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Interview de Dominique de Villepin au quotidien Libération

Dominique de Villepin juge que remplacer François Fillon à Matignon est vraisemblablement « une des dernières cartouches » dont Nicolas Sarkozy dispose pour regagner la confiance des Français, dans un entretien paru samedi dans le quotidien Libération.

« Une de ses dernières cartouches, c’est un éventuel changement de Premier ministre », déclare Dominique de Villepin, avant d’ajouter : « Ce serait peut-être injuste car François Fillon n’est pas le plus éloigné des réalités ».

Le président de République solidaire (RS), mouvement politique né le 19 juin, dit aussi avoir l’impression que le président de la République et le Premier ministre « vivent sur deux planètes différentes », alors qu’ »il y a une nécessité absolue de confiance réciproque dans la relation » entre les deux têtes de l’exécutif.

Interrogé aussi sur la capacité du parti présidentiel à rassembler la droite et le centre, il répond : « l’UMP est né d’une bonne intention, mais c’est malheureusement devenu aujourd’hui une machine électorale sans débats, sans respiration et sans repères suffisants ».

Jeudi, il s’était déjà offert quelques commentaires sur la gestion présidentielle du gouvernement en critiquant l’annonce d’un remaniement ministériel.

Source: Nouvel Observateur

L’interview de Dominique de Villepin dans Libération

République Solidaire, le nouveau parti de Dominique de Villepin, installe ses cadres et précise son organisation. Les parlementaires villepinistes –membres de l’UMP – se sont répartis les thèmes de réflexion pour préparer « l’alternative » en 2012. Marie-Anne Montchamp, porte-parole, tiendra lundi son premier point de presse. Jean-Pierre Grand est en charge des fédérations. Un secrétaire fédéral doit être désigné dans chaque département.

Toujours membre de l’UMP, l’ancien Premier Ministre « assume » son appartenance à cette famille politique. Mais selon lui, le système Sarkozy laisse exsangue le parti majoritaire, comme il a laissé dans l’impuissance le Premier ministre et l’ensemble du gouvernement.

A ce propos, Dominique de Villepin note que l’annonce du prochain limogeage des ministres qui ont « déplu » est caractéristique d’un « mépris » de l’Etat et des Institutions. « Dans quelle situation sont aujourd’hui les ministres montrés du doigt, qui sont supposés devoir partir ? Dans quelle situation sont-ils vis-à-vis des Français, vis-à-vis d’eux-mêmes, mais surtout vis-à-vis de leur administration ? », a-t-il ajouté, jeudi, en marge de notre entretien.

Sur le cas Woerth, il regrette que le chef de l’Etat refuse d’acter l’incompatibilité entre les fonctions de ministre et de trésorier du parti. Toléré jusqu’à présent « parce qu’on ne s’était pas assez penché sur la question », le cumul a son lui « changé de nature » depuis que sont organisées, y compris dans les ministères, des réceptions pour les bailleurs de fonds. Le président de République Solidaire s’explique dans Libération, sur le sens de son appel au « rassemblement ».

Libération: Après l’affaire Bettencourt, la question de l’indépendance de la justice est de nouveau posée. Un sujet qui vous est cher…

Dominique de Villepin: Après l’Angolagate et l’affaire Clearstream, sans même parler de l’affaire de Karachi, nous avons une nouvelle affaire où l’indépendance de la justice est mise en cause de façon grave. Une fois de plus, nous voyons apparaitre les mêmes protagonistes : un procureur de la république est un conseiller juridique de l’Elysée. Est-ce que le Président de la République est dans son rôle, quand, à travers l’un de ses conseillers, on le voit intervenir directement dans des dossiers sensibles ? La réforme de la justice est plus jamais nécessaire. Il faut couper le cordon entre le parquet et le pouvoir politique. Beaucoup des scandales viennent de la confusion des pouvoirs. Cette gangrène risque de favoriser les extrêmes. Je refuse pour ma part toute mise en cause personnelle, mais il nous faut revenir aux principes. Ainsi aujourd’hui sont en question, outre l’indépendance de la justice, l’impartialité de l’Etat et l’égalité devant l’impôt.

Sans l’affaire Clearstream, en seriez-vous arrivé à fonder un parti ?

Clearstream est une étape dans ce parcours. Mon engagement n’a jamais varié. J’ai marqué ma différence dès le début du quinquennat en faveur de plus de justice sociale, d’un meilleur équilibre institutionnel, de réformes ciblées et clairement assumées. La crise nous oblige à un effort exceptionnel dans la durée. Nous avons besoin de plus de dix ans pour relancer la croissance, résorber les déficits et renouer avec l’emploi. Cela suppose des propositions pour l’action. Une nouvelle étape a été franchie quand j’ai compris avec la surenchère sécuritaire, le débat sur l’identité nationale et le projet de loi sur la burqa que le gouvernement faisait le choix de jouer sur les peurs et de jouer sur les divisions des Français. J’ai voulu en tirer toutes les conséquences en créant un mouvement indépendant ouvert à tous pour proposer une alternative à la politique menée et avec pour première ambition de rassembler les Français, au-delà des frontières partisanes et de l’idéologie, au-delà des calculs de court terme et d’une politique d’abord dictée par les sondages, comme c’est le cas aujourd’hui.

Est-ce si nouveau ?

