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A l'Assemblée Nationale, Dominique de Villepin s'exprime sur la politique de la ville


Dominique de Villepin sur la politique de la ville
envoyé par clubvillepin

Dominique de Villepin intervenait, ce lundi, à l’Assemblée Nationale, à l’occasion d’une réunion de République Solidaire qui était consacrée à la Politique de la Ville: « on constate à quel point ce sujet reste un sujet idéologique dans le débat politique, avec un fort clivage droite-gauche qui laisse chacun sur ses positions. Or c’est bien ça, l’enjeu de 2012: faire passer ce sujet de problème, de peur, de bouc-émissaire à la colonne solution, à la colonne action, à la colonne mobilisation », a-t-il déclaré, avant de citer l’école, la sécurité, la rénovation urbaine et l’emploi comme les problèmes essentiels des banlieues aujourd’hui.

Dans une allusion à peine voilée au Président de la République, Dominique de Villepin a également mis en garde contre une « politique guidée par la peur »: « une politique guidée par la peur, c’est souvent une politique qui cède à la surenchère et qui tombe dans le panneau de la confrontation des électorats: pour gagner des électeurs de droite ou d’extrême-droite, eh bien, on est amené à occulter certain des problèmes cruciaux que vivent nos concitoyens », a-t-il souligné.


L’intervention de Dominique de Villepin

« Nous avons besoin de débats et l’appétit qui est le vôtre est pour nous une source de satisfaction immense. Merci à François Goulard d’avoir présenté aussi rapidement et clairement les grandes lignes de son rapport sur un sujet qui nous rassemble ce soir et qui est un sujet, à l’évidence, d’intérêt général.

Il n’est pas inintéressant de constater le chemin parcouru par le sujet lui-même au sein de la politique. Pendant très longtemps, cela a été un enjeu de la politique quotidienne, traité par tous les Maires situés sur la ligne de front, traité par tous les experts, tous les spécialistes. Mais ce sujet n’atteignait pas la dimension globale de politique générale.

Or malheureusement, on voit aujourd’hui combien ce sujet (l’enjeu des banlieues, l’enjeu de la politique de la ville) est au coeur des préoccupations de la plupart des citoyens et de la plupart des responsables politiques, mais malheureusement pour de mauvaises raisons. C’est un sujet qui est au coeur des peurs, qui est au coeur des échecs et qui est au coeur de l’impuissance de notre Etat.

Il suffit de regarde en effet pourquoi ce sujet aujourd’hui intéresse. Alors, pour de bonnes raisons. L’impuissance que nous constatons et la mesure ou l’absence de mesure des progrès au fil des années le traduit bien, que l’on prenne le cas de la sécurité, que l’on prenne l’emploi, que l’on prenne les discriminations (autant de preuves de l’aggravation des choses malheureusement sur l’ensemble de notre territoire), que l’on prenne les peurs (les banlieues vues à travers la montée de l’islamisme, les banlieues vues à travers la montée des trafics, des réseaux, sujets de délinquance majeure): à chaque fois, on constate que ces sujets sont évoqués, mais sans beaucoup de solutions ni de pistes de solutions.

En d’autres termes, ils sont évoqués ces sujets pour faire peur, comme boucs-émissaires d’autres grands problèmes et pour mieux être refermés et passer à quelque chose d’autre. On ouvre la fenêtre et on la referme immédiatement pour constater qu’il y a peu d’autres solutions que de laisser aux portes des villes ces sujets brûlants.

De la même façon, on constate à quel point ce sujet reste un sujet idéologique dans le débat politique, avec un fort clivage droite-gauche qui laisse chacun sur ses positions. Or c’est bien ça, l’enjeu de 2012: faire passer ce sujet de problème, de peur, de bouc-émissaire à la colonne solution, à la colonne action, à la colonne mobilisation. Alors il y a quand même un élément de satisfaction: c’est qu’aujourd’hui le problème des banlieues dans notre pays, c’est le problème de tous: soit, je le redis, que ce sujet fasse peur, soit que l’on craigne la contamination, soit au contraire qu’on souligne à quel point c’est un élément-clé de notre pacte républicain. Et c’est de là que je voudrais partir.
Les banlieues, c’est essentiel, parce que c’est la preuve des insuffisances, des limites, des échecs, des défis que nous avons à relever à travers notre pacte républicain. Nous sommes là devant un devoir français, un devoir national et un devoir d’engagement de chaque citoyen, et pas uniquement de ceux qui subissent malheureusement les errements de notre politique.

