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Giscard et Chirac vus par Dominique de Villepin dans "De l'esprit de cour, la malédiction française"

Dans « De l’esprit de cour, la malédiction française », l’ancien Premier ministre jette un regard acéré sur les comportements de Valéry Giscard d’Estaing. Il évoque aussi ses rapports avec Jacques Chirac. L’Express vous en offre les bonnes feuilles.

Valéry Giscard d’Estaing a pu souffrir de l’obsession de sa place dans l’Histoire

« Pour rester sur la matrice qui nous occupe, je ne peux que constater à quel point sa présidence – on a envie d’écrire son règne – évoque l’Ancien Régime dans le sens péjoratif du terme. Par son histoire personnelle et familiale, Valéry Giscard d’Estaing incarne la fascination de la grande bourgeoisie pour la noblesse ancienne, fascination à laquelle, comme Jacques Chirac, j’ai toujours été étranger pour ne pas dire hostile.

Par son langage, son attitude et sa diction, qui fera la joie des chansonniers, le nouveau président ne manque pas d’étonner quand il n’irrite pas en confondant le fait d’être hautain avec la hauteur et la prestance avec le snobisme. Beaucoup critiqueront son admiration pour la personne et le règne de Louis XV, révélant en creux un narcissisme contraire à la modernité qu’il prétendait incarner.

Sa présidence est également passée à la postérité par son observation sourcilleuse d’un protocole qui l’amenait, par exemple, à se faire servir avant certains de ses hôtes, choquant à juste titre ses visiteurs et nous couvrant, à travers lui, de ridicule. Le constat est d’autant plus accablant que cette mise en scène d’un autre âge voisine avec une volonté criarde de proximité qu’illustrent les « dîners » chez les Français ou l’invitation à petit-déjeuner des éboueurs, sans oublier, bien sûr, les solos d’accordéon.

On assiste en réalité au spectacle malsain d’un pouvoir qui croit devenir populaire en « faisant peuple » et tente de compenser par la mise en scène de l’image son déficit d’imaginaire. Valéry Giscard d’Estaing a pu souffrir de l’obsession de sa place dans l’Histoire, au mépris de la prise en compte de la psychologie des hommes. Toujours désireux de tutoyer les sommets, l’homme qui avait côtoyé le général de Gaulle ne mesurait peut-être pas suffisamment combien nous avions changé d’époque, dans un temps où un homme ne pouvait plus à lui seul prétendre faire l’Histoire, sans paraître coupé des réalités. « 

Jacques Chirac ou l’anticour

« Pour les élites politiques, économiques, administratives, médiatiques et intellectuelles qui avaient choisi Edouard Balladur, l’élection de Jacques Chirac résonne comme un coup de tonnerre. C’est en cela qu’elle marque une rupture avec la dérive de la Ve République depuis 1965. Pour la première fois, un président de la République est élu contre les avis et les pronostics quasi unanimes du système. Le choc est d’autant plus rude que le nouvel élu n’a jamais respecté les codes.

« La courtisanerie, dit-il, c’est comme la mauvaise herbe, elle se fauche. » A l’esprit de cour Jacques Chirac avait ses antidotes personnels. Dès qu’il sentait approcher le cynisme, la flatterie ou le jargon de la technocratie, il inventait tantôt un légendaire instituteur de Corrèze qui, prétendait-il, lui avait ouvert les yeux sur des projets fumeux, tantôt un maire d’un petit village au solide bon sens. Ou alors il en appelait aux mânes du père Queuille, incarnation du radicalisme d’une IIIe et d’une IVe République les deux pieds sur terre. Quand je l’entendais invoquer ces figures tutélaires, je savais qu’il resterait campé sur ses convictions. .

Ce fut du secrétariat général à la présidence que je découvris le rapport trouble que l’ensemble des élites entretient avec le pouvoir. Il était d’autant plus curieux à observer que Jacques Chirac souffrait d’un excès d’isolement et que j’essayais, avec d’autres, de nous frayer un chemin en cherchant de nouveaux appuis parmi les intellectuels, les politiques, les industriels, et même au sein de l’Etat.

Je fus notamment frappé par le fatalisme que je rencontrai chez la plupart de mes interlocuteurs qui prenaient mon impatience pour un dérèglement de la raison et ne tardèrent pas à me faire passer pour une sorte de barde illuminé, dépourvu de sens politique. Ce constat était parfois même relayé au sein de la maison Elysée, où je ne comptais pas que des amis et où ma détermination et ma loyauté envers le président de la République me valurent le surnom de « phalangiste ». »

Source: L’Express

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