Les matins – Dominique de Villepin par franceculture
Dominique de Villepin était, mardi matin, l’invité de Marc Voinchet dans les Matins de France Culture.
Résultat des élections cantonales, situation de la droite en France, responsabilité de Nicolas Sarkozy dans la montée de l’extrême-droite, révolution de la dignité, gouvernance dans les entreprises, propositions institutionnelles: le verbatim de son intervention…
Le verbatim de l’intervention de Dominique de Villepin
Sur le résultat des élections cantonales
On a souvent tort en France d’avoir raison trop tôt, mais enfin, il n’y a pas de surprise dans le résultat des élections cantonales. Elles agissent peut-être comme un révélateur et sans doute comme un accélérateur d’une situation politique difficile. La vraie révélation, c’est l’abstention. Là encore, c’est pas surprenant: nous savons tous à quel point les Français souffrent dans leur vie quotidienne et à quel point la politique n’apparaît pas aujourd’hui comme la réponse à leurs difficultés. Ils se sont éloignés de la politique, parce que la politique s’est éloignée d’eux. Et je pense que c’est la première leçon qu’il faut tirer de ce scrutin: comment remettre la politique au travail, comment la remettre au coeur de la vie des gens? Ca veut dire tout simplement essayer d’apporter des réponses aux problèmes de la vie, c’est-à-dire l’emploi, la sécurité, sans partir dans des querelles, des grands débats et céder à l’idéologie.
Sur la situation de la droite en France
On revient à quelque chose de connu. Il y a toujours eu en France plusieurs droites. On a voulu nier l’existence de ces différents courants à travers la création d’un grand parti, l’UMP. On revoit aujourd’hui, au moins à l’intérieur de l’UMP, deux droites: une droite dure, une droite nationale et une droite qui se veut plus humaniste et républicaine. Tout ceci est aggravé par la montée du Front National et la sympathie forte qui s’exprime chez un certain nombre de sympathisants UMP à l’endroit du Front National: 40% environ de ces sympathisants sont en sympathie avec le Front National. Donc il y a là une évolution difficile et des choix à faire. Et c’est bien à mon sens ce qui doit d’abord être décidé au lendemain de ces élections: c’est d’éviter à la tentation d’aller braconner sur les terres du Front National, éviter de céder à cette tentation idéologique et accepter de défendre ses valeurs, accepter de répondre par la politique et par les moyens de la politique aux Français sans, une fois de plus, dériver.
Sur la crédibilité politique de Dominique de Villepin
Vous savez, aujourd’hui, on pose la question de la droite, parce qu’au sortir des élections, c’est d’abord elle qui est sur la sellette. Mais je crois que le grand parti de droite, l’UMP, a le même problème que le grand parti de gauche, le Parti Socialiste. C’est une crise des grands partis. Cette crise, elle est moins visible aujourd’hui à gauche. Elle va être au coeur de l’actualité au cours des prochains mois. Cette crise des grands partis, c’est tout simplement la priorité accordée aux querelles personnelles, aux ambitions personnelles, sur les idées, sur les projets et sur le service des Français. C’est le propre de toute machine qu’à un moment donné, privilégier ses problèmes de machine. Donc la réponse, elle se situe à mon sens dans un retour à la politique, dans un retour au risque politique et dans un retour à l’esprit d’indépendance.
Le risque politique, c’est d’aller vers les électeurs, c’est d’aller vers les Français, c’est d’être au milieu d’eux. C’est pas de vivre dans des citadelles, avec des problèmes de hiérarque, avec des problèmes d’apparatchik. C’est tellement plus facile d’être en soi, avec des gens qui parlent le même langage, sans prendre le risque de comprendre, sans prendre le risque d’agir. L’une des grosses difficultés de la droite aujourd’hui, c’est qu’elle est au pouvoir et qu’elle est relativement impuissante à répondre aux préoccupations des Français. Donc il y a un enfermement. Il faut reculer les murs, il faut prendre le risque, une fois de plus, d’écouter les Français et de les servir. Je pense que le parti-pris qui a été le mien qui est de très tôt comprendre que l’UMP ne pouvait pas répondre aux Français, que l’UMP partait avec un postulat de départ qui était erroné…
Premier postulat erroné: un déséquilibre institutionnel au bénéfice du Président de la République qui ne pouvait pas créer l’esprit d’équipe capable d’entraîner et en particulier d’entraîner l’Etat. L’Etat est aujourd’hui dissocié du pouvoir politique, l’Etat n’est pas en phase avec le pouvoir politique, parce qu’il se sent montré du doigt et stigmatisé.
Deuxième postulat: c’est le refus d’aller vers des réformes profondes et qui ne soient pas guidées par des intérêts électoraux et partisans. Je crois que la réforme est toujours ingrate en France, mais qu’il y a quelque mérite à essayer de transformer en profondeur la société française. Je crois qu’on a sous-estimé l’ampleur des transformations nécessaires dans notre pays (…) à travers une vision très technicienne de la société française où il fallait ajuster, alors un peu ici et un peu là. Je crois que les transformations qui sont à faire sont en profondeur. Quand je propose par exemple la création d’un revenu citoyen, je pars du constat qu’il y a 8 millions de Français qui vivent avec moins de 750 euros. Est-ce qu’on peut accepter dans un pays comme la France une situation comme celle-ci? Je pense qu’il y a une révolution de la dignité et pour moi, le point de départ, c’est que chacun dans la société française, qui est une société riche, ait les moyens d’assurer sa liberté et sa dignité. Donc on voit bien qu’il y a un autre regard à porter sur notre société, plutôt que d’essayer en permanence de colmater les brèches et d’arrêter les hémorragies qui sont là.
