatique et de votre fameux discours de l’ONU?
Le souvenir d’un choix difficile car la France n’a jamais oublié l’amitié profonde qu’elle porte au peuple américain. Une amitié qui a commencé à la naissance même de la nation américaine et qui s’est nourrie des valeurs que nous avions en partage. Mais nous avons été confrontés dans cette période au choix spécifique de l’administration Bush qui était guidée par des néoconservateurs. L’administration Bush pensait que sur la base d’une intervention armée, on pouvait espérer recréer un cercle vertueux de paix pour l’ensemble du Moyen-Orient. Cette conviction, je ne l’ai jamais partagée. J’ai toujours eu le sentiment que c’était au contraire prendre le risque de la division, de la guerre et de l’injustice. Il était essentiel que la communauté internationale aborde la question du Moyen-Orient avec le souci du rassemblement, du rapprochement. Tout ce qui risquait de produire un affrontement entre le monde arabe et le monde occidental me paraissait dangereux. Malheureusement l’administration Bush a très tôt décidé de partir en guerre, d’intervenir. Il s’est alors posé la question de la légitimité internationale de cette intervention. Et j’estimais que la responsabilité de la France était de ne pas légitimer cette intervention. Pour éviter la politique du pire.
L’administration américaine imaginait-elle une seule seconde que la France puisse oser s’opposer à cette guerre?
Non, je ne le pense pas. Je pense que c’est le petit grain de sable dans l’aventure irakienne que l’administration Bush n’avait pas imaginé. Pourtant, nous avions trouvé un consensus sur le principe des inspections de l’ONU pour déterminer le présence ou non d’armes de destruction massive. Malheureusement, il y avait du côté américain une arrière pensée. Pour l’administration Bush et le Pentagone, le principe des inspections n’était qu’un masque, un écran de fumée, pour préparer une intervention militaire. Celle-ci apparaissait dans l’esprit de George Bush, Donald Rumsfeld et Dick Cheney comme étant la meilleure solution pour défendre les intérêts américains.
Vous parlez d’un masque concernant les inspections de l’ONU. Pour vous, le guerre en Irak a-t-elle reposé sur un mensonge d’Etat?
Ça ne sert à rien de porter des accusations. Mais je pense que la décision d’intervenir en Irak a précédé la mécanique diplomatique qui n’a été qu’une couverture à cette intervention. J’en veux pour preuve, la situation extrêmement difficile de Colin Powell durant cette période. J’ai toujours eu et je garde des relations d’estime et de profonde amitié pour Colin Powell. C’est un homme d’une grande honnêteté et d’une grande rigueur. Mais il est aussi par formation un soldat. Il a estimé que son devoir était de suivre la politique américaine même s’il savait au fond de lui que la guerre n’était pas une vraie réponse aux problèmes de prolifération qui pouvait exister en Irak.
Dire « non » aux États-Unis, à la face du monde, n’était-ce pas aussi une manière de remettre la France à une place d’honneur dans le concert des Nations?
J’ai grandi aux États-Unis. Pour moi, il ne s’agissait pas de dire « non » aux États-Unis. Il s’agissait de dire « non » à l’administration Bush qui faisait un choix idéologique qui nous apparaissait dangereux. Jacques Chirac et moi, nous étions convaincu qu’au-delà de ce désaccord, l’amitié entre la France et les États-Unis était indéfectible. Nous étions fidèle à notre vision du monde et plus conscient que l’administration Bush de la réalité de la situation au Moyen-Orient ainsi que des risques que cette situation comportait. Lorsqu’on regarde en arrière, on voit bien que l’Irak, comme l’Afghanistan, a été une erreur. Il faut avoir le courage de dire : « le choix qui est fait est un mauvais choix. » L’administration Bush, nourrie par l’idéologie néoconservatrice a préféré faire le jeu des extrémistes et des terroristes.
À cette époque vous étiez dans le même gouvernement que Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur. Celui-ci avait dénoncé votre arrogance. Était-il favorable à une intervention en Irak?
