Dernière partie de l’interview donnée par Dominique de Villepin au mensuel Jogging International…
A quel moment avez-vous eu le plus de mal à courir?
Sur le plan physique, certainement lorsque j’étais ministre des Affaires étrangères. Je vivais tout le temps en décalage horaire. Je me rappelle avoir emmené toute mon équipe d’officiers de sécurité courir lors d’un G7, après un vol de quinze heures et trois heures de route pour rejoindre notre hôtel, perché dans les montagnes canadiennes. Dix minutes après notre arrivée, nous sommes partis une heure et quart. Je les ai fait souffrir. Lorsque j’étais directeur de cabinet d’Alain Juppé, alors ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand, je l’ai emmené à notre descente d’avion. Je lui ai dit: « Ecoute, Alain, il fait un temps magnifique, on va courir dans Central Park. » Au bout d’une heure, il m’a dit: « C’est bon. On rentre, je n’en peux plus. » Nous sortions à peine de l’avion. La découverte, c’est ce qui est magique avec la course à pied. N’importe où dans le monde, avec une parie de chaussures et un short, vous partez visiter à trente kilomètres à la ronde. Vous arrivez à Hong Kong, à Singapour ou en Corée, vos prenez votre short et vos godasses, vous mettez un pied devant l’autre. C’est magique.
J’essaie de courir dans tous les pays du monde, avec quelquefois des expérience traumatisantes. Il y a quelque temps à Venise, par exemple. Je suis chez des amis. On me passe les clefs de la maison. Je trottine: je me dis, tiens, première rue à droite, deuxième à gauche, troisième… Ici? Là? Oui? Non? Je me suis retrouvé complètement paumé au bout d’une heure. Je n’ai même jamais retrouvé la maison. Par chance, je savais que mon ami déjeunait dans un restaurant connu. Je me suis pointé au restaurant en short. Se perdre, ça aussi fait partie de la découverte…
Quels sont vos meilleurs souvenirs de course?
J’ai fait de belles courses à Dakar, au Sénégal, et à Abidjan, en Côte d’Ivoire, et même au Cap, en Afrique du Sud. Mais mes meilleurs souvenirs restent indéfectiblement liés à Djibouti. J’y ai effectué en partie mon service militaire, en tant qu’officier à bord du porte-avions Clemenceau. Je m’entraînais avec les gars de la Légion. On partait parfois faire des courses à midi, sous le soleil, pendant une heure et demie. C’est très mauvais; je ne le referais pas aujourd’hui. C’était une période de bonheur irremplaçable, que seuls les vrais coureurs peuvent partager entre eux. Vous savez, cette joie unique de courir à son vrai poids de course. J’ai connu ce même état d’esprit en Inde, à New Delhi où j’ai habité trois ans. J’y ai couru tous les jours, en toute saison, en particulier pendant la période la plus chaude, de juin à octobre. J’ai gardé un souvenir impérissable de mes courses par 40 degrés à Delhi dans des immenses parcs.
Et votre pire souvenir?
J’ai un horrible souvenir sur le marathon de New York, en 1986. A l’époque, le cabinet de François Léotard, alors ministre de la Défense, me téléphone quinze jours avant le marathon de New York pour me demander de l’accompagner. Je dirigeais alors le service de presse de l’ambassade de France aux Etats-Unis: on mangeait, déjeunait, dînait en permanence. J’avais cinq à six kilos de trop. J’arrive à l’hôtel de Léotard et là, première déconvenue, Léotard me toise: « Vous êtes gentil, mais je cours avec mes amis de Fréjus« , on m’avait réservé la possibilité d’un départ avec les champions, une heure plus tard. Je n’étais pas entraîné, mais je me suis dit que j’allais le faire quand même. Une fois à l’intérieur du bus élite, j’ai eu la honte de ma vie. Tout le monde déclinait des temps incroyables entre 2h10 et 2h12. Quand mon tour est venu, j’ai marmonné un truc le plus doucement possible. Je me suis retrouvé au premier rang, au milieu, en bas du pont, en première ligne du marathon. Le départ est donné. Quand vous avez derrière vous quelques dizaines de milliers de gaillards tous prêts à partir comme des dératés, c’est assez impressionnant. J’ai essayé de sprinter sur les premiers cent mètres. Je voyais passer les types à la vitesse du vent. J’ai réussi à terminer, mais c’était lamentable.
Avec le lancement de votre parti politique République Solidaire, vous vous êtes engagé dans un marathon d’un autre genre. Est-ce que vous voyez des analogies entre la course à pied et la politique?
Il faut être très patient. Il y a aussi l’idée d’apprendre à ménager sa monture. C’est psychologiquement très important. C’est pour cela que je me suis astreint à ne jamais m’engager dans une course sans pouvoir la terminer. Psychologiquement, si j’avais commencé un marathon sans le terminer, ça m’aurait perturbé. J’ai toujours terminé les courses auxquelles je prenais part, malgré les tendinites ou les blessures. C’est ce qui fait que je réfléchis avant de me lancer sur un Marathon des Sables ou un 100 km, parce que je sais que les douleurs peuvent être difficiles à gérer. Il y en a qu’on surmonte, en posant le pied comme ci ou comme ça… Jusqu’à ce que ça devienne trop lourd.
Des courses prévues bientôt?
Je vais essayer de refaire les 20 km de Paris, avec mon fils, l’an prochain. J’aimerais bien faire un marathon avec lui. Mais, à 22 ans, il a encore du temps. Le premier où il s’inscrira, je serai content de le faire avec lui. Si je suis très courageux et que j’arrive à m’astreindre à une bonne préparation, je m’alignerai peut-être pour le Marathon des Sables. Passé un certain âge, il ne faut pas faire les choses à la légère.
Source: Jogging International (propos recueillis par Pascal Meynadier, avec Jean-Baptiste Tréboul et Philippe Maquat)