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Tribune de Dominique de Villepin dans Libération: "Moderniser et refondre la République"

Pourquoi la politique déçoit-elle toujours ? Pourquoi l’Etat est-il impuissant ? Pourquoi un tel sentiment de dislocation de la nation et de la République ? Nous traversons une crise de régime comme la France en connaît une ou deux fois par siècle. C’est ma conviction de gaulliste et de républicain. C’est mon expérience de serviteur de l’Etat et de Premier ministre.

Nous nous accommodons de pouvoirs si enchevêtrés qu’une chatte n’y retrouverait pas ses petits. Pourquoi ? Parce que nous n’avons jamais eu l’audace d’aller jusqu’au bout de la République. Nous avons choisi les petits compromis. Nous avons décentralisé mais en retenant les compétences avec un élastique. Nous avons fait le choix de l’Europe, mais sous le manteau.

Ne nous y trompons pas, il y a bien deux voies, celle des aménagements à la marge, avec un peu plus de démocratie participative, délibérative ou représentative ici ou là, au risque de toujours plus de complexité, et de l’autre côté la voie de la refondation, fidèle à l’esprit de notre République. C’est pourquoi nous proposons avec République solidaire un large rassemblement autour d’une grande refondation en douze points.

Allons jusqu’au bout de la séparation des pouvoirs.

1) Coupons le cordon entre l’exécutif et le judiciaire en soumettant le parquet à un procureur de la nation indépendant, nommé par le Conseil supérieur de la magistrature et investi par le Congrès.

2) Coupons le lien entre les intérêts économiques et les médias, en interdisant le contrôle d’un média par une entreprise liée à la commande ou à la régulation publique.

3) Renforçons le Parlement. Il sera plus représentatif par le recours à une dose de proportionnelle, plus efficace par l’interdiction stricte du cumul des mandats et plus audible par une réduction de plus d’un tiers du nombre de sièges aux deux assemblées.

Allons jusqu’au bout de la décentralisation.

4) Créons, à la place de la mosaïque illisible, huit à dix grandes régions aux compétences élargies : environnement, aménagement du territoire, enseignement supérieur, recherche.

5) Réunissons les présidents de régions en un Conseil territorial régulier, présidé par le président de la République.

6) Garantissons l’autonomie et la solidarité entre les territoires en matière de fiscalité, selon la règle : celui qui décide paye.

Allons jusqu’au bout de la modernisation de l’Etat.

7) Resserrons l’Etat autour de ses fonctions régaliennes et républicaines d’autorité et de cohésion sociale en constituant moins de dix grands ministères contrôlant vraiment leurs administrations.

8) Unifions la fonction publique d’Etat pour plus d’efficacité et de cohérence des administrations.

9) Adoptons une programmation stratégique de l’emploi public au lieu de règles comptables absurdes comme le non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux.

Allons jusqu’au bout du suffrage universel.

10) Relançons le recours aux référendums, tant à l’échelon national qu’à l’échelon local.

11) Redonnons de la légitimité aux divers échelons exécutifs. Le suffrage universel direct doit être la règle, pour les présidents de région comme pour le président du Conseil européen.

12) Donnons le pouvoir à des conseils de quartiers élus au suffrage universel de piloter des projets territoriaux pour le développement des quartiers sensibles.

Voilà la condition de la renaissance de l’esprit républicain et de la citoyenneté en France, l’union entre la République de la confiance et de l’audace de Jaurès et l’esprit de Bayeux du général de Gaulle, plaçant l’autorité et la stabilité de l’Etat au cœur de la République. Nous pourrons alors fortifier la «république intérieure» en chaque citoyen grâce à un service citoyen, obligatoire pour les jeunes mais ouvert à tous, à tout âge. Nous pourrons faire vivre nos principes de liberté, d’égalité, de fraternité et de laïcité, en luttant contre les discriminations, notamment grâce à des parcours intégrés vers les concours de la fonction publique au sein des lycées de ZEP et des universités.

Dominique de Villepin, Ancien Premier ministre

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