Première partie de l’interview donnée par Dominique de Villepin à Frédéric Taddei pour le numéro de janvier du magazine GQ.
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Frédéric Taddéi pour GQ: J’ai l’impression que la période où vous vous êtes senti le plus libre, c’est entre 2007 et l’année dernière. Vous n’étiez plus au pouvoir et pas encore chef de parti. Vous étiez mis en examen, toujours entre deux procès, moitié poète, moitié repris de justice. Cela devait être extraordinaire…
Dominique de Villepin: Pas facile à vivre, mais extraordinaire, oui. C’est une époque hautement romanesque. Epique. C’est une aventure au sens propre du terme. Dans ma vie, j’ai été préparé à beaucoup de choses, beaucoup de combats, beaucoup de défis, mais toujours avec une épine dorsale, des repères puissants. Et tout à coup je me suis retrouvé dans la situation du type « wanted ».
Un repris de justice…
Non. Le Fugitif. Comme dans cette série qui a bercé mon enfance, bien avant que les Français ne la découvrent, puisque j’ai été élevé en partie aux Etats-Unis… Le « fugitif », c’est le « wanted », pas le repris de justice. Le fugitif, c’est quelqu’un qui détient un secret, qui est poursuivi parce qu’il porte ce secret, et qu’on veut l’abattre à tout prix.
Quel était ce « secret » ?
Le secret, c’est celui qui sait, celui qui a vu, celui qui a connu. Plus qu’un témoin : c’est celui qui, à un moment donné, dérange, sait des choses qui dérangent. Il agace, il suscite de la jalousie, de la haine. IL est voué à l’élimination. Ce sentiment-là, je l’ai ressenti souvent, mais j’étais toujours adossé à un principe supérieur. Ce n’est pas pareil de se battre quand on est au service de l’Etat, quand on incarne l’Etat lui-même, que de se battre en l’absence de toute référence, de toute étiquette, de toute carte de visite, de subir une mise en scène biaisée des choses où vous êtes tout seul, désigné coupable d’emblée.
Vous dites « fugitif », mais beaucoup ont pensé « suspect ». La justice vous a certes blanchi dans l’affaire Clearstream, mais n’étant ni journaliste politique ni dans les secrets d’Etat, je vous ai vu à ce moment-là, moi aussi, comme un suspect, plus que comme un fugitif.
Vous avez raison, mais vous êtes dans la peau de quelqu’un qui dérange, on ne vous veut que suspect.
En même temps, c’était logique qu’on vous suspecte. Si votre nom avait été inséré dans des fichiers comme ce fut le cas pour Nicolas Sarkozy, vous auriez peut-être suspecté le ministre de l’Intérieur de l’époque…
Mais je l’ai suspecté aussi ! Sur le plan de la suspicion, Nicolas Sarkozy et moi sommes dans un équilibre absolu. Mais en tant que Premier ministre au service de l’Etat, je ne me suis jamais autorisé à mettre cette suspicion sur la place publique. C’est une question d’école, j’appartiens à l’école de l’Etat. Il faut toujours partir du point de départ, je suis né en 1953, et mon univers c’est celui de la guerre.
Que voulez-vous dire ?
Je veux parler d’un univers historique et familial. Mes grands-parents étaient tous les deux engagés dans la guerre de 14, mon grand-père paternel engagé à 16 ans, falsifiant la signature de son père pour pouvoir s’engager volontaire, mon autre grand-père ayant fait Saint-Cyr. Donc mon univers, ce sont les Première et Seconde Guerres mondiales, mais aussi des guerres coloniales puisque l’essentiel de ma famille sort de Saint-Cyr et s’est battu sur tous les champs de bataille. C’est pour cela que j’ai acheté dès le jour de sa sortie le livre d’Alexis Jenni qui vient d’avoir le Goncourt. J’ai adoré ce livre. Il m’a bouleversé. J’ai pleuré en le lisant. Il appartient à un univers qui est le mien. Avant cela, en 1870, lorsque la guerre contre la Prusse a été perdue, mon grand-père, sur le lit de mort de son père, lui a fait le serment que toute sa vie, tant que l’Alsace et la Lorraine ne seraient pas françaises, il se lèverait à 5 heures du matin. Il a été le premier officier français à entrer dans Metz libéré, à cheval, en gants blancs.
Ce sont les histoires qui ont bercé votre enfance ?
Oui, j’ai grandi avec La Dernière classe d’Alphonse Daudet, quand j’étais jeune enfant en Amérique latine et que j’apprenais la France. Dans cet univers-là, on est préparé à porter des fardeaux jusqu’au bout et à supporter y compris l’infamie. L’armée des ombres, vous connaissez le livre de Kessel, vous vous rappelez le film de Melville, Jean-Pierre Cassel incarne la figure de l’aviateur, blouson de cuir, dilettante, fêtard. Mais à un moment donné il est recruté par Lino Ventura, et dans l’épreuve, un beau matin il décide de rejoindre l’un des résistants emprisonnés. Il n’a qu’une pilule de cyanure. Il ne lui avoue pas. Vu l’état de son camarade, il finit par lui donner la pilule de cyanure. Il sent à cet instant qu’il va mourir dans l’infamie. Personne ne sait qu’il est là. Personne ne sait qu’il est résistant. Tout le monde croit qu’il a déserté, qu’il est reparti faire la fête. Voilà. Ce sont des images comme celles-là qui m’accompagnent et me guident. Je suis préparé à assumer tout seul le poids d’un fardeau, y compris celui-là. Alors quand Clearstream arrive, je suis préparé à vivre cela, comme si quelque part, j’étais fait pour ça.