Enjeu républicain, d’abord parce que nous voyons les attaques portées aux principes: principe d’unité de traitement sur le territoire, principe d’égalité des citoyens devant la loi, principe d’égalité des chances, principe de justice, principe de laïcité. Autant de grands principes républicains où l’on voit immédiatement les entorses, où l’on voit immédiatement les promesses de la République ne pas être tenues.

Et malheureusement les choses se jouent très tôt dans la plupart des banlieues, quand on voit dès l’école que la réponse qui est apportée aux citoyens n’est pas la même. Dès l’école, on voit à quel point les cadres qui avaient été posés il y a bien longtemps (les ZEP, les zones d’éducation prioritaire), eh bien, n’ont pas évolué avec le temps pour suivre les problèmes qui étaient posés. Là où il y avait plus de problèmes, on aurait dû mettre davantage de moyens, davantage d’attention, davantage de suivi et de mesure des progrès éventuels. Rien de tout ça n’a été fait et les quelques maigres moyens supplémentaires ne sont pas véritablement révélateurs d’un engagement fort de l’Etat et de la Nation sur ces grandes questions. Donc le point de départ qui est une inégalité de situations à travers le territoire se traduit immédiatement par une aggravation: dès l’école, on constate une aggravation par manque d’égalité des chances.

Alors, posons quelques questions et ouvrons le débat ! Première question: est-ce qu’il faut traiter les problèmes de ces territoires comme le reste du territoire? Est-ce qu’il y a un problème de gouvernance spécifique qui se pose? On a voulu traiter pendant très longtemps, pendant des décennies, ces problèmes d’en haut ou à travers des grands Plans, jusqu’à imaginer un grand Plan Marshall qui n’est pas venu. Est-ce que c’est la bonne méthode? Est-ce que c’est à partir d’une vision nationale qu’il faut aborder cette question ou est-ce que la gouvernance doit être posée en termes spécifiques, territoire par territoire, avec un engagement très fort des citoyens? Pourquoi pas imaginer des Conseils de quartier élus qui seraient susceptibles de traiter les questions à partir de situations locales, de données locales, d’expériences locales avec les citoyens? Donc première question: la question de la gouvernance.

Deuxième question: les problèmes et les défis auxquels nous sommes confrontés dans ces banlieues. A mon sens, la première question, c’est bien sûr l’école, parce qu’on voit que tout découle de l’insuffisance de la réponse apportée en matière scolaire. Et on voit surtout que l’école est le concentré de tous les problèmes: violence scolaire, difficultés d’apprentissage de la langue, problèmes de discipline, absentéisme … Aujourd’hui, nous n’abordons ces questions que par le biais ou plutôt par le biais répressif, y compris à travers la suppression et la suspension des allocations familiales qui vient d’être renouvelée et mise en place, passée la loi de 2004.

Je crois que cela fait partie des questions que nous devons nous poser comme le traitement des violences à l’école: faut-il ou pas une présence armée, comme c’est le cas maintenant dans certaines écoles? Quels types de traitement, quels types d’accompagnement pour ces écoles qui rencontrent parfois, ou souvent, le plus de difficultés? Est-ce qu’il faut prévoir des changements spécifiques dans l’encadrement scolaire pour ces quartiers? J’avais proposé de créer un corps d’enseignants spécialisés, référents dans chacune de ces écoles qui bénéficieraient d’un statut particulier, qui seraient mieux payés, qui seraient plus expérimentés et qui pourraient accompagner les autres professeurs présents dans ces écoles.

