Dans ce billet, le communiqué de Dominique de Villepin jeudi, ainsi que le verbatim de son intervention sur France Culture lors de l’hommage rendu à Edouard Glissant vendredi.
Le Communiqué de Dominique de Villepin (Jeudi 3 février)
« Edouard Glissant nous a quittés. Je perds avec lui un ami cher. Nous perdons tous avec lui un citoyen de l’universel à la vision et au verbe prophétiques et un inventeur de langues et d’images enraciné dans les mots du pays natal, la Martinique.
Il a œuvré avec acharnement, avec toute la révolte qui l’habitait, à la réconciliation d’un monde déchiré. A partir de l’expérience de son île et au moyen d’une culture prodigieuse capable de s’approprier le monde, Edouard Glissant s’est fait le passeur charnel d’un monde en archipel, dans lequel le métissage devenait la loi du changement et de la réparation. Sa poésie accueillait la créolité sans s’y réfugier mais pour en faire l’une des expériences intimes de l’humanité commune et préparer dans le secret de la page la créolisation du monde.
Enseignant sublime, il a passionné des générations d’étudiants et a su leur insuffler le goût de l’absolu, la rigueur de la pensée et de son application aux choses concrètes du monde, parce qu’il avait la conviction que tous les combats justes se construisent par la pensée, depuis sa réflexion sur la décolonisation et son travail sur la mémoire de l’esclavage jusqu’à ses prises de position sur le racisme et sur la question noire aux Etats-Unis, où il a longtemps enseigné. L’Institut du Tout-Monde qu’il a créé en 2007 incarne cet engagement et saura prolonger son œuvre au-delà de sa disparition.
Son exigence était celle d’unir toujours les mots aux actes, de ne jamais renoncer au présent et à l’urgence des engagements, de ne jamais renier les souffrances et les luttes, mais d’aller de l’avant. »
Dominique de Villepin
Président de République Solidaire
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Dominique de Villepin sur France Culture (Vendredi 4 février)
Vous pouvez réécouter l’intervention de Dominique de Villepin en cliquant ici, en toute fin d’émission.
Dominique de Villepin, quel est l’art que pratiquait Edouard Glissant? La poésie, la politique ou la poétique?
C’est d’abord pour moi un art de l’humanité, de la fraternité ou plutôt des humanités. On voit en l’écoutant, et c’est pour moi très émouvant, à quel point le tremblement de sa voix met en branle à la fois les mots et le monde.
C’est d’abord une conscience, une très grande conscience, qui nous a quittés et qui nous lègue cette conviction que la solitude de notre culture, la solitude de notre identité, la solitude de notre monde est immense, si nous ne sommes pas capables de nous ouvrir à l’autre, à d’autres cultures, à d’autres mondes.
C’est donc d’abord un message d’espoir et c’est pour ça que je rejoins Edwy Plenel quand il affirme, dans un magnifique hommage qu’il a rendu à Edouard Glissant, il affirme que c’est un penseur pour ce nouveau siècle, c’est un penseur pour demain. C’est quelqu’un qui nous ouvre les chemins, c’est quelqu’un qui nous rend plus forts, plus grands, c’est quelqu’un qui nous arme de cette idée qu’entre les empires, qu’entre les puissants, il y a des poussières fécondes qui agrandissent notre regard.
Alors, une anecdote, Dominique de Villepin, pour mieux comprendre l’homme Edouard Glissant. Vous êtes Ministre de l’Intérieur, donc au milieu des années 2000, et il vient vous rendre visite au ministère. Et il paraît qu’il vous a demandé de le raccompagner jusqu’aux grilles du ministère. Pourquoi?
C’est Edouard, c’est un homme qui ne s’enferme jamais et qui, pour plus de sécurité, éprouve le besoin d’un compagnon pour être sûr. (…) Il avait de très mauvais souvenirs et son inquiétude de l’enfermement, du repli sur soi, cette menace qui guette faisait qu’il se sentait plus en sécurité avec une main amie le conduisant jusqu’aux grilles.
(…)
C’est quoi cette expression, ce terme de créolisation qui revenait si souvent dans la bouche et sous la plume d’Edouard Glissant?
C’est le formidable hommage qu’il rend à cet univers caraïbe. Tous ces hommes, toutes ces femmes qui, souffrant de la traite, sont venus jusque dans ces îles, du ventre des galions jusqu’au ventre des plantations et qui ont connu cette peur terrible dans les cales des ces bateaux, de cette nuit noire, de cette nuit sans lumière, mais qui, à travers des mots, des mots qui s’ignoraient les uns les autres, à travers des expériences, à travers des imaginaires ont réussi à reconstruire une langue, un imaginaire, une vie commune et partagée.
C’est l’idée que, entre les uns et les autres, ce partage peut féconder un regard, féconder une culture, féconder un avenir. Il est d’abord pour moi le penseur de la réconciliation entre toutes les identités, entre toutes les humanités et c’est en cela qu’il est un homme de l’avenir.
(…)
Alors autre engagement et autre magnifique texte, co-signé par Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau, le texte « L’intraitable beauté du monde, Adresse à Barack Obama », publié aux éditions Galadde. Un texte magnifique, j’imagine, pour un politique, Dominique de Villepin?
Oui, magnifique, mais surtout exemplaire, parce qu’Edouard Glissant est un homme visionnaire, mais c’est aussi un homme de la vigilance. Il ne laisse pas les choses se faire. Il part de la conviction que nous sommes tous des consciences en marche et que nous avons tous la responsabilité de faire en sorte qu’une expérience historique comme celle de Barack Obama réussisse.
Et donc il s’adresse au Chef de l’Etat le plus puissant du monde pour le rappeler à un devoir d’humanité, à un devoir du monde et en cela oui, il est vraiment la vigie, la conscience en mouvement, la conscience en marche dont notre monde a besoin.
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Edouard Glissant
Né le 21 septembre 1928 à Sainte-Marie en Martinique et mort à Paris le 3 février 2011 est un écrivain, poète et essayiste français.
Fondateur des concepts d’« antillanité », de « créolisation » et de « tout-monde », il était « Distinguished Professor » en littérature française, à l’université de la Ville de New York et président de la mission de préfiguration d’un Centre français consacré à la traite, à l’esclavage et à leurs abolitions.
Source: Wikipédia