Dominique de Villepin, ancien Premier ministre, commente l’enquête Harris Interactive plaçant Marine Le Pen en tête du premier tour pour 2012.
Le Parisien: Notre journal a publié hier un sondage dans lequel Marine Pen arrive, pour la première fois, tête au premier tour des intentions de vote pour 2012. Le risque est-il réel, selon vous ?
Dominique de Villepin: Au-delà des précautions face à ce sondage par Internet, il faut d’urgence saisir l’avertissement. Il y a aujourd’hui une montée des peurs, qui s’explique par la crise économique, par la crise sociale et par les transformations du monde. Les Français ont le sentiment que l’action du gouvernement n’y répond pas. Dans ce contexte, il faut être très prudent et porteur de vrais espoirs. Car le piège du Front national, c’est d’être le parti des peurs.
Pourquoi cette insatisfaction profite-t-elle à Marine Le Pen et non à l’opposition ?
Les partis de gouvernement se contentent d’ajustements à la marge et de politiques accessoires loin des préoccupations des Français, à l’heure d’une profonde incertitude économique et sociale. Mais où sont leurs réponses concrètes ? C’est une vraie refondation de notre action publique qui est nécessaire, qui permette à la politique de retrouver le contact avec la réalité.
A quatorze mois de la présidentielle , la majorité peut-elle encore inverser la tendance ?
Le gouvernement peut se sentir en difficulté sur le terrain économique et social. En réinvestissant le champ symbolique identitaire, il a espéré se refaire. Manque de chance, c’est justement un thème que le Front national s’est approprié ! En ouvrant des débats incontrôlés et incontrôlables sur l’identité nationale, sur les Roms, sur l’Islam, la majorité a, au contraire, servi la monté du Front national puisqu’elle a alimenté les peurs, et se retrouve dans l’impasse.
Vous voyez Sarkozy ce matin , lui tiendrez-vous ce discours ?
Il a demandé à me voir avant le conseil européen extraordinaire pour lequel j’ai plaidé lors de notre rencontre. Je vais continuer à faire des propositions. L’Europe doit notamment créer un statut privilégié pour les Etats en transition démocratique comme je le propose depuis plusieurs semaines.
Ce deuxième rendez-vous en quinze jours veut-il dire qu’il y a un rapprochement entre vous ?
Cela veut dire qu’il y a d’énormes difficultés ! Mon indépendance, je l’ai clairement affirmée. Cela ne saurait interdire, au contraire, d’aider mon pays, face à d’aussi graves défis sur le plan extérieur ou intérieur.
François Bayrou vous tend la main pour construire un rassemblement démocrate et républicain. A deux, vous réunissez entre 15% et 20% des intentions de vote …
En tant que gaulliste, je crois que chacun doit agir conformément à sa vision et à partir de son expérience. Dans le contexte actuel, le réflexe de l’union sacrée est tentant. Mais je crois que la logique de front ou de bloc n’aurait qu’un seul effet, celui de radicaliser un peu plus les choses au profit du Front national.
Votre ancienne porte-parole, Marie-Anne Monchamp, désormais membre du gouvernement, vous appelle à ne pas être candidat en 2012, pour ne pas favoriser la candidature le Pen …
Qui peut croire que taire les différences fera reculer l’extrémisme ? Pourquoi ceux qui, comme moi, ont tiré depuis quatre ans la sonnette d’alarme devraient-ils s’effacer ? S’engager, cela ne relève pas du désir personnel ou de l’ambition, c’est à mon sens un devoir de responsabilité.
Source: Le Parisien (propos recueillis par Nathalie Segaunes)