Chaque weekend du mois d’août, retrouvez notre série « Le précurseur »: un florilège d’écrits de Dominique de Villepin choisis par Miss Nicopéia.
Huitième et avant-dernier épisode ce samedi 28 août, sur le thème du conflit israélo-palestinien.
Extrait du requin et la mouette, par Dominique de Villepin
« Au lendemain de la crise iraquienne..(…).
Une troisième exigence s’impose: mettre un terme au conflit israélo-palestinien.
(…) Le Moyen-Orient échappe à toutes les définitions. Vouloir le réduire à une entité abstraite, c’est courir le risque de nouveaux affrontements et de nouvelles déceptions.
(…) Le monde ne se divise pas d’un trait de plume. Sans doute aucune définition du Moyen-Orient n’est-elle possible, aucune autre en tout cas que celles produites par l’empirisme le plus rebelle aux vaines généralisations, et le plus conscient des exigences d’une réalité compliquée.
(…) Qui veut contribuer à la paix entre les peuples meurtris doit d’abord prendre la mesure des rivalités et des haines enchevêtrées. On ne guérit que les maux dont on a déterminé la nature et l’étendue. Croire que la signature d’un traité de reconnaissance mutuelle entre Palestiniens et Israéliens suffira seule à apporter la paix est une erreur qui méconnaît l’importance de plusieurs faits.
En premier lieu, Israël n’aura la paix que le jour où il aura conclu un accord avec la Syrie, le Liban, l’Iran, l’Arabie Saoudite, et avec une vingtaine de pays qui affichent encore leur hostilité. Un traité avec les seuls Palestiniens ne suffira pas à assurer la sécurité d’Israël.
(…) Un traité avec Israël ne suffira pas davantage à garantir la paix en Palestine. Les Palestiniens ne connaîtront la sérénité que le jour où leur existence collective aura été acceptée et reconnue, par Israël d’abord et par l’ensemble des Etats arabes. La réconciliation doit aussi s’achever entre Palestine et Jordanie. Il faudra du temps pour effacer le souvenir de septembre noir de 1970.
(…) Résoudre le problème palestinien ne signifie donc pas simplement – même si c’est évidemment le préalable auquel il est impossible de se dérober – obtenir d’Israël qu’il renonce à une occupation aussi humiliante pour l’occupé que corruptrice pour l’occupant. C’est aboutir à une meilleure reconnaissance par les pays du Moyen-Orient que concerne directement la question de l’existence d’un peuple palestinien. C’est, en somme, élargir ses horizons sans jamais perdre de vue le nœud du problème, qui se situe quelque part entre Jérusalem et Tel-Aviv. Enfin, quand bien même on arriverait à garantir, dans ce « nouveau Moyen-Orient » … une vie paisible pour chacun … on n’aurait pas fait la paix.
Comment oublier en effet la dimension religieuse, voire mystique, que certains des peuples du Moyen-Orient confèrent aux guerres qui les déchirent?
(…) Le destin se nourrit des religions, mais aussi de la mémoire des peuples. Le Moyen-Orient est né de la mort de l’Empire ottoman.
(…) Avant tout, les peuples de cette région partagent la même méfiance , teintée d’humiliation et de peur, à l’égard des empires.
(…) Les colonisateurs, dans la mémoire collective des peuples du Moyen-Orient, ce sont ensemble, les Européens et les Turcs.
(…) Mais faire la part de la fatalité dans les guerres du Moyen-Orient impose de comprendre à la fois le mouvement sioniste et la lutte palestinienne. Le sionisme se définit , dans le cadre intellectuel des nationalismes du XIX siècle, par l’aspiration des Juifs à disposer d’un Etat pris sur une partie de la Palestine mandataire.
(…) Le sionisme serait une réponse à l’antisémitisme. (…) Les Juifs peuvent vivre en dehors d’Israël, mais ils ne pourraient pas vivre sans Israël.
(…) D’un autre côté, il n’y a jamais eu d’Etat palestinien. Tout reste à faire. (…) Le peuple palestinien, comme tous les peuples de la Terre, a droit à son territoire, à son Etat. Il est temps de lui offrir la souveraineté à laquelle il aspire: c’est une nécessité, mieux, un devoir. »
Source: Dominique de Villepin – « Le requin et la mouette », Albin Michel, 2004, pp. 176, 177, 178, 180, 181, 183, 184, 185