C’est la première fois que tous les matins, l’Elysée s’appuie sur les sondages pour décider de la politique de la nation. Je n’ai jamais vu François Mitterrand ou Jacques Chirac décider de ce qu’il fallait faire parce qu’il y avait un point à gagner ici ou là. Le culte de l’opinion, des catégories, des classes d’âge enferme dans une bulle politique, très éloignée de l’intérêt national. Il y a là un véritable déni de la réalité. Ce déni a une cascade de conséquences. On ne regarde pas la réalité de l’effort à faire, on ne met pas en oeuvre la politique de rigueur à la hauteur des enjeux.

Regarder la réalité, cela impose la rigueur ?

Les Allemands regardent cette réalité en face, au détriment quelquefois de la solidarité européenne : il va nous falloir faire beaucoup d’efforts pour trouver notre place dans la mondialisation. On parle de revenir à l’équilibre budgétaire en 2013, essentiellement grâce à des prévisions de croissance auxquelles personne ne croit. Le résultat, c’est qu’on ne définit pas la répartition de l’effort entre les Français. Il faut pouvoir dire à tous les Français qu’il va y avoir dix années difficiles. Les plus aisés devront donner l’exemple en en prenant toute leur part : on va créer une nouvelle tranche d’impôt sur le revenu, supprimer le bouclier fiscal. Et on va demander à chacun d’apporter sa contribution, par exemple à travers l’allongement de la durée du travail.

La réduction de la dépense publique, cela va dans le bon sens ?

Je ne crois pas à la politique du rabot qui consiste à faire des coupes à l’aveugle, là où il y a une réflexion en profondeur à engager sur le périmètre des missions de l’Etat. Il faut renforcer ses moyens dans des secteurs stratégiques, comme la sécurité, l’éducation, la santé et inventer une nouvelle gouvernance dans d’autres secteurs à travers un partage des responsabilités entre le secteur public et le secteur privé.

Voulez-vous contribuer au travail de la majorité ?

Je veux contribuer à l’action politique, mais je refuse le jeu de rôle des partis traditionnels dans un temps de crise où plus que jamais nous avons besoin d’effort et de rassemblement dans la durée.

Mais en politique, il faut bien choisir son camp ?

L’enjeu aujourd’hui, c’est le destin de la France. Il saut sortir de ses habitudes politiciennes, des clivages diabolisant et du prêt-à-penser pour se retrouver sur l’essentiel. La réforme des retraites en est l’exemple. Nous avons d’un côté un projet gouvernemental injuste, à courte vue et qui ne règle pas le financement. Nous avons de l’autre un projet socialiste de pure opposition. Pour ma part, j’aurais privilégié une réforme misan
t sur l’allongement de la durée de cotisation dans la perspective d’un régime unique et à la carte, prenant en compte la situation des plus faibles. Dans cette crise la question se pose : n’est-on pas plus fort quand on dépasse les clivages et les majorités simples ?

Mais l’UMP, n’est-ce pas justement la grande coalition de la droite et du centre ?

L’UMP est née d’une bonne intention, mais c’est malheureusement devenu aujourd’hui une machine électorale sans débats, sans respiration et sans repères suffisants.

Les marges de manoeuvre de Sarkozy sont, dites-vous, extrêmement limitées ? Que lui reste-t-il ?

Une de ses dernières cartouches, c’est un éventuel changement de Premier Ministre. Ce serait peut-être injuste, car François Fillon n’est pas le plus éloigné des réalités. Je souhaite en tout cas que l’occasion soit saisie pour rééquilibrer les institutions. C’est une condition de l’efficacité de l’Etat et du respect de la vie démocratique.

Par hypothèse, pourriez-vous être ce Premier ministre ?

C’est exclu, parce qu’il y a une nécessité absolue de confiance réciproque dans la relations entre le Premier ministre et le Président de la République. Sinon, cela donne les scènes ubuesques que raconte avec drôlerie Michel Rocard.

Est-ce la situation d’aujourd’hui, entre François Fillon et Nicolas Sarkozy ?

Je me pose parfois la question. On a l’impression qu’ils vivent sur des planètes différentes.

Vous dites qu’en 2012, vous déciderez d’une éventuelle candidature en fonction des circonstances. Iriez-vous jusqu’à prendre le risque de faire éliminer le candidat de droite dès le premier tour ?

Le même raisonnement pourrait s’appliquer au Président de la République. On pourrait lui adresser une supplique : « vous avez déjà essayé une fois, on ne peut pas dire que ce soit concluant, alors éviter nous un 21 avril à l’envers. » Ce n’est pas sérieux. La seule question qui se pose, c’est l’intérêt national. Je veux que la France gagne. J’estime que mon combat est utile. J’ai le souci de servir et beaucoup de bonheur à aller à la rencontre des Français, comme récemment à Vesoul, Dijon, Mantes-la-Jolie.

On vote dimanche à Rambouillet dans les Yvelines. Souhaitez-vous la victoire de l’UMP ?

Dans les circonstances locales, oui, même si je ne suis pas satisfait de la politique qui est menée. C’est face au manque de résultat que mon engagement m’apparaît nécessaire.

Vous nous dites, en sommes, que vous préféreriez ne pas avoir à vous engager ?

J’aurais été très heureux de me consacrer au rayonnement international de la France ou à la défense de la culture française.

Source: Libération (Propos recueillis par Alain AUFFRAY)

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