Je ne veux pas faire de procès d’intention à Nicolas Sarkozy. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’il soutenait l’intervention armée. Je crois qu’il avait une proximité avec l’administration Bush qui l’amenait à craindre nos prises de positions.
Regrettez-vous le virage atlantiste de la politique française sous Nicolas Sarkozy?
Ce que je regrette c’est la difficulté qu’on les États-Unis et les Européens à parler vrai et à avancer ensemble dans un respect mutuel. On a vu ces dernières années, une forme d’indifférence des États-Unis à l’égard de l’Europe et la tentation de se tourner vers d’autres régions, comme le continent asiatique. Les Américains et les Européens devraient se parler franchement et tenter de rapprocher leurs points de vue. Nous serons plus fort si nous agissons ensemble. Sans une Europe et des États-Unis forts, le monde se prive de leviers importants pour agir.
Si vous êtes élu président de la République, est-ce que vous sortez de nouveau de l’OTAN?
Le choix du retour dans le commandement intégré de l’OTAN ne s’est pas accompagné des changements que nous espérions. Un choix résigné du retour de la France dans l’OTAN n’est pas un bon choix. L’intérêt des États-Unis c’est d’avoir une France qui assume son originalité, son rôle de médiation, sa capacité à faciliter la résolution d’un certain nombre de conflits. Une France capable de parler à des pays qui ont des positions radicales comme l’Iran.
Je regrette que la France ne soit plus capable de parler à l’Iran aujourd’hui. Nous serions alors plus près d’une solution. La France doit être capable d’aller chercher le dialogue et la concertation avec les États du monde placés en marge.
Vous n’avez pas répondu à la question. Pour jouer son rôle, la France doit-elle sortir du commandement intégré de l’OTAN?
Aujourd’hui, sortir de l’OTAN de manière fracassante serait perçu comme une provocation. Il faut essayer d’obtenir le même résultat, mais autrement. La France doit se battre pour que l’Europe assume plus de responsabilités. L’Europe dans l’OTAN ne peut avoir de sens que si elle s’affirme. Il doit y avoir deux piliers égaux dans l’Alliance Atlantique: l’Europe et les Etats-Unis. L’OTAN tel qu’elle existe aujourd’hui n’a pas réponse à tout. Certainement pas au Moyen-Orient.
Les troupes françaises doivent-t-elles quitter l’Afghanistan?
La guerre en Afghanistan est un bourbier. Jacques Chirac avait engagé un processus de retrait de l’Afghanistan qui est indispensable si nous voulons que la région puisse prendre ses responsabilités. Le drame Afghan aujourd’hui, c’est que les occidentaux sont en première ligne et les pays de la région nous observent nous enliser et prendre des coups. On ne peut pas obtenir une stabilité de l’Afghanistan s’il n’y a pas un investissement des pays voisins comme l’Iran, la Russie, le Pakistan, l’Inde. Ces pays doivent jouer leur rôle. Un nouveau départ doit passer par une conférence régionale qui donne la possibilité aux pays de le région de prendre leur destin en main.
Selon vous, l’intervention en Libye était-elle une bonne chose? Saluez-vous le rôle de Nicolas Sarkozy dans cette action?
Je salue l’initiative prise par la France dans le cadre de l’ONU. J’ai néanmoins quelques regrets. J’aurais souhaité que l’OTAN soit tenu d’avantage à l’écart. Deuxièmement, le soutien politique à la Libye ne doit pas nier la réalité du terrain. Aujourd’hui, on voit bien qu’il y a un fort décalage entre le gouvernement issu de Benghazi et la réalité du rapport de force sur place. Il y a par exemple des divergences fortes avec nos partenaires arabes, et notamment des pays qui ont pris de grandes initiatives en Libye, comme le Quatar ou l’Arabie Saoudite. Je crains qu’avec notre méconnaissance des réalités locales, nous soyons piégés malgré nos bonnes intentions. Je souhaite plus de pragmatisme. Mais aujourd’hui, il n’y a pas de solution dans un État qui ne s’accompagne pas d’une vision globale.
Justement, faut-il envisager une intervention du même type en Syrie?
