Chaque weekend du mois d’août, retrouvez notre série « Le précurseur »: un florilège d’écrits de Dominique de Villepin choisis par Miss Nicopéia.
Cinquième épisode ce dimanche 15 août, sur le thème des médias.
Extrait du Cri de la gargouille, par Dominique de Villepin
« Les médias, de leur côté honorent leur métier lorsqu’ils enquêtent et informent; la quête de l’image révélatrice, de l’information exacte, de la parole puisée à la source, s’inscrit bien entendu dans une étique de vérité. Mais certains journalistes ont du mal à résister à la tentation de passer de l’autre côté du miroir, de faire la politique au lieu de la présenter, de peser sur l’opinion en choisissant le moment où une information est jugée bonne à livrer, quand elle n’est pas au contraire carrément occultée.
De même que dans les procédures judiciaires des options en apparence de pure technique juridique pèsent définitivement sur le fond d’un dossier, la rédaction d’un journal d’information peut se montrer d’une rigueur variable quant au choix des titres, au sérieux des vérifications et à la qualité des sources: une rumeur peut être décrétée invérifiable et donc impossible à diffuser, comme on peut affirmer que, puisqu’on ne peut pas la vérifier, il faut la publier en l’état, quitte à démentir beaucoup plus tard, en page intérieure et en petits caractères.
En dépit de la vulgate de l’indépendance quotidiennement martelée, les médias sont des activités capitalistiques placées sous la tutelle de grands groupes industriels et financiers, au cœur des jeux de pouvoir et d’intérêt. Cette domination, qui sait rester discrète, se double à l’intérieur même des rédactions de nombreux réseaux et solidarités ignorés du lecteur, obéissant à des logiques propres. »
Source: Dominique de Villepin – « Le cri de la gargouille », Albin Michel 2002, pp 144, 145
Extrait de Hôtel de l’insomnie, par Dominique de Villepin
« Se battre contre un ennemi à découvert n’a rien d’effrayant. Mais que faire face aux crocs de la rumeur? Chacun connaît le vieux principe: Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose. (…)
Faut-il donc en revenir à la célèbre gueule du lion de Venise qui recueillait les dénonciations anonymes épluchées par le Conseil des Dix depuis la conjuration de Bajamonte Tiepolo contre le doge? Etrange destinée du crachat des ténèbres depuis son louvoiement institutionnel jusqu’à sa révélation assourdissante quand il fait de l’infamie la vérité! (…)
Aujourd’hui le mensonge est porté par le flux médiatique ravivant les fantasmes de la puissance pour mieux occulter les véritables enjeux.
Quand la peur gagne, les regards spontanément se tournent vers la horde des vainqueurs. Les pendules s’accordent à leur déraison et le coq-roi chante à toute heure, saluant les reniements. Comme un seul homme, la foule se jette sur une victime désignée à la vindicte. »
Source: Dominique de Villepin – « Hôtel de l’insomnie », Plon 2008, pp 151, 154