La suite de l’intervention de Dominique de Villepin dans l’émission Mots Croisés sur France 2, lundi dernier…
Dominique de Villepin a tenu à souligner la complexité de la lutte contre le terrorisme:
« Nous sommes l’ancienne puissance coloniale. (…) C’est l’histoire, mais c’est une histoire qui reste très prégnante dans l’ensemble de cette région. Donc nous restons la grande puissance et donc un interlocuteur majeur ou un ennemi majeur pour beaucoup de ces groupes. Il est donc essentiel que nous ne cédions pas et que nous ne tombions pas dans un jeu de rôle idéologique face à ces pays et ces organisations.
Le discours idéologique de la France, défenseur de l’Occident, chef de file de la guerre contre le terrorisme, c’est un discours qui renvoie à une certaine vérité en ce qui concerne ces groupes. De ce point de vue-là, notre discours doit rester un discours divers, un discours non militaire et un discours mesurant la complexité des situations.
Et moi, je voudrais insister sur ce point-là, parce qu’il nous donne une partie de la solution dans la lutte contre le terrorisme. Je suis le terrorisme comme diplomate depuis le début des années 80. Et c’est une constante: le terrorisme est fait de complexité et de diversité. (…) Derrière la terreur et derrière le terrorisme, il y a des nébuleuses très diverses faites de réseaux très divers et très complexes et donc très différents. Et il faut savoir analyser les différentes couches, les différents éléments d’intérêts.
Il y a des dimensions locales extrêmement fortes. Il y a un élément mafieux qui existe dans un certain nombre de cas, parce qu’il faut des financements importants. Il y a des dimensions politiques et idéologiques fortes, et c’est vrai que si on s’arrête à l’idéologie, quand on voit la revendication de ces groupes (que la France quitte l’Afghanistan, que la France abandonne le sud-Liban, que la France renonce à la burqa), on se dit: il y a pas de dialogue possible, il y a pas d’issue possible !
A la vérité, il faut se rappeler donc la complexité pour tirer tous les fils, et c’est là que je voudrais quand même donner un message d’espoir aux familles des otages. Je ne crois pas que toutes ces situations soient sans issue: chaque cas est particulier, chaque fil doit être tiré et il y a dans toutes ces nébuleuses des hommes. »
Dominique de Villepin a insisté sur l’importance capitale d’une meilleure coordination des politiques de renseignement des grandes puissances occidentales:
« Il faut donc partir de cette réalité pour concevoir que face au terrorisme, la première clé, c’est le renseignement. Le renseignement, la coordination de l’information: savoir qui est qui, qui fait quoi, qui est passé par où, quelle est la femme de qui, qui est l’enfant de qui, ce qui s’est passé dans l’histoire personnelle de telle et telle de ces personnes… Ca, c’est le premier travail que nous devons faire: réunir le maximum de renseignements.
La deuxième chose, c’est comment coordonner ce renseignement: nous avons des informations, les Anglais ont des informations, les Américains ont des informations. Il faut être capable de traiter tout cela. Après, il y a les outils, les instruments. L’armée, la force, ce n’est qu’un des outils possibles, mais nous devons en user avec beaucoup de précautions. La clé, c’est être capable de s’adapter en permanence, être à l’écoute, laisser venir à soi les informations, ne pas réagir idéologiquement, ne pas sur-réagir. (…)
Soyons modestes, soyons humbles, mais faisons ce travail essentiel. Dans la lutte contre le terrorisme, la clé, c’est le travail. »
L’ancien Premier Ministre a souligné l’importance du temps dans la gestion des conflits de nature terroriste:
« La tentation, c’est de vouloir aller vite. (…) A la vérité, une grande partie de la solution, c’est la gestion du temps. Les Américains quand ils ont été en Irak, ils ont voulu prendre le raccourci de la guerre et de l’intervention armée, en pensant enclencher un cercle vertueux. Moi, je suis convaincu que gérer le temps, savoir accroître ses informations face à nos cibles et face à nos adversaires nous permet d’avoir des éléments de réponse, de trouver des compromis et, à partir de là, de trouver des solutions.
Donc, la gestion de l’information, la gestion des hommes, l’écoute, la tolérance, le respect, éviter les pièges. Et à chaque fois que nous faisons de l’idéologie vis-à-vis de peuples pauvres, de peuples qui nous perçoivent en pays riches, donneurs de leçons, ayant commis beaucoup d’exactions dans leur propre pays, qui exploitons les richesses de ces pays (…) »
Dominique de Villepin a insisté sur la nécessité de l’aide au développement comme moyen de lutte contre le terrorisme:
« Je souhaite que nous apportions une contribution plus importante au développement social et économique. Si nous voulons peser dans cette région, si nous voulons lutter contre le terrorisme, participons à un développement mieux organisé. Faisons en sorte, quand nous soutenons des Etats, que ces Etats aient des comptes à rendre à leur peuple. Nous sommes aujourd’hui malheureusement à faire des choix manichéens et en pensant qu’il faut être aveuglement derrière des pouvoirs qui sont souvent considérés comme illégitimes.