Intervenir militairement en Syrie comme nous l’avons fait en Libye serait extrêmement dangereux parce que les divisions entre communautés, les divisions confessionnelles sont extrêmement fortes. En outre, la situation stratégique dans cette région et d’une très grande sensibilité. Il faut tenir compte du Liban, d’Israël. Toutefois, sur le plan diplomatique nous avons le devoir d’aller beaucoup plus loin, en particulier dans le dialogue que nous avons avec des pays comme la Russie ou comme la Chine. Je regrette aussi que nous ne soyons pas plus en soutien des initiatives locales. Je pense aux initiatives de la Ligue arabe. Je pense aux initiatives de la Turquie qui a proposé des couloirs humanitaires. Nous subissons aussi l’absence de dialogue avec l’Iran. Nous nous privons de la capacité de l’Iran à faciliter le règlement d’un conflit local. Je déplore l’absence d’engagement diplomatique et l’absence de vision stratégique. Il faut être plus engagés et plus unis pour faire pression sur les pays voisins.
Après le Printemps arabe, ne redoutez-vous pas la menace islamiste ?
Personne ne peut nier la menace islamiste. Mais cette menace sera d’autant plus forte si nous ne jouons pas notre rôle. Aujourd’hui, ce qui est frappant du côté de l’Europe comme des États-Unis, c’est l’incapacité que nous avons d’accompagner les mouvements dans ces pays arabes. La situation économique et sociale de la Tunisie et de l’Égypte reste très difficile. Il ne faut donc pas s’étonner que les choses puissent se durcir dans ces États.
Comment jouer un rôle sans être accusé d’ingérence?
Il faut encore une fois une approche concertée. Si les Les Etats-Unis décident de s’investir, il ne doivent pas le faire seul, mais en liaison avec les pays européens et les pays émergents. Alors la donne sera profondément différente.
Dans une tribune vous avez comparé la politique de Nicolas Sarkozy à « une tache de honte sur le drapeau français ». Vous confirmez?
Cela ne concernait pas la politique étrangère. Je parlais de la querelle que nous avions sur l’identité nationale, de la stigmatisation par Nicolas Sarkozy de certaines communautés. Je trouvais que cette politique ne grandissait pas notre pays. Je pense que les Français ont besoin d’être rassemblés autour de valeurs communes et pas d’être divisés. Mais être critique en matière politique, c’est une exigence indispensable pour que les choses avancent. C’est tellement facile d’être tiède. Dans la Bible, les tièdes sont violemment condamnés parce qu’ils n’osent pas. Il faut avoir le courage de dire les choses. C’est vrai dans la vie nationale et c’est vrai dans la vie internationale.
Vous avez dévoilé votre slogan « pour une France libre et indépendante ». Est-ce toujours possible aujourd’hui? Ne vivez-vous pas dans l’illusion de la grandeur de la France?
Non pas du tout. Ce n’est pas la grandeur au sens ancien du terme qui m’intéresse. C’est une France fidèle à sa vocation. Aujourd’hui le débat autour de l’Europe est un débat stérile. Il faut reconnaître qu’un État a des prérogatives particulières. Mais il faut aussi reconnaître que l’Europe offre à notre pays la possibilité d’être beaucoup plus puissant, beaucoup plus actif sur la scène mondiale. À condition que nous comprenions que la France doit être forte, mais que l’Europe doit être forte aussi. Ces dernières années, Nicolas Sarkozy, comme d’autres dirigeants, a commis l’erreur de choisir des représentants européens faibles. Le président de la Commission européenne, Monsieur Barosso, le président du Conseil européen Monsieur Van Rompuy, ou Catherine Ashton comme représentante de la diplomatie européenne. Mais avec des représentants faibles, l’Europe ne marque pas de points, l’Europe n’existe pas. Un pays c’est une souveraineté nationale et des souverainetés partagées. Mais le même exemple est aussi valable pour les États-Unis. Les États-Unis, pas plus que la France n’ont la capacité de faire la paix au proche orient. En revanche, les États-Unis et l’Europe, ensemble, ont la capacité de contribuer à la paix dans cette région. Par calcul, nous nous privons de la capacité de travailler ensemble. Nous serons plus fort si nous sommes capable de travailler ensemble. Mais aujourd’hui, l’Europe et les États-Unis ne font pas ce qu’ils doivent faire sur la scène internationale.
