L’ancien Premier ministre, qui prétend incarner la mesure contre l’excès que représenterait son rival Nicolas Sarkozy, l’attaque pourtant avec virulence.
Devant le nouveau rebondissement dans le procès en appel de l’affaire Clearstream, qui doit avoir lieu au printemps 2011, l’ex-locataire de Matignon crie à la manipulation.
Pour son premier déplacement de rentrée à Saumur (Maine-et-Loire), Dominique de Villepin s’est efforcé de rester fidèle à l’esprit de mesure de la région vantée par Ronsard. Pour ratisser au centre – quitte à déboussoler son électorat de droite -, et surtout pour mieux s’opposer à « la République de la surenchère » de Nicolas Sarkozy. « C’est à croire que l’on peut épuiser les opposants à force de repousser les limites. Moi je préfère la République solidaire. La France a besoin d’être guidée d’une main sereine ». Sur place, il a goûté, en connaisseur, les vins du coin. « Une présidence qui aimerait le vin, ça serait nouveau », a-t-il ironisé. Mais, coup de théâtre dans cette ambiance harmonieuse, l’annonce de la Constitution d’une chambre spéciale pour le procès Clearstream l’a fait sortir de ses gonds.
VSD: La procédure en appel du procès Clearstream devrait être confiée à une chambre ad hoc. Cela sonne-t-il la reprise des hostilités avec Nicolas Sarkozy?
Dominique de Villepin: Je ne réagis pas par rapport à quelqu’un mais par rapport à des principes. Nous sommes dans un pays où l’indépendance de la justice reste fragile. Depuis trois ans, je peux observer à quel point ces règles sont bafouées, y compris dans l’affaire Woerth. Si un tribunal d’exception se met en place, on tombera dans quelque chose qui constituera un scandale dans notre Etat de droit. L’instrumentalisation de la justice n’est pas conforme à l’exigence démocratique et républicaine. Je veux être jugé comme tout citoyen ordinaire.
Vous semblez dangereux pour l’Elysée, pourtant vous n’êtes pas officiellement en campagne pour 2012…
Depuis le début, Nicolas Sarkozy estime que je représente un risque pour lui. Je ne vois pas ce que cela a à voir avec la bonne justice de notre pays. On n’a pas à être soumis au bon plaisir ou au bon vouloir de quelqu’un, fût-ce celui du président de la République.
En accord avec Jacques Chirac, l’UMP s’acquitte auprès de la Mairie de Paris d’une partie de la facture, dans l’affaire des emplois fictifs. Votre réaction?
Cela ne va pas dans le sens d’une justice sereine et indépendante. Concernant Jacques Chirac, je ne lui aurais pas recommandé cela. Cette question avait souvent été évoquée entre nous, par le passé. Cette hypothèse n’avait jamais été envisagée. Il a d’autres arguments à faire valoir.
Dans le financement des retraites, vous proposez de taxer une partie du capital, c’est une idée de gauche?
La majorité a consenti à taxer les hauts revenus de 1% supplémentaire. Peut-on accepter d’aller plus loin? Même chose pour le capital. Sans décider de tout demander aux plus hauts revenus, il y a un équilibre à trouver dans le financement et aussi sur le fond de la réforme. Quand on voit que, selon ce projet, 50% des femmes seraient susceptibles de partir à 67 ans.
C’est ce que dit Ségolène Royal…
Je le dis aussi depuis longtemps. Je pose la question, est-ce la société que nous voulons? On me dit qu’il ne faut pas déséquilibrer la réforme. En voulant sauver une réforme, malheureusement présentée de façon trop partisane, on oublie qu’il y a, derrière, la mise en cause de tout un régime de participation.
Dans les sondages, vous êtes au coude-à-coude avec François Bayrou. Votre électorat potentiel est sensiblement le même. Allez-vous sceller un pacte?
Tous ceux qui sont susceptibles de partager les mêmes valeurs doivent pouvoir se retrouver. Entre gaullistes, centristes, démocrates-chrétiens, démocrates-sociaux, il y a une concordance sur certains sujets. Un pacte, des alliances partisanes, c’est une autre affaire.
Vous dénoncez la politique qui entretient trop de liens avec le monde de l’argent et vous venez d’acheter un hôtel particulier estimé à 3,2 millions d’euros pour votre cabinet d’avocat…
Il faut distinguer la situation de chacun et la façon dont on défend les intérêts publics. Il faut être soucieux de cette rigueur, pour éviter tout sentiment – parfois fondé, parfois non – d’une collusion. L’héritage français, c’est celui d’un Etat impartial, qui défend l’intérêt général.
Allez-vous monter votre propre groupe parlementaire?
Rien n’arrête les bonnes idées. Je vais faire en sorte que cela marche. Il est important de fixer d’autres repères. Les Français sont un peu déboussolés, ils ont le sentiment d’un dialogue de sourds entre la gauche et la droite.
Vous publiez, début novembre, L’Esprit de cour, une malédiction française*, un essai historique. Cet esprit de cour est-il plus vivace aujourd’hui?
Plus vous concentrez le pouvoir, plus l’esprit de cour se développe et plus personne ne prend le risque de dire des choses, de peur de déplaire. C’est le règne de la faveur. Une anecdote du livre relate ma première rencontre avec Jacques Chirac, où je lui notifie qu’il faut exprimer sans fard ses idées. Je n’ai pas changé. Cela ne m’a pas toujours amené à me faire des amis.
(*) Plon-Perrin
Source: Pascale Tournier (VSD)