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Réforme de la procédure pénale: une réforme heureusement avortée

Ce devait être l’un des grands chantiers du quinquennat, une « réforme en profondeur » saluée par Nicolas Sarkozy devant la Cour de cassation, en janvier 2009, après l’avoir annoncée lors de ses vœux fin 2008. Il n’en sera finalement rien.

La ministre de la justice, Michèle Alliot-Marie, qui continuait d’y croire, a annoncé, jeudi dernier, que la réforme de la procédure pénale « pourrait ne pas être votée avant 2012″. Officiellement, la ministre invoque « l’encombrement du calendrier parlementaire ». De fait, ce sont plusieurs dispositions contestées par le monde judiciaire qui sont en cause.

Acte 1 : Une volonté présidentielle

En 2009, Nicolas Sarkozy avait mis le monde judiciaire en émoi en annonçant sa volonté de supprimer le juge d’instruction et de transférer une grande partie de ses pouvoirs d’enquête aux parquets, soumis au contrôle de l’exécutif. Pour le chef de l’Etat, qui n’a jamais hésité à fustiger les juges et pense avoir l’opinion avec lui sur ce sujet, « la confusion entre les pouvoirs d’enquête et les pouvoirs juridictionnels du juge d’instruction n’est plus acceptable ». Il propose donc de remplacer le juge d’instruction par un « juge de l’instruction », « qui contrôlera le déroulement des enquêtes mais ne les dirigera plus ».

Une mission est confiée à Philippe Léger, ancien avocat général à la Cour de justice des communautés européennes. Mais l’Elysée et Rachida Dati, alors garde des sceaux, ont déjà borné son travail : réforme de la garde à vue, renforcement des droits des avocats et des prévenus, mais surtout suppression du juge d’instruction et extension des pouvoirs d’enquête des parquets, sans leur donner plus d’indépendance pour autant.

Acte 2 : Contestation et concessions

Dès le début de 2009, les syndicats de magistrats annoncent leur opposition forte à ce projet. Ils y voient une manière d’empêcher que se reproduisent des affaires politiques ou financières comme l’affaire Elf, dans lesquelles les juges d’instruction ont mené des enquêtes inépendantes et gênantes pour le pouvoir. Durant l’été, la contestation enfle et se polarise sur la question, centrale, du juge d’instruction. A gauche, mais aussi à droite : le député UMP Jean-Paul Garraud, ancien juge d’instruction, estime que « les magistrats du parquet (…), parties au procès, ne peuvent être impartiaux ». Il dénonce par ailleurs une réforme minimaliste, « moins ambitieuse » que celle proposée après l’affaire d’Outreau.

Le gouvernement veut rester ferme. L’Elysée tient à cette réforme et suit de près la préparation du projet de loi par Michèle Alliot-Marie, passée de l’intérieur à la justice après les européennes. Lors de ses vœux 2009, Nicolas Sarkozy promet aux Français : « Nous réformerons notre justice pour qu’elle protège davantage les libertés et qu’elle soit plus attentive aux victimes. » Début 2010, le projet de loi est presque finalisé.

La garde des sceaux promet qu’il garantira l’impartialité et l’indépendance de l’instruction. Une victime pourra porter plainte si le parquet classe sans suite un dossier, promet-on. Autre hypothèse : doter les procureurs d’un « droit de retrait » si les instructions reçues de leur hiérarchie leur semblent compromettre l’enquête. Ils pourraient même être « tenus de désobéir » s’ils reçoivent un ordre « manifestement illégal », assure Michèle Alliot-Marie. Enfin, le « juge de l’enquête et des libertés », qui remplacera le juge d’instruction, pourra ordonner au parquet d’effectuer un acte d’enquête.

Acte 3 : Polémique sur les abus de biens sociaux

Des concessions qui ne convainquent ni le monde judiciaire, ni l’opinion. Les Français veulent garder leurs juges d’instruction. Les magistrats du siège, quant à eux, affichent leur indépendance. Au point que la majorité finit par s’inquiéter de l’impact de cette réforme à l’approche des élections régionales. D’autant qu’une série de polémiques sur la garde à vue montre l’abus de cette pratique en France. L’avant-projet de loi, présenté le 23 février, est supposé faire l’objet d’une large concertation au sein de la justice, de la police et des associations avant d’être voté en 2011.

Mais un article de ce projet inquiète : il met en place une réforme du régime de prescription des abus de biens sociaux. Ceux-ci sont souvent au cœur des affaires politiques ou financières. Or ces délits dissimulés ne sont connus, le plus souvent, que des années après les faits. La jurisprudence fait courir le délai de prescription à partir du jour de leur révélation. Le projet de loi fait partir ce délai du jour où l’infraction est commise. En 2007, Nicolas Sarkozy avait promis, devant le Medef, une « dépénalisation du droit des affaires » : cet article en est une étape. C’est un nouveau tollé, mais la ministre reste ferme sur l’ensemble du projet de loi.

Acte 4 : Fin de partie

La défaite de la droite aux régionales des 14 et 21 mars change la donne : plus question de tenir à tout prix sur des réformes qui fâchent. Même la Cour de cassation s’en mêle : le 16 avril, une assemblée générale de ses magistrats (du siège comme du parquet) rend un avis défavorable à l’ensemble du projet, qui « ne garantit pas suffisamment les équilibres institutionnels et l’exercice des droits de la défense et de la victime ». Ils fustigent aussi la prescription des abus de biens sociaux.

Le 19 avril, Michèle Alliot-Marie annonce au Figaro qu’elle recule sur cet article. « Les associations de victimes, de l’amiante notamment, ont attiré mon attention », se justifie la garde des sceaux. Qui assure par ailleurs que le reste de la réforme sera voté à la rentrée 2010, pour entrer en application mi-2011. La ministre s’avance beaucoup : son projet de loi représente plus de 700 articles et prendra des semaines pour être examiné au Parlement. Et en coulisses, l’UMP, sonnée par la défaite, l’a déjà en grande partie enterré. Michèle Alliot-Marie continue néammoins d’assurer que la loi sera votée, avec une ruse : scinder en deux l’ensemble pour accélérer les choses.

En fait, l’Elysée a demandé à la ministre de définir les éléments prioritaires de la réforme, notamment en matière de garde à vue, domaine où la France n’est pas en conformité avec les règles européennes. La suppression du juge d’instruction, quant à elle, n’est plus à l’ordre du jour, comme le confirme Nicolas Sarkzoy à ses visiteurs.

Source: Samuel Laurent (Le Monde)

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