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Interview de Dominique de Villepin au Parisien (1/2)

Dominique de Villepin appelle aujourd’hui de ses voeux des « gestes significatifs » pour « aller au bout de la vérité » dans l’affaire Bettencourt/Woerth, comme le dépaysement du dossier, la création d’une commission d’enquête et la saisine d’un juge indépendant.

« Il y a pour l’instant un doute sur les procédures qui sont mises en oeuvre », estime Dominique de Villepin dans un entretien au Parisien/Aujourd’hui en France. Evoquant les « liens d’amitié » entre le procureur de Nanterre Philippe Courroye, qui conduit les enquêtes préliminaires, et le chef de l’Etat Nicolas Sarkozy, Dominique de Villepin estime qu’ »il y a donc une suspicion ».

« On ne pourra pas tourner la page de ces affaires si on ne peut pas aller jusqu’au bout de la vérité », ajoute-t-il. Selon le fondateur de République solidaire, « plusieurs gestes significatifs sont possibles comme le dépaysement du dossier hors des Hauts-de-Seine, la création d’une commission d’enquête parlementaire et la saisine d’un juge d’instruction indépendant ».

« On ne peut pas avoir un président de la République en même temps président de l’UMP »

Pour l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin, 56 ans, qui vient de fonder son propre mouvement, République solidaire, avec en ligne de mire la présidentielle de 2012, l’affaire Bettencourt est le symptôme d’une grave crise de l’Etat.

L’affaire Bettencourt est-elle une affaire d’Etat ?

Dominique De Villepin: C’est une crise grave, parce qu’elle touche nos principes républicains.

Mais c’est aussi le révélateur d’une crise plus large, une défiance à l’égard des politiques coupés des réalités quotidiennes des Français. Il faut maintenant sortir de cette spirale, qui paralyse et abaisse notre pays, et en sortir par des actes. Il est urgent de réagir et le président de la République aura l’occasion de le faire dès lundi devant les Français. D’un côté, il doit apporter la garantie que tout sera mis en œuvre pour que la vérité puisse apparaître. De l’autre côté, il faut tirer les leçons de l’impasse politique actuelle. Ma conviction, c’est que nous avons d’urgence besoin d’un changement de politique.

La garantie d’avoir des réponses aux questions posées par l’affaire Bettencourt est-elle assurée ?

Il y a pour l’instant un doute sur les procédures qui sont mises en œuvre. A l’inspection des finances, c’est le chef de l’inspection qui est saisi personnellement, et non pas le corps de l’inspection, comme c’est le cas habituellement. Du côté judiciaire, les procédures sont lancées par le procureur de Nanterre (NDLR : Philippe Courroye), alors même que chacun connaît ses liens d’amitié avec le chef de l’Etat. Il y a donc une suspicion. On ne pourra pas tourner la page de ces affaires si on ne peut pas aller jusqu’au bout de la vérité. Cette vérité est indispensable, tant le discrédit souvent injuste qui pèse sur les hommes politiques est fort. Plusieurs gestes significatifs sont possibles, comme le dépaysement du dossier hors des Hauts-de-Seine, la création d’une commission d’enquête parlementaire et la saisine d’un juge d’instruction indépendant.

Comment obtenir cette vérité ?

Il y a trois conditions. La première, c’est l’indépendance de la justice. Elle exige une rupture du lien entre le parquet et le pouvoir politique. Deuxième exigence : le respect de la liberté de la presse. La presse doit être en mesure de contribuer sans entraves à faire toute la lumière sur ces dossiers.

Vous récusez les mots employés par Xavier Bertrand et d’autres, qui parlent de méthodes fascistes du site Mediapart ?

Tout cela me paraît outrancier et contribue à créer un sentiment inverse à celui recherché, c’est-à-dire à renforcer la suspicion sur les hommes politiques, qui chercheraient à se protéger.

Quelle est la troisième condition ?

C’est l’impartialité de l’Etat. Elle est mise à mal par certaines pratiques. Je pense d’abord à la confusion des genres qui conduit un trésorier d’un grand parti politique comme l’UMP à pouvoir en même temps être ministre, qui plus est ministre du Budget. Le lien me paraît tout à fait inacceptable. La fonction de trésorier a évolué. Ce n’est pas seulement quelqu’un qui tient les cordons de la bourse de son parti, c’est aussi quelqu’un qui sollicite un certain nombre de bailleurs de fonds, de grandes fortunes. Placer un ministre dans cette situation de solliciteur pose problème. Deuxième exemple : on ne peut pas avoir un président de la République qui, de facto, est en même temps président de l’UMP. On ne peut pas avoir à l’Elysée des réunions qui organisent la vie d’un grand parti politique. Tout cela est malsain et contribue à la confusion des genres.

Jacques Chirac à l’Elysée ne se mêlait jamais de la vie du RPR ?

Le président avait, et en particulier durant la cohabitation, des réunions avec des responsables de sa majorité. A ma connaissance, il ne se mêlait pas du quotidien du parti. Un président de la République, c’est un arbitre, garant de l’intérêt général. Il doit être capable, en se détachant des intérêts particuliers, de prendre de la hauteur, pour pouvoir définir une vision et un cap dans la durée.

Source: Le Parisien (propos recueillis par Nathalie Segaunes et Henri Vernet)

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