Proche de Dominique de Villepin, le député non inscrit a voté, mardi 13 juillet, contre la loi qui, selon lui, opère un basculement de notre conception du droit.
Interview pour La Croix.
La Croix: Quelle sera votre position sur le projet de loi d’interdiction de la burqa ?
Daniel Garrigue : Je voterai contre ce texte. Je suis depuis le début opposé, comme Dominique de Villepin, à une interdiction du voile intégral dans tout l’espace public. Cette tenue nous paraît inacceptable car elle signifie le refus du dialogue.
Je suis favorable, et j’avais déposé plusieurs amendements en ce sens, à une interdiction limitée à certaines situations, à certains lieux où la sécurité exige de pouvoir identifier les personnes. Je pense aussi qu’il faut réprimer sévèrement ceux qui contraignent les femmes à porter le voile intégral. L’avis du Conseil d’État, que n’a pas voulu suivre la majorité, était sage.
Le gouvernement fonde juridiquement cette interdiction sur la définition d’un ordre public intégrant des valeurs sociales. Cet argumentaire ne vous a pas convaincu ?
Tout notre système juridique ainsi que notre conception de la société reposent sur un équilibre entre le respect de l’ordre public et celui des libertés individuelles. Je pense que les auteurs du texte n’ont pas mesuré la gravité de cette réforme, qui nous fait basculer dans une autre conception philosophique, au nom de laquelle une société pourrait imposer des comportements à ses membres.
Aujourd’hui, on exige des gens qu’ils soient reconnaissables les uns des autres dans la rue. Demain, imposera-t-on de se dire bonjour ? Et après-demain de faire le salut romain ? Notre pays si attaché à la liberté perd la référence à l’universalisme de la Déclaration des droits de l’homme. La ministre de la justice reconnaît elle-même qu’on entre dans une conception « relative » ou « évolutive » de l’ordre public.
Le refus des règles de base du « vivre-ensemble » ne menace-t-il pas notre société ?
Pour combattre un comportement extrémiste, on prend le risque de glisser vers une société totalitaire. Lors du débat sur l’identité nationale, on a bien souligné que le vivre-ensemble était, selon la conception du philosophe Ernest Renan, affaire d’adhésion.
Avec cette loi, on voit bien qu’il n’est plus question d’adhérer mais de se conformer à des règles imposées. Après le port de la burqa, quel comportement va-t-on interdire ? Je ne suis pas certain que les partisans de cette loi se rendent vraiment compte du basculement qu’elle provoque.
En s’engageant à saisir le Conseil constitutionnel, la majorité ne fait-elle pas preuve d’honnêteté ?
Il aurait mieux valu le saisir avant… Et quand bien même les sages ne sanctionneraient pas la loi, la France risque un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme.
N’êtes-vous pas bien seul sur cette ligne du refus ?
Il y a un manque de courage dans la majorité, où tout le monde va se rallier au texte, et aussi chez les socialistes, qui ne participeront pas au vote pour ne pas froisser une partie de leur électorat.
Le climat général, sur ces questions d’intégration, vous inquiète-t-il ?
Quand j’étais maire de Bergerac, où environ 10 % des habitants sont issus de l’immigration, j’ai fait beaucoup pour trouver des solutions par le dialogue. Hélas, je constate aujourd’hui dans tous les pays d’Europe un climat de racisme, une montée du populisme liée à la crise économique et au vieillissement de nos sociétés.
L’instrumentalisation politique de problèmes comme la burqa ne s’explique que par la course aux voix du Front national. Ce n’est pas sain, pas conforme à l’idée de la République que Dominique de Villepin veut défendre. Nos valeurs appellent la solidarité avec les populations issues de l’immigration.
Source: La Croix (Propos recueillis par Bernard Gorce)