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Sarkozy-Villepin: chronique d'une sale guerre

Entre le chef de l’Etat et l’ancien premier ministre, le combat ne connaît pas de trêve. Rendez-vous à l’élection présidentielle?

« Tu me fragilises! » A l’autre bout du téléphone, Dominique de Villepin braille dans les oreilles de Georges Tron – longtemps l’un de ses plus fidèles lieutenants. Mais, en ces premiers jours d’août, l’ex-chef du gouvernement est grimpé au rideau après une confidence du secrétaire d’Etat à la Fonction publique rapportée par L’Express.

Alors que le premier avait assuré que les députés proches de lui ne voteraient pas en l’état la réforme des retraites, le second avance un autre pronostic: « Cela se terminera par la non-participation au vote de trois ou quatre députés, comme pour la loi sur la burqa. » « Tu me fragilises », hurle Dominique de Villepin…

Tron avait vu juste. Le 27 octobre, sur les neuf députés recensés comme des villepinistes, cinq se prononcent en faveur du texte; quatre s’abstiennent (c’était la position de leur patron). Toute vérité n’est pas bonne à dire. Dans son combat face au chef de l’Etat, Dominique de Villepin ne veut montrer aucun signe de faiblesse: « Ceux qui n’osent pas dire ce qu’ils pensent ont peur. Je n’ai pas peur de Sarkozy. Que voulez-vous qu’il fasse de plus contre moi? Je pense que la dernière personne qu’il souhaite avoir devant lui en 2012, c’est moi. » Pour lui, le président reste une obsession.

La réciproque est vraie – et cela aussi, l’ex-Premier ministre le sait. Le 25 août, Brice Hortefeux est l’invité de RTL. Sur instruction de Nicolas Sarkozy: celui-ci a envoyé son ministre de l’Intérieur répondre à la tribune publiée par Le Monde, une bombe lâchée par l’ancien secrétaire général de l’Elysée du temps de Jacques Chirac, fustigeant les dégâts causés par un été sécuritaire sur l’image du pays par une formule qu’aucun responsable de gauche n’avait osée, « une tache de honte sur notre drapeau ».

Les élus locaux UMP sont priés d’éviter de croiser Villepin

L’enfer, ce n’est pas les autres, c’est juste l’autre. Lui. Villepin, le responsable de tant de maux, aux yeux du président. De retour de sa visite à Benoît XVI, le 8 octobre, Nicolas Sarkozy s’emporte contre le peu d’allant dont aurait fait part l’ambassadeur de France au Vatican. Le chef de l’Etat a l’explication: Stanislas de la Boulaye est un ami du diable, dont il fut le condisciple à l’ENA. Il faut donc isoler Villepin, pour réduire sa capacité de nuisance. Lorsque le président de République solidaire effectue un déplacement en province, la consigne élyséenne passée aux élus de la majorité est limpide: mieux vaut, s’ils souhaitent un avenir serein, qu’ils évitent de croiser son chemin.

Ce combat-là échappe aux trêves. Pour porter ses coups, Villepin a choisi l’omniprésence médiatique – au risque de devenir inaudible. Depuis la rentrée, il a été l’invité de huit matinales à la radio ou à la télé, a participé à deux grandes émissions dominicales, s’est assis sur huit autres plateaux. Qui dit mieux?

Nicolas Sarkozy a opté pour un plus discret exercice de couture politique. Aux députés villepinistes qu’il reçoit en tête en tête, il explique que leur double fidélité ne le gêne nullement et qu’ils peuvent la vivre en toute liberté dans la majorité. A l’un (Jacques Le Guen), l’Elysée commande un rapport (sur les forêts); à l’autre (Guy Geoffroy), on certifie que les notes programmatiques qu’il envoie sont très utiles; devant un troisième (François Goulard), le président esquisse une petite autocritique de son comportement.

Certains s’éloignent, d’autres ne se rapprochent pas

La musique peut aussi être moins sirupeuse. A la rentrée, Olivier Biancarelli, conseiller politique du chef de l’Etat, s’est employé pour qu’un groupe de députés proches de l’ex-Premier ministre ne voie pas le jour à l’Assemblée. Dès que le député Nouveau Centre Nicolas Perruchot a laissé entendre qu’il pourrait le rejoindre, son portable a sonné. Au final, l’opération villepiniste a capoté -même si le principal intéressé espère que le remaniement grossira le camp des déçus du sarkozysme.

