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Jacques Chirac aux Journées Européennes du Développement: "L'Afrique est un géant en devenir"

Près d’un an après l’Appel de Cotonou contre les faux médicaments, lancé le 12 octobre 2009, la Fondation Chirac a organisé à l’invitation de Louis Michel, ministre d’Etat et député européen belge, une conférence, mardi 7 décembre 2010, sur le rôle de l’Union européenne dans la lutte contre les faux médicaments lors des Journées européennes du développement auxquelles ont participé près de 5000 personnes.

A cette occasion, le Président Jacques Chirac a prononcé un plaidoyer en faveur de l’Afrique.

« Messieurs les Présidents,

Cher Thomas Boni Yayi,

Monsieur le Premier ministre Madhav Kumar Nepal,

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Monsieur le Ministre, Cher Charles Michel,

Mesdames, Messieurs,

Dans quelques jours s’achèvera la première décennie de ce XXIème siècle. Elle a vu naître un nouvel ordre mondial dont on a encore du mal à dessiner les contours ; elle a subit une crise financière qui a ébranlé les fondements de l’économie ; elle a dû affronter une montée des terrorismes.

La mondialisation, qui s’affirme, a conduit aussi à l’émergence de nouvelles puissances comme le Brésil, la Chine ou l’Inde.

Ces pays sont devenus des acteurs majeurs, partenaires à part entière de l’Europe et des Etats-Unis.

Ils doivent prendre toute leur part dans ces nouveaux équilibres qui amènent, aussi, de nouvelles responsabilités.

Au regard de ces progrès, l’Afrique est au milieu du gué.

Sa place dans la mondialisation reste à consolider.

Je remercie la Commission européenne et la Présidence belge du Conseil de l’Union européenne, organisateurs de ces Journées consacrées au Développement. Ils nous donnent l’occasion de débattre de cette question.

***

Avec son milliard d’habitants et ses ressources humaines, avec ses réserves minières et énergétiques, avec ses terres arables encore inexploitées, l’Afrique est un géant en devenir.

Son propre développement est la condition d’un développement durable pour tous.

En ce début du XXIème siècle, ce continent reste l’objet de convoitises.

Ma conviction n’a pas changé : il n’y aura pas de mondialisation réussie sans une Afrique forte ayant la maîtrise de sa prospérité et prenant pleinement part à la gestion des affaires de la planète. Il n’y aura pas d’Afrique forte sans développement partagé.

Aujourd’hui, l’Afrique est encore la zone qui concentre le plus de pauvreté. A titre d’exemple, le produit intérieur brut des 48 pays subsahariens est équivalent à celui de la Suisse ou même de la Belgique. Des régions entières échappent à la logique du développement économique et aux réalités du développement humain. C’est particulièrement vrai dans les régions centrales de l’Afrique, très peu peuplées et qui restent isolées.

Malgré cela, l’Afrique est bien mieux partie que les clichés qu’on véhicule sur elle. Un peu partout, on perçoit les changements profonds qui sont à l’œuvre et constituent les bases d’un décollage économique et social. Il faut aussi que la démocratie s’enracine, je pense bien sûr à la Côte d’Ivoire où la volonté des électeurs doit être respectée.

Ces changements ne sont pas dus aux seules exportations de matières premières ; ils procèdent surtout des regroupements de populations autour des zones urbaines qui apportent une main d’œuvre jeune et abondante. Ils permettent le développement du commerce et les hausses de productivité. Ils assurent enfin la rentabilité des infrastructures. L’urbanisation, si elle est maitrisée, est une chance pour l’Afrique.

Déjà plus du tiers de la population africaine vit dans les villes.

La croissance dans la région du Sud du Sahara est actuellement de 5% par an. C’est bien mais encore insuffisant pour assurer un rattrapage rapide des autres régions du monde.

Ces changements représentent sans doute une chance et une opportunité.

Ce sont ces mêmes changements qui ont rendu possibles la naissance et l’essor des industries européennes et américaines, l’émergence des « Tigres asiatiques » dans les années 1980 et le développement spectaculaire de la Chine durant ces dernières années.

Ces changements devraient voir émerger les « Lions africains » du XXIème siècle.

Déjà, ils permettent le développement d’une classe moyenne, vecteur indispensable au développement économique et à la stabilité politique. 300 millions d’Africains sub-sahariens appartiendront à cette classe moyenne d’ici 2040.

L’Afrique est à la croisée des chemins.

Ces progrès doivent être ardemment soutenus par la Communauté internationale.

D’abord pour sortir définitivement les populations africaines de la pauvreté.

Ensuite, parce que le reste du monde a besoin que l’Afrique réussisse.