C’est presque une chance ?
Plutôt comme un scénario qui aurait été écrit pour moi. Je me retrouve dans la position du gars qui en prend plein la gueule, accusé, or contrairement à beaucoup de gens qui s’effondrent dans ces circonstances, moi c’est magique, je mène le combat. Sauf qu’à un moment donné, vous vous demandez pourquoi vous vous battez. Autant je peux me battre 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 pour une cause qui m’exalte, pour le service de mon pays, autant me battre pour moi seul, ça ne m’intéresse pas !
Ah oui ? Pourtant vous êtes avocat, et les avocats ont toujours eu ce fantasme de se défendre eux-mêmes.
Il faut se battre pour une raison supérieure, ceux que vous aimez, votre famille, la justice, qui est un puissant moteur, ou l’idée que vous vous faites de la politique. Car finalement que reste-t-il de ce soit disant « Watergate à la française » ? Combien de médias, de responsables politiques, y compris des « membres » de ma famille politique, ont crié « haro sur le baudet », condamnant avant même d’avoir eu connaissance du dossier… J’ai de la mémoire, mais j’ai un défaut, comme Chirac, je ne suis pas rancunier. Je ne peux pas passer du temps à me venger, ça m’ennuie. C’est d’ailleurs aujourd’hui ma situation face à Nicolas Sarkozy, je n’ai pas soif de vengeance.
C’est de l’orgueil ça !
Non, ce n’est pas de l’orgueil. Se venger est, à mon avis, un gâchis d’énergie.
Source: Interview de Dominique de Villepin par Frédéric Taddéi (GQ du mois de janvier 2012)
DDV est le digne héritier de sa race: je parle de celle des serviteurs de la France.
D’ailleurs, je n’ai jamais cru un seul insttant en une culpabilité quelconque dans l’affaire CS, ni dans une quelconque autre affaire qu’ »on » essaye de lui coller sur le dos!!!….avant avril-mai, bien entendu!……
Cher DDV, vos aïeuls et ancêtres vivent et parlent par vous . Démesuré, lutteur, « bien baraqué »,
charmant,lyrique, téméraire, loyal, fidèle, bouleversant,…….vous crevez l’écran .On déteste ou on adore ?
Vous êtes DOMINIQUE …
La France et l’Europe ont besoin de vous.
AVEC DDV PARTOUT, TOUJOURS!
Sans la Culture, on n’est qu’un misérable, un petit animal, un animal politique en politique.
Sans l’Histoire, on n’est rien, on n’existe pas.
Les Hommes sont issus d’une terre tout autant que de père et mère. Les parents apprennent à marcher, à chanter, à voir les autres. Les autres et la terre aux souliers font grandir.
DDV et Sarkozy.
Il y a une différence entre lui et Lui.
Lu DDV :
« Je veux parler d’un univers historique et familial. Mes grands-parents étaient tous les deux engagés dans la guerre de 14, mon grand-père paternel engagé à 16 ans, falsifiant la signature de son père pour pouvoir s’engager volontaire, mon autre grand-père ayant fait Saint-Cyr. Donc mon univers, ce sont les Première et Seconde Guerres mondiales, mais aussi des guerres coloniales puisque l’essentiel de ma famille sort de Saint-Cyr et s’est battu sur tous les champs de bataille. »
« Avant cela, en 1870, lorsque la guerre contre la Prusse a été perdue, mon grand-père, sur le lit de mort de son père, lui a fait le serment que toute sa vie, tant que l’Alsace et la Lorraine ne seraient pas françaises, il se lèverait à 5 heures du matin. Il a été le premier officier français à entrer dans Metz libéré, à cheval, en gants blancs. »
Lu Joachim du Bellay :
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !
Quand reverrai-je, hélas ! de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m’est une province et beaucoup davantage ?
Plus me plaît le séjour qu’ont bâti mes aïeux,
Que des palais Romains le front audacieux :
Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine,
Plus mon Loire Gaulois que le Tibre Latin,
Plus mon petit Liré que le mont Palatin,
Et plus que l’air marin la douceur Angevine.
(c’était.. La France. La France qui apprenait, puis qui faisait, et qui parlait au Monde.
Aujourd’hui : « Il n’y a plus rien » (Léo Ferré). Une cravatte au Fouquet’s et une nouvelle guitare pour l’accompagnement. On comprend mieux la Dette Française : 1700 Milliards d’Euro)