La politique et la diplomatie, c’est d’être juste, y compris vis-à-vis de pays qui souffrent. (…)
Je pense que si nous n’y prenons pas garde, si nous ne déminons pas des situations politiques, économiques et sociales, nous nous retrouvons du côté des méchants, comme nous sommes du côté des méchants en Afghanistan. Et que nous devons privilégier des stratégies économiques et sociales sur des stratégies militaires. Nous fonçons tête baissée, avec le sentiment que nous avons la vérité révélée, que nous allons faire le bonheur de ces peuples malgré nous, alors que historiquement, nous avons beaucoup contribué à nous comporter en prédateurs. Il faut donc corriger cette situation. »
Pour Dominique de Villepin, la jeunesse doit être la cible de toutes les attentions occidentales:
« Le grand enjeu de cette région (Maghreb et Sahel), c’est la jeunesse. Et cette jeunesse, il ne faut pas qu’elle désespère de nous. »
L’ancien Premier Ministre a conclu son intervention sur la lutte contre le terrorisme en appelant à un changement de politique:
« C’est un vrai changement de politique que la France doit engager. (…) De politique au sens large: politique de développement, politique de coopération. Nous ne prenons pas suffisamment en compte les populations de ces pays. Le drame de la Françafrique, c’est que c’est d’abord un dialogue entre des responsables politiques français et des responsables politiques dans ces Etats qui confisquent souvent très largement une partie du pouvoir.
Nous devons prendre en compte le changement profond qui intervient dans ces pays. On a parlé de démocratie, on leur a appris la démocratie, on leur a vendu la démocratie et elle est peu pratiquée, y compris par nous-mêmes. (…) Il n’est pas interdit de regarder en arrière et de faire une autocritique. Moi, j’ai commencé ma carrière sur l’Afrique. Donc je suis, peut-être plus que d’autres, sensible au fait que la politique de la France n’a pas suffisamment changé d’âge. Et ça veut dire accompagner les jeunes générations, leur donner des raisons de croire.
Je prends le cas du Maghreb, parce que nous sommes dans une situation totalement nouvelle au Maghreb qui va conditionner la situation du Sahel. Il y a une chance historique de changer la donne vis-à-vis de l’ensemble du Maghreb.
Quand vous pensez que le Maghreb, c’est quoi, c’est 1,5%, 2% du commerce qui est fait entre ces Etats, alors que l’Union Européenne, c’est 40% du commerce fait entre les Etats de l’Union Européenne. Ca veut dire que le manque à gagner au sein du Maghreb sur le plan économique chaque année, c’est 30 milliards d’euros. Eh bien la France doit encour
ager des grands projets inter-maghrébins sur le plan des infrastructures (TGV, autoroutes), des grands projets dans le domaine sanitaire, universitaire, des universités pour ces régions. Et la France doit apporter sa contribution, donner l’exemple. (…)
Aujourd’hui, quand vous êtes une grande entreprise française, vous ne devez pas uniquement penser économie, développement de votre entreprise, mais projets sociaux qui peuvent servir et accompagner ce pays. Donc c’est un changement de mentalité: on ne peut plus aller en Afrique et se soucier uniquement de gagner de l’argent, parce que ça veut dire que qu’il faut que cet argent soit mieux réparti et donc accompagner le développement de ces populations, des villages et de l’ensemble des pays concernés. »
Interrogé enfin sur l’Afghanistan, Dominique de Villepin a souhaité une accélération du calendrier de retrait des troupes françaises:
« Nous n’avons pas su prendre le tournant en Afghanistan quand nous avons vu que cette politique ne donnait pas des fruits, quand nous avons vu que cette politique suscitait un profond rejet de la part de la population. Et aujourd’hui, nous nous berçons d’illusions en pensant que les choses s’améliorent. Je regarde les comptes-rendus d’un certain nombre de responsables militaires des différents pays. On veut croire que la situation s’améliore: ce n’est pas vrai !
La situation ne s’améliorera en Afghanistan que quand les pays occidentaux, et je souhaite que la France soit chef de file, diront à Monsieur Karzaï: « nous partirons dans quelques mois et nous souhaitons transmettre la responsabilité à votre gouvernement. A partir de là, prenez vos responsabilités ! ». Vous verrez qu’alors, du jour au lendemain, le Président Karzaï sera obligé d’élargir sa base politique, de composer avec ceux qui sont aujourd’hui ses ennemis, ce qu’il fait d’ailleurs très largement pour des raisons mafieuses avec un certain nombre de clans dans le pays, et surtout vous serez alors étonnés de voir que l’ensemble des pays de la région qui nous observent goguenards (je pense à des pays comme l’Iran, je pense à des pays voisins, le Pakistan, l’Inde qui ne sont pas du tout de la partie) considérer que c’est bien leur problème parce qu’ils ne veulent pas d’un Afghanistan qui, les Occidentaux partis, devienne alors un véritable bourbier. Alors, ils commenceront aussi à partager le fardeau. Aujourd’hui, aucun de ces pays ne participe militairement en Afghanistan. Il n’y a que des forces étrangères occidentales.
Donc il faut un double processus: un processus de politique intérieure afghane de responsabilité (…) et il faut placer les pays de la région devant leurs responsabilités et faire en sorte que ce problème soit aussi leur problème et pas uniquement notre problème.
Nous sommes aujourd’hui dans la situation de potiches, boucs-émissaires, cibles de l’ensemble de ces mouvements et nous sommes joués par les uns et par les autres: joués par le gouvernement afghan, joués par les Etats de la région et joués par les talibans. Nous sommes les dindons de la farce. »