C’est en effet sur ce continent que se trouvent les réserves les plus importantes de terres cultivables, 900 millions d’hectares dont le quart encore inexploités, et les forêts tropicales du Bassin du Congo qui constituent le deuxième poumon de la planète.

Paradoxalement, c’est en Afrique que se résoudra la crise alimentaire mondiale et c’est là que se résoudra la crise environnementale. Sans l’Afrique, il n’y aura pas de solution.

La gestion durable de l’environnement et des ressources naturelles du continent africain est une urgence, une urgence planétaire.

Les conditions de la sécurité alimentaire en sont une autre.

Il faut, je l’ai toujours dit, encourager l’agriculture vivrière et organiser des débouchés vers les marchés nationaux d’Afrique.

C’est l’une des réponses au problème alimentaire et elle permettra de mieux assurer l’équilibre entre les villes et les campagnes.

Plus globalement pour nourrir les 9 milliards d’habitants que comptera la planète en 2050, il est urgent d’élaborer un programme agricole mondial, tirant le meilleur parti des technologies et des marchés sans détruire les écosystèmes.

Le G20 sous présidence française, sera l’occasion de remettre ces questions au cœur des débats.

Aujourd’hui, les pays émergents doivent être invités à prendre part à ce dialogue global pour le développement de l’Afrique. Je l’ai redit à mes amis chinois, lors de mon récent déplacement dans ce grand et beau pays.

Mesdames et Messieurs, Chers Amis,

Les efforts accomplis ne doivent pas être compromis par les maux qui pèsent sur les populations plus lourdement qu’ailleurs : pandémies, disettes, bouleversements climatiques, désertifications, inondations…

Ils ne doivent par être anéantis par les conflits latents autour du partage des ressources naturelles et de l’eau.

Le droit à l’accès universel à l’eau a enfin été reconnu en juillet dernier, par les Nations unies.

Il s’agit maintenant de le matérialiser et d’imaginer de nouveaux financements, comme cette taxe sur les transactions financières proposée sous présidence japonaise, par le groupe pilote sur les financements innovants, le 21 septembre dernier, à l’occasion de l’Assemblée générale de l’ONU.

Avec le Brésil, la Corée, le Chili, avec aussi Blaise Compaoré, et vous cher Thomas Boni Yayi, 14 pays africains dont le Burkina Faso et le Bénin, nous avions ouvert la voie en 2006 en instituant, de manière pionnière, une contribution de solidarité sur les billets d’avion. Elle a permis de faire baisser le prix des médicaments contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme de 64 % dans les pays les plus pauvres.

J’appelle de nouveaux pays à rejoindre cette initiative qui a fait ses preuves. Aujourd’hui, trois enfants sur quatre traités contre le SIDA dans le monde le sont grâce à la contribution de solidarité sur les billets d’avion.

A la tête de ma Fondation, je poursuis mon combat pour les financements innovants et pour que le droit à l’eau et à l’assainissement indissociables tout comme le droit à la santé et aux médicaments de qualité soient reconnus pour tous.

Les conditions d’un développement réussi de l’Afrique passent aussi par l’organisation de marchés intérieurs régionaux. Cela implique des efforts d’infrastructure et une harmonisation des législations douanières.

Je veux saluer ici le rôle joué par l’Union Africaine et les
organisations régionales comme l’UEMOA dans la naissance de cette dynamique d’intégration économique.

Chers Amis,

L’Europe, avec 49 milliards d’euros par an est le premier bailleur de fonds dédiés au développement dans le monde et notamment vers l’Afrique.

Elle représente 55% du total de l’aide publique au développement et c’est tout à son honneur.

Le paradoxe inacceptable et absurde serait que, dans le même temps, ses Etats membres se désintéressent de l’Afrique alors que celle-ci va compter de plus en plus.

Les enjeux peuvent paraître trop éloignés pour les pays de l’Union qui n’ont pas de liens historiques avec ce continent.

Pourtant, quelques milles nautiques à peine séparent l’Afrique de l’Europe. Cette seule proximité géographique implique, qu’on le veuille ou non, que les destins de l’Afrique et de l’Europe soient liés.

Cette communauté de destin est en réalité une force. L’Europe et l’Afrique représentent près de la moitié des pays de la planète. Ensemble, elles peuvent peser sur la mondialisation et répondre à ses nouveaux défis.

Ensemble elles peuvent définir et imposer les règles qui permettront à l’Afrique de trouver son propre modèle de développement.

Il appartient à l’Europe, fidèle à son histoire, ses alliances et ses idéaux, de se tourner davantage vers l’Afrique pour que celle-ci s’insère enfin de plein droit dans l’économie mondiale et pose elle-même les conditions de sa place dans la mondialisation.

Je vous remercie. »

Jacques Chirac – Journées Européennes du Développement – Bruxelles, le 7 décembre 2010

Source: Fondation Chirac

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