Intégration des jeunes sur le marché du travail, lutte contre les déficits, politique de sécurité… et saisine d’un juge d’instruction dans l’affaire Bettencourt: comment surmonter les divisions pour ne pas perdre les deux années à venir, par Dominique de Villepin.
La France est prise dans un engrenage dangereux. Mais le sursaut est possible si chacun d’entre nous a à cœur de répondre à l’appel de la France.
Premièrement, sortons du piège de l’affrontement.
Car c’est une constante de notre histoire. Notre pays est, depuis toujours, prompt aux divisions, parce qu’il a la passion de la querelle et des idéologies. On y rejoue des guerres civiles larvées, on y traque l’ennemi de l’intérieur, on y dresse des murailles entre bons et mauvais Français, entre cléricaux et laïcs, entre gauche et droite.
C’est le moteur du mouvement de balancier des révolutions et des contre-révolutions qui scande notre histoire nationale. De brèves euphories, Jeanne d’Arc comme 1830, précèdent de longues dépressions, avec, entre les deux, l’engrenage des divisions, des dérives et des peurs qui peut déboucher aussi bien sur le sursaut que sur l’aventure. Entre la Fronde et la triste fin de règne, il y a l’absolutisme de Louis XIV –c’est-à-dire Colbert et Vauban, mais aussi les guerres et les dragonnades. Entre l’explosion libératrice de la Révolution et le climat étouffant de la Restauration, au gré des dérives, il y a la Terreur, la guerre civile, l’assignat qui débouchent sur Brumaire, c’est-à-dire le Code Civil et les masses de granit, mais aussi la noblesse d’Empire et la campagne de Russie. Entre la joie de la Libération et la IVe République finissante, il y a la Sécurité Sociale mais aussi le règne des partis, l’inflation, la décolonisation manquée.
Ce qui se passe aujourd’hui en France, c’est la même histoire, en raccourci. Après un temps d’euphorie, lorsque la rupture annonçait la libération des énergies, est venu un temps de déception et de division. Le pouvoir est tenté de jouer sur le clavier des peurs, des intérêts et des catégories dans une stratégie qui privilégie toujours la conquête du pouvoir sur son exercice.
Il faut d’urgence briser ce cycle, avant que ne reviennent les fantômes de Thermidor ou de Brumaire. Cela suppose de se libérer de ce qui hypothèque notre avenir : la dette publique au premier chef, à l’heure où chaque enfant naît avec une dette équivalente à une année de salaire moyen. Il faut une réduction des dépenses, mais aussi une augmentation des recettes, en faisant contribuer davantage les plus hauts revenus.
Deuxièmement, refusons l’aggravation de la coupure entre le peuple et les élites.
Aujourd’hui, face à la crise, les élites du pays ont un défi à relever. Car la défiance est générale, tant envers les intellectuels, jugés coupés des réalités et enfermés dans leurs querelles, qu’envers les élites économiques, lorsqu’elles perdent le sens commun du mérite, des bonus des traders aux parachutes dorés. Sans parler des élites politiques, dans un système qui détourne les énergies individuelles pour faire de l’engagement politique un métier, avec le cumul des mandats en particulier.
Pour combler ce fossé, nous devons retrouver nos repères.
Faire vivre notre démocratie, grâce à la séparation des pouvoirs qui est gage de transparence. Que révèlent les affaires récemment mises sur la place publique ? La certitude ancrée chez beaucoup de Français qu’on leur cache quelque chose et qu’à ce titre toutes les rumeurs deviennent des vérités possibles dans un monde à part affranchi des lois communes. On n’arrête la rumeur qu’avec le retour à une morale républicaine. Garantissons la liberté de la presse et l’indépendance de la justice. Cela signifie aujourd’hui des gestes forts, comme la saisine d’un juge d’instruction indépendant dans l’affaire Bettencourt.
Faire vivre l’idéal de justice sociale, dans une société fatiguée où près de quinze millions de personnes ont des fins de mois difficiles, où pour la première fois des parents sont persuadés que le sort de leurs enfants sera moins enviable que le leur. C’est là aussi une source de défiance. L’effort de la rigueur doit être équitablement partagé entre tous les Français. Et le chômage, principale source d’injustice en temps de crise, doit être affronté. A la rentrée, 600 000 jeunes vont entrer, difficilement, sur le marché du travail. Face à ce défi, je propose une mesure simple : instaurons un pourcentage minimal de jeunes dans les entreprises de plus de 500 salariés, qu’ils soient dans l’emploi ou en formation. Nous ne résoudrons cette question essentielle qu’avec volontarisme.