Quelques questions plus légères pour finir…
Quand vous êtes-vous rendu au États-Unis pour la dernière fois?
La dernière fois c’est il y a un environ un an pour une conférence. Mais j’y retourne toujours avec beaucoup de plaisir. Vous savez, j’ai passé une partie de ma jeunesse aux États-Unis et j’ai passé mon bac à New York. J’ai également passé six ans comme diplomate à Washington en charge à la fois du Moyen-Orient et du terrorisme.
Que préférez-vous dans la culture américaine?
Dans mon adolescence, j’ai été très marqué par le mouvement de « la Beat Generation », le mouvement hippie des années 70. J’ai été fasciné par ce moment de liberté, de vie et de bonheur collectif. Ce mouvement de non violence qui pensait différemment la société m’a profondément influencé. Les poètes américain de cette époque comme Kerouac ont été une source d’inspiration. De la même façon chaque arrivée aux États-Unis, chaque chance de pouvoir voyager à travers les États-Unis, de pouvoir prendre la route 66, c’est toujours ce même sentiment d’un espace américain qui est un pourvoyeur de rêve et d’opportunités. On pense grand aux États-Unis. On pense initiative. On a envie de faire des choses. Pour tout amoureux de la liberté et de la démocratie, les États-Unis sont toujours une source d’inspiration.
Source: Huffington Post
Excellente interview et excellentes réponses de DDV, il faut être fort et ne pas regretter de le montrer sur la scène internationale.
La politique étrangère menée par la France avant 2007 lui donnait un poids certain dans le monde.
Ceux qui s’intéressent à la politique étrangère de la France devraient s’abonner au point de presse quotidien diffusé par le ministère.
A sa lecture on est bien souvent déçu par l’absence d’une vision claire des intérêts de la France ainsi que par le poids des lobbies.
La “France forte” que nous proposent l’UMP et son patron candidat, si cela s’appuie sur le bilan des cinq dernières années, c’est un triste slogan dénué de réalité.
La notoriété de la France a disparue c’est désolant.
L’opinion de DDV sur l’Europe des 27 aussi est pertinente.
C’est vrai que la grande Europe inorganisée, mal bâtie, mal gérée est devenue un nain malgré son poids économique.
Un parlement qui n’a aucun poids, une commission qui abrite son incompétence sous un flot de directives souvent stériles voir dangereuses, enfin un conseil tout puissant qui n’intervient pas souvent dans l’intérêt général mais plutôt contre le parlement. Une ébauche de politique étrangère commune sans tête et divisée en 27 opinions différentes qui n’a aucun poids.
Tout à fait Jean Michel, et de plus sans le sou y’a pas de politique étrangère, y’a que le bonjour et le suivisme, alignement, rentrée dans le rang.
Très bonne analyse de la vision internationale:
-Celle du passé
-Celle du présent
-Celle qu’elle devrait être
Pour le passé, je regrette que DDV ne dise pas franchement que les Etats-Unis ont menti sur les armes chimiques. Cela a été prouvé et confirmé.
De même sur l’OTAN, DDV devrait confirmer ce qu’il avait dit, à savoir que la France doit en sortir, et non pas tourner autour de la question.
Pour le présent, c’est un constat réel de l’inefficacité de la politique européenne telle qu’elle est menée, sans aucune direction ni vision.
Pour l’avenir, ce rapprochement systématique avec les Etats-Unis m’inquiète, car c’est refaire la politique des blocs, les Occidentaux d’un côté et les autres.
La France doit être capable de s’affirmer beaucoup plus en proposant des solutions et en les mettant en action avec l’Europe et d’autres partenaires, selon les situations.
L’Europe est tellement absente en Amérique Latine, en Asie, sporadique en Afrique. Un grand silence assourdissant.