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Le précurseur (4/9): Dominique de Villepin, dans Le cri de la gargouille

Chaque weekend du mois d’août, retrouvez notre série « Le précurseur »: un florilège d’écrits de Dominique de Villepin choisis par Miss Nicopéia.

Quatrième épisode ce samedi 14 août, sur le thème des difficultés du pouvoir.

Extrait du Cri de la gargouille, par Dominique de Villepin

« Pourtant le pouvoir ne répond plus, alors que tous les yeux restent braqués sur lui, en attente, suspendu au miracle qui n’arrive pas. A la politique, il ne reste qu’une scène, une lanterne magique où tournoient les images, rumeurs et artifices, un théâtre ridicule et vieillot où se désarticulent des marionnettes cassées, où cabotinent seconds rôles et canassons de réforme, tandis que, dans la salle, un chahut monstre enfle et grossit, de l’orchestre au poulailler. Convulsions du pays secoué de grèves, éruptions dans les cités ou les banlieues, hostilité larvée: la désobéissance sourde, l’indifférence entêtée, le mépris obstiné ou le rejet furieux se développent. Les réactions légitimes de professions qui se sentent mal aimées ou insuffisamment reconnues rejoignent la défense d’intérêts corporatistes, quand il ne s’agit pas de la contestation destructrice de l’ordre établi par des minorités agissant dans l’ombre.

Comment apaiser ces différends dont l’addition conduit à une impression de conflit récurrent? Quel sens donner à cet imbroglio où l’apparition de nouvelles problématiques côtoie le retour des luttes que l’on croyait d’un autre âge?

Parce qu’elle ne dispose d’aucun relais ou garde-fou, la société se trouve engagée dans la voie d’une inévitable collision avec le pouvoir, comme un territoire sans haies ni bois se voit livré aux avancées du désert, à l’érosion des vents mauvais. L’Etat, évidemment, au fil des ans, au fil des guerres, au fil des crises, a cherché à colmater les brèches. Aussi a-t-il-toujours été perçu comme providentiel par une société qui l’implore sans cesse.

Impuissant, le pouvoir se sent également mal aimé, incompris, fragile devant les mouvements désordonnés et imprévisibles de la société. Soucieux du tout, il est rattrapé par les revendications individuelles ou catégorielles. Vous sait-on jamais gré de défendre l’intérêt général?

Silencieuse, la majorité ne met son poids dans l’urne que lors des élections. Dans l’intervalle, corporations et lobbies tirent la couverture de droite ou de gauche, à hue et à dia… Comment le pouvoir ne perdrait-il pas le souffle à courir dans un sens, dans l’autre..(…) La rue encore, la rue toujours, qui seule ouvre la voie en l’absence de passerelles ou d’échelles, faute de relais efficaces du Parlement, des partis, associations ou syndicats. »

Source: Dominique de Villepin – « Le cri de la gargouille », Albin Michel 2002, pp 109, 110, 111

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