(Je suis) plus que jamais gaulliste, c’est pour ça que j’assume cette indépendance, en dehors du grand parti qu’est l’UMP, avec le souci de défendre mes valeurs.
Sur le Front National
D’abord, je crois que le Front National est aujourd’hui fort des faiblesses des grands partis, et en particulier des faiblesses de ceux qui dirigent la France. Est-ce que ça peut constituer durablement une force, est-ce qu’on peut masquer la réponse très simple, voire simpliste, que le Front National veut apporter à la situation de la France, aux maux de la France, aux maux de l’Europe? Je crois que ça ne peut pas constituer une alternative, ça peut constituer une posture. C’est sympathique d’exprimer sa colère à travers un vote du Front National, je ne crois pas que cela redressera la France. Et si on applique à la lettre les recettes du Front National, les premiers à payer les pots cassés, les premiers à payer l’addition, ce seront les électeurs eux-mêmes, c’est-à-dire les classes moyennes qui se retrouveront dans une situation encore plus difficile, puisque cela marginalisera la France. Donc je pense qu’il y a un réalisme qui fait qu’à 13 mois d’une élection, on peut être tenté par le Front National: le Front National est très haut, je ne suis pas sûr qu’il reste très haut au terme d’une campagne électorale où les Français auront un choix qu’ils n’ont pas aujourd’hui. Ils auront les alternatives qu’ils n’ont pas aujourd’hui. Donc c’est d’abord par une réponse politique, c’est d’abord par la présentation d’un projet…
Je prends un exemple: le débat social en France est complètement bloqué par l’inégalité de la répartition des richesses. Quand vous voyez le débat dans les entreprises: vous avez d’un côté les tenants du capital, les dirigeants de l’entreprise qui à aucun moment n’engagent un véritable dialogue avec les salariés. Je propose une cogestion à la française où un tiers des postes dans les Conseils d’administration et de surveillance seront accordés aux salariés. Ca change complètement la donne, ça change la répartition du pouvoir.
De la même façon, à l’échelle de l’Etat, vous avez aujourd’hui une quarantaine de portefeuilles ministériels. Personne ne sait qui fait quoi. Je propose de réduire le nom
bre de ministres à 10 grands ministères et je propose de la même façon de réduire le nombre de régions en France (22 régions métropolitaines) à 8 régions, grandes régions stratégiques avec une capacité de peser sur la France, de peser sur l’Europe et sur le monde. Vous voyez bien qu’il faut se doter des outils qui permettent à la France de gagner dans le monde, de gagner dans la mondialisation alors qu’aujourd’hui nous n’avons pas le clavier, nous n’avons pas les outils justement pour marquer des points.
Alors je ne crois pas que le Front National qui est formidable pour convaincre sur les marchés, (…) formidable dans le sentiment qu’on a d’exprimer sa colère vis-à-vis de ceux qui nous dirigent, mais à l’heure de la gestion des choses, à l’heure où il faut repenser et refonder la France, je crois que les Français ont assez de bon sens pour savoir que ce n’est pas comme ça, ce n’est pas en jetant le bébé avec l’eau du bain qu’on reconstruira notre pays.
Sur la responsabilité de Nicolas Sarkozy dans la montée de l’extrême-droite
Je crois qu’il y a eu un aveuglement et surtout une méprise sur laquelle il faut revenir, parce que c’est le coeur de tout. Et je l’ai vécu en direct: j’ai rencontré Nicolas Sarkozy au matin du deuxième tour, juste avant le vote du dimanche du deuxième tour et j’ai compris à quel point il considérait que sa victoire qui se jouait ce jour-là était due à une stratégie liée justement à l’identité, à la proposition d’un Ministère de l’Identité nationale et de l’immigration, liée à une stratégie guidée par Patrick Buisson qui est une stratégie de surenchère visant à convaincre l’extrême-droite ou ceux qui étaient tentés par l’extrême-droite. Je crois que c’est plus facile effectivement quand le réel fait défaut, quand les résultats d’une politique ne sont pas là de se lancer dans des surenchères identitaires, mais ce n’est pas la réponse politique que les Français attendent.
Sur les deux visites de Dominique de Villepin à l’Elysée
Vous ouvrez votre journal et vous constatez que nous vivons dans un monde à feu et à sang, avec une situation à la fois passionnante et en même temps difficile dans le monde arabe. Ce qui se joue, c’est la place de la France dans cette région. Ce qui se joue, c’est les idéaux qui sont les nôtres. Ne l’oublions pas: c’est très largement au nom des idéaux de la Révolution français que se font ces révolutions dans le monde arabe, en Tunisie, en Egypte. (…)
Eléments de langage je ne sais pas, en tout cas conversation solide, conversation sérieuse, conversation républicaine, sans concessions, avec la conviction que la France a des devoirs, qu’elle doit les assumer dans cette région. J’ai soutenu l’initiative française en Lybie. Je suis inquiet aujourd’hui d’une opération qui se fait sous le contrôle de l’OTAN, parce que c’est une dérive à mon sens dangereuse que de voir l’étendard occidental être porté dans cette région. Donc je dis prudence, mais il est important que la France soit aux avant-postes de ces mouvements dans le monde arabe.