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Jacques Chirac dans ses Mémoires: Dominique de Villepin, un "antidote à l'esprit courtisan"

« Le plus difficile, dans l’exercice du pouvoir, est de se doter de collaborateurs qui osent affirmer ce qu’ils pensent à celui qui les dirige, sans craindre de lui déplaire, ni se contenter d’abonder dans le sens de ce que lui, selon eux, souhaite entendre. Le phénomène de cour est inhérent au fonctionnement des entourages. C’est un mal inévitable qui peut devenir fatal si l’on ne dispose pas de solides contre-feux pour en limiter les effets.

Homme de caractère comme on en dénombre peu au sein de l’appareil d’État, inventif, fougueux, stimulant, riche d’une expérience internationale acquise dès sa jeunesse, peu enclin à masquer ses convictions ou à atténuer ses jugements, Dominique de Villepin est un excellent antidote à cet esprit courtisan où la servilité le dispute toujours au conformisme (…)

Sans qu’on le sache, Dominique de Villepin a été dans l’ombre un de mes relais les plus efficaces durant la campagne présidentielle. Ses responsabilités au Quai d’Orsay et sa position stratégique auprès d’Alain Juppé lui permettaient d’être mieux renseigné, sur la plupart des sujets, que je ne l’étais moi-même à ce moment-là. Je lui dois d’avoir ainsi pu bénéficier d’informations de première main sur les affaires gouvernementales, l’imminence de certaines défections me concernant et les intrigues qui se tramaient contre nous dans l’entourage de mon concurrent (Edouard Balladur).

Nos destins politiques se sont liés durant cette période fertile en trahisons en tous genres. Avant même d’être élu à la présidence de la République, il était acquis qu’en cas de victoire je ferais appel à Dominique de Villepin pour prendre en main le secrétariat général de l’Élysée. Une telle responsabilité requiert des hommes ayant sa conception exigeante et passionnée du service de l’État. Dominique de Villepin se fait, à juste titre, une haute idée de sa fonction.

Pour lui, l’ambition d’agir et d’entreprendre ne saurait se passer de culture, de style et d’idéal. Il possède les trois avec un égal brio. Est-il trop enclin à s’enflammer, à se laisser emporter par ses élans, comme lui en font grief ceux qui ont de la France une vision plus étriquée ? Au moins ne pêche-t- il pas, comme tant d’autres, par manque d’audace, de souffle et de hauteur de vue. De telles qualités importent à mes yeux, même s’il m’appartient, en dernier ressort, de toujours faire la part des choses entre ce que l’on me dit et ce que je pense. »

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La dissolution de 1997 : une idée soutenue par tous, assumée par un seul

« Très vite, je constate que beaucoup de parlementaires qui défilent dans mon bureau n’ont plus qu’un mot à la bouche : celui d’une dissolution qu’ils souhaitent la plus rapide possible. Leur pression s’accentue à partir du mois de février 1997. Elle est particulièrement vive du côté des anciens ministres balladuriens les plus soucieux de tirer parti d’une nouvelle donne politique pour rentrer en grâce auprès de moi et revenir aux affaires. Le président de l’UDF, François Léotard, émet publiquement le voeu que j’appuie sur l’un des  » trois boutons : dissolution, remaniement, référendum « . Nicolas Sarkozy me fait passer des messages tout aussi insistants. Parmi les plus convaincus de la nécessité de dissoudre, figure aussi le président du Sénat, René Monory. Rares, en fait, sont ceux qui me mettent en garde contre cette idée ou la condamnent ouvertement. Hormis Philippe Séguin, Bernard Pons, Pierre Mazeaud et quelques autres, la plupart des élus et beaucoup de ministres s’y déclarent favorables, m’incitant à agir au plus vite (…)

Toujours est-il que mon message, comme je le pressentais, a du mal à passer. La réaction de l’opinion est mitigée, pour ne pas dire mauvaise. Du même coup, l’enthousiasme des élus les plus favorables à la dissolution a tôt fait de se refroidir. Au vu des premiers sondages, le leadership d’Alain Juppé est vite contesté. Les responsables nationaux chargés d’organiser la campagne ne parviennent pas à s’entendre.

Jean-Louis Debré, qui assiste à plusieurs de leurs réunions, en sort effondré.  » Il y a aussi bien autour de la table, me rapporte-t-il, des balladuriens que des séguinistes et des amis de Juppé, et tous ces gens-là se disputent. On ne s’entend pas, personne n’est sur la même longueur d’onde. Une campagne électorale ne peut marcher que s’il y a un patron. Or il n’y a là qu’un petit cénacle d’égocentrismes, de revanches et d’arrière-pensées…  » Dois-je m’engager davantage, prendre moi-même la tête des opérations ? Que je le veuille ou non, mes fonctions m’imposent de rester au-dessus de la mêlée.

Me considérant comme seul responsable de la dissolution et de son échec, je refuse de chercher quelque bouc émissaire qui me permettrait de me donner bonne conscience ou servirait à apaiser mon entourage. Ce n’est pourtant pas faute d’être convié et incité de tous côtés à me séparer sur-le-champ de celui qui m’est aussitôt désigné comme le mauvais génie, l’instigateur funeste d’une opération qui a si mal tourné. Un conseiller censé exercer sur moi une influence si écrasante que je serais devenu, en quelque sorte, incapable de lui résister… Or telle n’est pas la véritable histoire de la dissolution et moins encore celle de mes relations avec Dominique de Villepin, puisqu’il est question de lui, comme on l’aura compris. S’il s’agit de savoir qui a pu inspirer une décision aussi malencontreuse, disons que cette erreur d’appréciation fut à tout le moins collective. Dominique de Villepin y eut sa part, comme tant d’autres qui ont pris soin, après coup, de se faire oublier. Mais il n’incombait qu’au chef de l’État de déterminer le parti à prendre.

Si bien qu’au lendemain de cette défaite, quand le secrétaire général de l’Élysée, se sachant incriminé de toutes parts, vient me présenter sa démission, je ne vois aucune raison de l’accepter. Nous avons, lui et moi, d’autres épreuves à affronter ensemble. »

Source: Jacques Chirac – Mémoires, Le temps présidentiel (Nil), 2011, 624 p., 22 euros.

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