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Le précurseur (6/9): Dominique de Villepin, dans Le requin et la mouette

Chaque weekend du mois d’août, retrouvez notre série « Le précurseur »: un florilège d’écrits de Dominique de Villepin choisis par Miss Nicopéia.

Sixième épisode ce samedi 21 août, sur le thème de la diversité.

Extrait du requin et la mouette, par Dominique de Villepin

« La voici la grande, l’inimaginable mission de notre époque: repenser la place de l’autre, reconstruire la relation à l’altérité en prenant la mesure des défis nouveaux. L’idéal abstrait de la tolérance ne suffit plus, dès lors que les identités revendiquent une place nouvelle. Saurons-nous bâtir un nouveau contrat entre les cultures, à l’échelle du monde? Saurons-nous les faire dialoguer sans que l’une cherche à l’emporter sur l’autre?

(…) La construction d’un ordre mondial stable ne se fera pas sans prendre en compte l’aspiration universelle à s’exprimer librement. La diversité culturelle joue un rôle essentiel dans la recherche de nouveaux équilibres. « Le Divers décroît. Là est le grand danger terrestre. C’est donc contre cette déchéance qu’il faut lutter, se battre- mourir peut-être avec beauté » écrivait en 1917 Victor Segalen.(…) « C’est par la Différence, et dans le Divers, que s’exalte l’existence. » Ce constat a gardé toute sa vigueur.

La déperdition de la diversité se vérifie dans d’autres domaines. L’écologie pointe la disparition de la biodiversité: on estime qu’environ six cents espèces animales connues se sont éteintes depuis le XVIIe siècle, et environ 6000 sont en voie d’extinction. Ce processus est à l’œuvre depuis que la vie existe sur terre; mais la rapidité avec laquelle les écosystèmes sont de plus en plus malmenés par l’action de l’homme ne laisse pas aux espèces le temps d’évoluer pour s’adapter, et condamne nombre d’entre elles à la disparition avant que de nouvelles aient pu prendre le relais.

(…) Le monde ne vit pas d’un seul rivage. Il ne trouvera pas son souffle dans l’unique ou l’identique. Sans différences, il se condamne à mort. La nécessité s’impose de retrouver le sens de l’aventure, le risque de l’ouverture, l’appétit de la diversité face à ce qui n’est pas immédiatement compréhensible et réductible au même. Mais pour embrasser l’altérité il faut que préexiste une forte conscience de soi. Sans quoi l’identité se sentira menacée par le regard de l’autre, jusqu’à céder au repli ou à la violence.

(…) Il nous faut donc inventer un mode de pensée qui mette en valeur la diversité du monde sans l’abolir dans la recherche du plus grand dénominateur commun, gommant ce qui sépare au profit de ce qui réunit. Un mode de relation, donc, où la confrontation des différences produit quelque chose de plus et de mieux que la synthèse ou le conflit.

(…) Nous le constatons dans l’exaltation contemporaine du « métissage » par lequel les différences se mêlent et s’abolissent. Le grand métissage de la mondialisation est le plus souvent subi, extérieur aux individus, porteur d’un profond désarroi qui nuit à la diversité avant de l’effacer inexorablement.

A ce tourbillon confus s’oppose l’expérience intérieure du partage.

(…) En faisant le choix du partage, nous réalisons véritablement l’échange, clé d’une conscience nouvelle du monde. Conscience qui exprime la fidélité aux racines et à la culture communes. Conscience qui renforce toutes les appartenances et tous les liens. »

Source: Dominique de Villepin – « Le requin et la mouette », Albin Michel 2004, ch.4, pp.140,141,142,145,146,147

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