Deuxième problème essentiel: le problème de la sécurité. François Goulard l’a évoqué. Est-ce que les méthodes, les moyens mis à la disposition des territoires ne doivent pas être renouvelés, faire l’objet d’un traitement particulier dans ces quartiers et se pose donc la question d’un renouvellement de la police de proximité, en en tirant les leçons, en l’aménageant, en l’adaptant au-delà de cette approche par force et qui évidemment ne prend pas en compte la dimension d’attente, la dimension d’accompagnement, la dimension d’écoute, la dimension de prévention pour entrer d’emblée dans une logique de sanction et de répression, alors même que nous sommes souvent devant des populations, devant des jeunes qui n’ont pas reçu le cadre, qui n’ont pas reçu les repères, qui ne connaissent pas le mode d’action, le mode d’emploi pour se fixer et se gui
der. Il y a donc, à mon sens, de ce point de vue, de la part de nos forces de sécurité, de la part des forces de police, tout un travail d’accompagnement qui ne peut s’accommoder de la seule répression et qui souvent s’appuie par ailleurs sur une logique de discrimination qui est d’autant plus insupportable et qui fait rejeter d’autant ces forces de sécurité. Donc je crois que là, des forces non préparées ne peuvent pas agir de la même façon en Corrèze, en Lozère et en Seine Saint Denis. Il y a là, par définition, une adaptation spécifique à des missions spécifiques, à des situations spécifiques donc qui doit être mis en oeuvre.

La question de la rénovation urbaine est intéressante, parce que nous l’avons traitée par le biais de l’immobilier, par le biais de la construction. Il y a donc bien évidemment tout un accompagnement qui doit aller derrière, un accompagnement humain, un accompagnement sur le plan de l’urbanisme, sur le plan des activités, sur le plan des transports qui aujourd’hui encore fait défaut. Des quartiers totalement enclavés, des quartiers sans liens avec les centre-villes et évidemment des quartiers vidés ne s’organisent pas de la même façon et cela fait partie des sujets que nous devons être capables de traiter.
L’emploi: nous ne pouvons pas nous accommoder d’avoir, dans certains quartiers, 30, 40, 50% de jeunes au chômage, parfois de jeunes très diplômés qui sont la preuve des insuffisances de notre promesses républicaine. Nous devons là aussi poser la question de la réponse que nous apportons, de la réponse spécifique que nous pouvons apporter comme la réponse économique. Les zones franches ont permis de marquer des points, mais montrent aussi leur limite. Comment faire pour arriver à traiter ces quartiers de façon spécifique? J’ai posé la question: pourquoi pas une agence de développement économique? Nous traitons la question sociale, nous traitons la question urbaine. La question économique mérite d’être traitée et elle est parfois le point de départ de beaucoup d’autres problèmes. Il y a donc un traitement spécifique qui doit être fait de cette question.

Donc, autant de sujets qui doivent être abordés. Et moi, ce qui m’intéresse, c’est le témoignage qui est le vôtre, ceux qui sont confrontés à ces questions, ceux qui participent à des associations, ceux qui ont vécu des expériences qui leur permettent d’éclairer le chemin que nous devrions prendre au-delà, une fois de plus, de l’approche par trop dogmatique, idéologique et trop nourrie par la peur qui guide les partis politiques dans ce domaine, sachant qu’une politique guidée par la peur, c’est souvent une politique qui cède à la surenchère et qui tombe dans le panneau de la confrontation des électorats: pour gagner des électeurs de droite ou d’extrême-droite, eh bien, on est amené à occulter certain des problèmes cruciaux que vivent nos concitoyens.

Donc notre devoir, c’est bien de faire vivre ce pacte républicain et aujourd’hui, nous attendons, et on attend de nous, que nous soyons capables de fournir la preuve, là où c’est difficile, là où c’est plus difficile (et c’est le cas des quartiers) que cette promesse républicaine est capable d’apporter une réponse, au-delà de l’impuissance que nous constatons de l’Etat, des collectivités qui évidemment nous interpellent tous.

Donc ce que je souhaiterais, c’est que notre débat nous permette, sur l’ensemble de ces sujets, d’éclairer des pistes, d’éclairer des raisonnements, d’éclairer des analyses de façon à nourrir notre projet. Merci. »

Dominique de Villepin – Salle Colbert – Assemblée Nationale – Le lundi 24 janvier 2011

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