L’heure est plutôt au splendide isolement. Car, petit à petit, le venin de l’Elysée s’est diffusé. « Le plus frappant sur Dominique? A quel point il est seul! » relate l’un de ses fréquents visiteurs. La position de sarko-villepiniste est devenue intenable, parce qu’incompatible. Dominique de Villepin n’a pas revu le très en cour ministre de l’Agriculture, Bruno Le Maire, depuis l’été. Ils se sont simplement entretenus à quelques reprises au téléphone.

C’est d’ailleurs l’ex-chef du gouvernement -un signe- qui a appelé, la dernière fois, celui qui dirigea son cabinet à Matignon, pour le remercier de lui avoir envoyé son livre, Sans mémoire, le présent se vide. « La relation personnelle est intacte, mais l’analyse politique diverge », constate, de son côté, le secrétaire d’Etat à la Fonction publique, Georges Tron.

Certains s’éloignent, d’autres ne se rapprochent pas. A deux reprises, il a transmis à Xavier Darcos un message lui indiquant qu’il aimerait le voir. A deux reprises, l’ex-ministre des Affaires sociales, congédié au lendemain des régionales, ne lui a pas répondu. Avant l’été, l’ancien chef du gouvernement a déjeuné avec le possible futur Premier ministre, Jean-Louis Borloo, mais ce fut seulement à titre « amical ».

Dans ces conditions, se faire le chantre du rassemblement relève de la rhétorique. Le 4 décembre, à Paris, se tiendra le premier conseil national de République solidaire. La création du parti, en juin, n’a pas eu l’impact escompté. Le discours de Villepin se voulait « fondateur », il n’a pas marqué les esprits.

« On le pensait, sur la forme, incapable de mobiliser et, sur le fond, très bien équipé. Ce fut l’inverse », remarquera Jean-Pierre Raffarin. « Il a parlé à des cibles qui ne sont pas les siennes », se réjouit un conseiller élyséen. « Nous sommes le mouvement qui a accueilli le plus de personnes dans un meeting cette année », se défend Villepin.

Sillonnant la France, il se figure un boulevard. « Entre une droite qui se droitise et une gauche qui ne peut faire l’impasse sur la gauche de la gauche, il y a un espace important, calcule-t-il. Rien à voir avec l’équation de François Bayrou en 2007. Ici, il ne s’agit plus de l’organisation du centre, mais d’un mouvement qui va des gaullistes aux démocrates sociaux. » Il est un point sur lequel Villepin n’a jamais failli: l’imagination. « Et si Sarkozy tombait au-dessous des 25 % en 2011? lance-t-il. Quand vous prenez le toboggan, vous ne pouvez plus vous arrêter. »

Du coup, celui qui n’a jamais affronté le suffrage universel voudrait faire croire qu’il sera candidat à la présidentielle. « Il est capable de tout, même de ne pas y aller, estime François Baroin. C’est lourd, une campagne, c’est encore plus lourd quand on est sûr de ne pas la gagner. » « Il y a chez lui une telle composante passionnelle ! analyse Alain Juppé.

Si Sarkozy avait mis un terme à l’affaire Clearstream, Villepin serait ministre. Parfois la déraison l’emporte… » Parole du plus raisonnable d’entre tous. « En politique, il faut se faire mal. En 2005, j’ai tendu la main à Sarkozy pour qu’il revienne au gouvernement », confie l’ex-Premier ministre. Souhaite-t-il désormais souffrir encore, le temps d’une campagne, ou qu’une main lui soit tendue?

Jusqu’où va la réelle détermination d’un homme capable de reconnaître l’influence de l’affaire Clearstream sur sa situation d’aujourd’hui? « Sans la perquisition que j’ai subie, je serais dans des responsabilités internationales que j’aurais eu plaisir à exercer et que Sarkozy aurait eu intérêt à me confier. »

Source: Eric Mandonnet et Ludovic Vigogne (L’Express)

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