Faire vivre nos principes républicains, enfin, c’est-à-dire le sens du mérite et l’égalité des chances, car le sentiment prévaut que l’ascenseur social est en panne. Il faut donc favoriser l’accession des femmes, des nouvelles générations aux postes de responsabilité. On ne respecte ni la complexité, ni la diversité française, qui imposerait une politique d’équilibre partout sur le territoire, qu’il s’agisse des banlieues ou des campagnes.
Troisièmement, refusons le repli sur soi pour trouver toute notre place dans la mondialisation.
Le monde ne nous attendra pas. Les Français sentent bien, dans la succession des crises économiques et dans l’accumulation des dettes publiques, que la France est en train de jouer son rang dans le monde et en Europe, au moins pour les prochaines décennies.
La Grande-Bretagne et l’Allemagne reprennent leur essor économique, grâce à l’acquis de leurs réformes structurelles, creusant d’autant la divergence entre la France et l’Allemagne, au cœur de la crise européenne actuelle. Il faut avancer résolument vers une harmonisation fiscale, budgétaire, sociale avec nos partenaires allemands.
Nous ne pouvons nous permettre deux années perdues. Nous ne pouvons accepter le renoncement. Il faut favoriser les secteurs les plus dynamiques, donner un second souffle à la recherche, soutenir résolument l’accès au financement des PME, enclencher un abaissement du coût du travail. Je propose pour ma part un basculement d’une part des cotisations sociales des salaires vers la fiscalité des revenus, du travail comme du capital.
La majorité doit tirer les leçons des dernières années pour écrire une nouvelle page dès la rentrée et répondre aux préoccupations des Français. C’est la responsabilité du Président de la République. Je propose, autour des trois enjeux principaux pour la nation, la définition d’une plateforme d’action qui puisse rassembler toutes les forces politiques : la lutte contre les déficits, le financement de la protection sociale –retraites, assurance maladie et dépendance– et la sécurité. Le rassemblement est indispensable car notre effort ne pourra porter ses fruits que s’il est maintenu dans la durée. Dix années sont nécessaires pour apurer nos comptes publics sans mettre en danger la croissance, qui suppose des dépenses d’avenir, notamment dans l’éducation.
Sur la sécurité, par exemple, qui ne voit que la démarche idéologique mène à l’impasse ? Les événements de Grenoble le montrent, le soutien à ceux qui risquent leur vie pour assurer l’ordre républicain doit être sans faille. Cela suppose de leur donner les moyens d’être plus présents et plus efficaces sur le terrain : moyens humains et moyens techniques, avec la réactivation des GIR, le meilleur outil pour lutter contre les grands trafics. Il faut marier les propositions de la gauche et de la droite : la vidéosurveillance, la police technique et scientifique, des instruments de prévention et de répression adaptés, mais aussi une police du quotidien à toute heure et dans tous les quartiers. En ce sens, le doublement des Unités Territoriales de Quartier, embryon de police de proximité rénovée, que j’ai appelé de mes vœux, est positif.
La réforme des retraites doit être un moment fort de cette dynamique vertueuse. J’aurais privilégié pour ma part un allongement de la durée de cotisation sur
le relèvement de l’âge légal, mais retenons les évolutions positives comme le rapprochement entre public et privé, gage d’équité, et surtout la préservation de l’esprit de notre régime par répartition. Aujourd’hui un accord large est nécessaire et possible, dès lors qu’on accepte de prendre en compte deux exigences.
Une exigence de justice, qui suppose de ne pas toucher à l’âge de départ à taux plein à 65 ans, frappant de plein fouet les femmes, et de parvenir à un accord réel sur la prise en compte de la pénibilité, en intégrant ses effets différés.
Une exigence d’efficacité, en proposant un plan de financement crédible, par exemple en taxant davantage les retraites-chapeau, sans pour autant tomber dans les excès fiscaux de la gauche ; en articulant ensuite la réforme avec un projet de société prenant en compte l’emploi des femmes, des jeunes et des seniors, en hausse de près de 20% en un an ; en laissant la voie ouverte à un régime unique de retraite à la carte.
C’est toute la démarche de République Solidaire d’assumer avec indépendance ses responsabilités de force de proposition et d’alternative en s’efforçant d’établir des ponts au-delà des fossés idéologiques et partisans. Le plus grand mal pour notre pays aujourd’hui c’est la division et l’inaction. Faisons le choix de l’union et de l’effort.
Source: Dominique de VILLEPIN, Président de République Solidaire (Les invités de Mediapart)