Dominique de Villepin était, ce vendredi, l’invité de l’émission « World have your say » sur BBC World News, en compagnie de Jaap De Hoop Scheffer, ancien secrétaire général de l’OTAN (2003).
Dominique de Villepin est intervenu en Anglais et a été interrogé par des téléspectateurs de plusieurs pays sur sa vision de la situation en Lybie.
Selon la page Facebook de « World have your say », l’émission de vendredi a donné lieu à des appels en provenance de 68 pays.
Source: BBC News sur Youtube
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Verbatim de l’intervention de Dominique de Villepin sur BBC World
Comment réagissez-vous au message de N. Sarkozy disant « tous les pays arabes doivent savoir que notre réaction sera toujours la même (qu’en Libye), à partir de maintenant » ? Pensez-vous que c’est un message clair à envoyer aux différents régimes du Bahreïn, du Yémen et de la Syrie et d’autres régions du monde, par exemple la Côte-d’Ivoire ?
C’est un message important même si cela n’a jamais été le cas par le passé et il y a au moins un exemple en Afrique qui démontre une autre réalité, c’est la Côte-d’Ivoire. Nous assistons à une guerre civile en Côte-d’Ivoire et il n’y a pas de réponse ou très peu de réponse de la communauté internationale. Donc, je pense que c’est un objectif mais aujourd’hui, ce n’est pas exactement le cas. Nous ne voyons pas un engagement, semblable à la Libye, de la communauté internationale en Côte-d’Ivoire.
Quel est l’objectif de l’intervention aérienne en Libye, si ce n’est de renverser Kadhafi ? Si tel est le cas, pourquoi la communauté internationale ne le dit pas clairement ?
La seule mission de la l’intervention aérienne est de protéger les populations civiles et la résolution 1973 est très claire sur les objectifs de la communauté internationale qui se limitent uniquement à protéger les populations des massacres. Nous ne devons pas rechercher un changement de régime, nous ne devons avoir aucun but militaire. Le seul but doit rester humanitaire et nous devons être clairs sur cela.
Avant cette intervention militaire en Libye, les responsables politiques américains, français et autres avaient pourtant demandé le départ de Kadhafi… Son départ reste donc un objectif politique…
C’est un objectif politique en effet. Mais cela doit se faire par les sanctions contre son régime, par la cour pénal internationale, par le gel des avoirs du colonel Kadhafi et de sa famille. Mais ceci est complètement différent des objectifs militaires de la résolution 1973, qui sont humanitaires. Nous ne devrions pas mélanger les deux. L’implication de l’OTAN est entrain de changer la nature de l’opération. C’est pour cela que je suis très opposé à un commandement de l’OTAN en Libye et très sévère concernant l’engagement de l’OTAN en Afghanistan. Nous passons à côté des objectifs de la communauté internationale, nous passons à côté de nos objectifs et de nos idéaux. Nous devons être attentifs à ne pas changer l’intervention militaire en Libye en une guerre de l’Occident. Cela sera absolument tragique et cela changera complètement la perception de l’intervention par le monde arabe et par l’Afrique. C’est donc un très grand risque.
L’OTAN se positionne comme la seule organisation capable d’être opérationnelle dans de telles circonstances…
Je ne suis absolument pas d’accord. C’est d’abord à l’Europe, à la Ligue arabe et à l’Union africaine de faire ce travail et de prendre leurs responsabilités. Si l’OTAN est engagé, comme cela sera le cas dans les prochains jours, nous changeons la nature de l’opération. L’Afghanistan reste le meilleur exemple de ce qu’il ne faut pas faire. C’est l’exemple de non efficacité et une tragique incompréhension des objectifs de la communauté Occidentale.
Une auditrice libyenne s’étonne qu’il n’y ait pas eu de moment de diplomatie avant l’intervention, que l’on soit passé directement à l’usage de la force. Pourquoi n’a t-on pas laissé plus de chance à la diplomatie ?
Le colonel Kadhafi a pris l’initiative de faire une offensive sur Benghazi, de massacrer son peuple, il est donc le seul responsable de la situation. La communauté internationale a attendu longtemps avant de voter la résolution 1973. Mais je suis d’accord que nous devons conserver un équilibre entre une intervention militaire avec des objectifs humanitaires et ce que la politique et la diplomatie peut donner. Nous devons être plus attentifs à utiliser plus de diplomatie et plus de politique à ce stade afin de voir si nous pouvons trouver un moyen de sortir de la crise.
L’OTAN va-t-elle déployer des troupes au sol si Kadhafi continue d’attaquer les insurgés, dans des villes comme Benghazi ?
Ce n’est pas quelque chose que nous pouvons prendre en considération. Avoir des troupes au sol serait une très grave erreur. Une aussi grande erreur que celle de l’administration Bush lorsqu’elle a décidé d’aller en Irak. Nous devons respecter la souveraineté de la Libye et nous devons prendre en compte la complexité de situation libyenne. Il y a plusieurs tribus en Libye, il y a trois grandes régions, qui sont très différentes, avec des identités différentes : la Tripolitaine, la Cyrénaïque et le Faisan. Nous ne devons pas décider pour les Libyens. Nous devons être en Libye pour une très courte période dans le but de protéger les populations. Nous ne devons pas nous décider de la destinée de la Libye et laisser aux libyens le soin de décider de leur futur.
Comment réagissez, en tant que homme d’influence et de pouvoir, à propos des horreurs décrits par cet auditeur ?
C’est bien pour cela que la communauté internationale a décidé de voter la résolution 1973, pour donner une véritable impulsion à l’assistance humanitaire et à l’aide aux populations au sol. Nous devons rester fidèles à la mission principale, nous devons rester fidèles à une interprétation très restrictive de la résolution. Nous n’allons pas en guerre contre le colonel Kadhafi comme nous ne sommes pas intervenus dans la révolution tunisienne ou égyptienne.
Et pourtant, des personnes qui regardent cette émission diront que vous êtes déjà en guerre contre le colonel Kadhafi…
Je pense que nous devons distinguer une intervention militaire et un mandat des nations unies sans objectifs militaires. Le but est humanitaire pour protéger les populations et c’est pour cela que nous devons éviter d’aller loin dans l’utilisation de la force. Aller en guerre est complètement différent, utiliser la force pour renverser Kadhafi n’est pas le mandat des nations unies.
Un auditeur : les nations unies disent protéger le peuple et pourtant Kadhafi massacre la population tous les jours, à l’instar de Misrata ou Tripoli. Les Libyens ont besoin d’une solution rapide… Quand considérerez-vous que cette opération est une réussite ? L’OTAN dit que cette opération prendra 90 jours… Combien de temps pensez-vous que cela durera ?
Il est très difficile d’estimer le temps qu’il faudra pour aller au terme de cette opération et la condition du succès est l’arrêt des massacres par le colonel Kadhafi. C’est bien l’objectif fixé et il n’est pas question d’avoir un autre type d’intervention de la part de la coalition, ni par les airs, ni par le sol.
A propos de la position américaine, de ne pas se mettre en première ligne et la division européenne sur l’intervention… La France et l’Allemagne n’ont pas de position commune sur l’intervention.
La décision américaine est une sage décision. Les Etats-Unis ne sont pas bien perçus dans le monde arabe à cause de la politique de l’administration Bush qui a connu beaucoup rejet. Jusqu’à aujourd’hui, nous pouvons en voir les conséquences. C’est donc une sage décision, de la part des Etats-Unis, d