Alors que trois Français ont été enlevés mercredi au Nigeria, six jours après le kidnapping de cinq autres au Niger voisin, la France est-elle dans le viseur des terroristes ?
Sur RTL, Dominique de Villepin a donné son opinion sur la politique anti-terroriste de la France, à l’heure où onze Français sont retenus en otage dans le monde.
Ecoutez l’intervention de Dominique de Villepin sur le site de RTL. En voici le verbatim:
Christophe Hondelatte: Bonsoir Dominique de Villepin !
Dominique de Villepin: Bonsoir
Je rappelle que vous êtes ancien Premier Ministre, mais aussi ancien Ministre des Affaires Etrangères, considéré comme un ami du monde arabe depuis votre refus, exprimé à la tribune des Nations Unies, d’engager la France dans la guerre en Irak. Dites-vous, comme on est tenté de le dire ce soir, Monsieur de Villepin, que la France est dans le viseur?
C’est aujourd’hui un risque, et il faut évidemment tout faire pour qu’il n’y ait pas de cristallisation sur la France. Et c’est pour cela que je crois qu’il faut commencer par bien distinguer les deux épisodes: la situation du Niger et celle du Nigeria. La situation au Nigeria relève d’une criminalité crapuleuse, d’un acte de piraterie. Il y a eu un précédent, en mars 2009, avec une demande de rançon et il y a, derrière cet acte de piraterie, un conflit politique national avec le Mouvement pour l’émancipation du delta du Niger qui est soutenu par l’ethnie Haoussa qui est une ethnie défavorisée.
Donc il faut bien distinguer les cas, mais c’est vrai qu’il y a aujourd’hui une visibilité de la politique française qui doit nous conduire à réfléchir et à nous assurer que notre diplomatie, que la voix de la France, que notre stratégie en matière de lutte contre le terrorisme est bien adaptée. Et c’est pour ça, je crois, qu’il est important aujourd’hui de tirer les leçons de l’expérience. Nous devons agir avec mesure, avec responsabilité si nous voulons éviter que les choses ne continuent de se dégrader ou si nous voulons éviter que nos ressortissants ne soient davantage encore mis en cause et que leurs vies soient menacées.
Si la France est dans le viseur, alors pourquoi? Je rappelais en vous présentant que nous ne sommes pas engagés en Irak, ce qui faisait dire, ces dernières années, que nous n’étions plus la cible des islamistes? Quelque chose aurait changé?
Alors, il y a une addition de facteurs qui peuvent aujourd’hui conduire à cette cristallisation, de facteurs objectifs: ça va depuis la loi sur la burqa, notre engagement en Afghanistan, la politique en initiative sur l’Iran… Tout cela peut concourir, sans parler de notre attitude vis-à-vis d’Al Qaida Maghreb Islamique et notre engagement auprès des forces mauritaniennes.
Mais tout cela n’est pas regrettable?
Non, tout cela implique de notre part, parce que la France, de façon souveraine, décide de sa politique étrangère, décide de ses priorités, et le Président de la République et le gouvernement sont tout à fait fondés à faire leurs choix. Ce qui m’apparaît important, c’est de tirer les leçons de l’expérience. Et de ce point de vue, il y a au moins deux éléments qu’il faut éviter et une recommandation qu’on peut s’efforcer de faire.
Le premier élément qu’il faut éviter, c’est que la surenchère sécuritaire qui existe dans notre pays ne conduise à un engrenage et à un trouble de la part de ceux qui ont à lutter contre les menaces. Je pense aujourd’hui au risque de voir nos forces de police, nos forces de gendarmerie, nos forces de défense, eh bien, troublées par cette surenchère sécuritaire. Nous avons besoin de sérénité, nous avons besoin de savoir quels sont véritablement les objectifs. Il faut donc que notre pays s’apaise. On a besoin de consensus national quand on fait face à une menace aussi grave.
Attendez, je vous arrête deux secondes là-dessus, Monsieur de Villepin, parce que quand on parle de surenchère sécuritaire ces dernières semaines, on parle de l’affaire des Roms et j’ai un peu de mal à faire la jonction.
Eh bien, je vais être très clair…
Soyez le…
Depuis trois mois, la France vit à l’heure sécuritaire, comme les Etats-Unis, sous l’administration Bush, ont pu vivre dans une politique de tension, voire dans une politique de peur. Tout pays qui s’expose ainsi à des débats intérieurs qui divisent sa population, eh bien, s’expose à se voir instrumentalisé par toutes sortes de forces qui sont capables de jouer et de pénétrer sur ce débat intérieur et de fragiliser un pays.
Ne refaisons pas l’erreur de l’administration Bush, administration néo-conservatrice, qui pensait que l’on pouvait réduire et régler les problèmes du monde par la force. Nous avons besoin de retrouver les fondamentaux de la politique française, c’est-à-dire une politique qui est ancrée sur des principes, une politique sereine et éviter de faire croire aux Français que par une politique de sécurité toujours plus forte, que par une politique de force toujours plus aiguisée, nous réglerons les problèmes. Un pays apaisé est toujours un pays davantage protégé des menaces, et y compris des menaces terroristes.
Je poursuis parce que je crois qu’il faut avoir une vision globale. Voilà la première leçon qu’il faut tirer de l’expérience. Il y a, à mon sens, une deuxième leçon, c’est d’éviter sur ces questions, et en particulier sur les questions terroristes, une politique de communication intempestive. On ne doit pas sur la scène internationale, face à ces situations, exprimer un désir de revanche. On doit faire preuve de sobriété, se concentrer sur l’action, encore plus quand on est menacé, plutôt que d’être tenté de jouer les matamores ou de jouer une politique de force.
Nous avons besoin de privilégier l’action, et c’est quoi, l’action face au terrorisme? C’est d’abord la coordination de l’ensemble des services de renseignement nationaux, mais avec tous nos partenaires. De ce point de vue, nous avons besoin de tous ceux qui, sur la scène internationale, peuvent bénéficier d’informations.
Pour aller vite, Monsieur de Villepin, parce qu’il va falloir qu’on se quitte: vous trouvez regrettable qu’on ait trop dit ces derniers temps que nous avions 80 membres des forces spéciales à tel endroit, que nous avions envoyé des avions de tel type, que nous avions demandé aux Hawaks américains de nous donner des infos…
Je ne vois pas au nom de quoi nous découvrons nos moyens et nos stratégies. Nous sommes plus forts en restant dans un certain mystère. En matière de terrorisme, face à ces menaces, il faut savoir avoir ce temps d’avance, avoir cet avantage que constitue une certaine retenue. Et c’est par l’action que l’on fait la différence. Donc nul besoin d’afficher des dispositifs. Nul besoin de mettre sur la place publique tel et tel élément. C’est par l’action, c’est par la discrétion. Cela n’embarrassera pas ceux qui nous soutiennent et cela nous rendra plus efficaces.
Dominique de Villepin, merci ! Vous étiez l’invité de RTL Soir.