Pour la première fois de sa vie, l’ancien premier ministre est en campagne… sans objectif déclaré.
Blanchi médiatiquement et espéré par une partie de l’électorat, Dominique de Villepin s’offre un tour de France pour tester sa popularité. En attendant 2012 ?
La présidentielle ? Quelle question ! Tout en autodérision grandiloquente, Dominique de Villepin jure ne pas y penser, un sourire un coin et l’air de ne pas croire lui-même à l’écran de fumée qu’il envoie comme une bouffée d’opium au visage des journalistes : « »On est jeunes, on est pauvres, on fait le tour de France… Et s’il le faut, on le fera une deuxième fois. » Entouré de sa petite garde rapprochée dans le wagon de première classe du TGV qui le ramène de Dijon, l’ancien premier ministre s’amuse de ses propres mots, botte en touche, badine. Déjà, une heure plus tôt, sur le quai de la gare, le gaulliste survolté s’est lancé dans un grand numéro clownesque pour répondre à la question d’un journaliste japonais soucieux de connaître son opinion sur l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne.
Accrochant du regard un jeune homme, casquette à l’envers, Villepin a lancé, imperturbable : « Demandons donc à ce jeune, qui a sûrement des problèmes et des choses à dire, de nous donner son avis. » Pas décontenancé, Nedjem, petit banlieusard de Sarcelles, s’est ainsi lancé dans une explication devant Naoki Fukuhara, correspondant du Mainichi Shimbun à Paris. « Il faut d’abord qu’ils respectent nos valeurs ! », a expliqué le jeune homme, l’air soudain très sérieux, au journaliste nippon un peu perdu dans cette scène surréaliste. Impérial, Villepin a validé en riant sous cape : « Je n’ajouterai rien. » Exaltation d’une aventure politique qui commence ou enthousiasme feint ? Tout se passe en fait comme si l’énarque, pur produit de la tradition technocratique française, découvrait à 56 ans les joies d’une campagne électorale, lui qui, des cabinets ministériels à Matignon en passant par l’ambassade de France à Washington et le secrétariat général de l’Élysée, n’est jamais passé par l’onction du suffrage universel. Alors, de Vesoul à Hammamet, de la Seine-Saint-Denis à la Côte-d’Or, le nouvel homme politique préféré des Français pour « représenter la droite au cours des années qui viennent » (selon un récent sondage ViaVoice pour Libération) savoure le chemin parcouru depuis les abysses du CPE et de l’affaire Clearstream.
Pas vraiment déclaré, mais en campagne tout de même, sans parti, mais encore adhérent de l’UMP, Villepin se promène comme un chef d’État, adaptant la casquette au voyage. Se déplace-t-il dans une exploitation agricole de Haute-Saône ? Il ne manque pas de rappeler qu’il est « né dans une ferme », et lance, soucieux de reprendre l’héritage « terroir » de Jacques Chirac : « Mieux vaut avoir l’œil rivé sur le cul des vaches que sur les courbes des sondages. » À bon entendeur… Rend-il visite à la CGPME de Côte-d’Or ? Le nouveau membre de la Confrérie des chevaliers du Tastevin, reçu en novembre dernier au clos Vougeot, vante ses racines bourguignonnes et son amour des crus locaux. Va-t-il en Tunisie, invité à prononcer un discours lors d’un colloque international organisé par la revue locale Réalités ? C’est le Villepin de 2003, celui du grand discours à l’Onu contre l’invasion américaine de l’Irak, qui ressort aussitôt et expose dans une longue intervention les bases nécessaires des relations euro-méditerranéennes. Et l’ancien diplomate de retracer les étapes du dialogue entre les deux continents : « le processus de Barcelone, en 1995, initié par Jacques Chirac », « l’Union pour la Méditerranée » lancée en 2008 « par la France, avec Nicolas Sarkozy » (sic !), puis de proposer ses solutions, se plaçant tout naturellement comme le dernier maillon dans cette chaîne de présidents de la République.
« Je ne me serais pas donné tout ce mal pour des querelles politiciennes »
D’ailleurs, pourquoi se priverait-il de confisquer cette partie du bilan de Nicolas Sarkozy, lui qui considère que son ancien ministre de l’Intérieur a été élu grâce aux bons résultats du gouvernement qu’il dirigeait, tout en « crachant dans la soupe » ? « Le concept de rupture est revenu en boomerang dans la tête du président. Il a cru que la croissance allait durer, pourquoi ? Parce que pendant deux ans, un gouvernement auquel il a participé a fait les bons choix. On s’est offert le luxe de penser qu’on allait se passer de ceux qui avaient obtenu les résultats », explique-t-il lors d’un déjeuner organisé avec des chefs d’entreprise bourguignons pendant son déplacement à Dijon. Là, assis à côté du maire PS de la ville, François Rebsamen, Villepin encourage les invités à lui poser toutes leurs questions, mêmes les plus « brutales ». De fait, c’est le propre frère du maire, Guy Rebsamen, restaurateur, qui se lâche en fin de repas : « L’élection de 2012, à laquelle vous serez candidat, est-ce la volonté inconsciente de vous « faire » Sarkozy ? » Brutal, en effet, mais Villepin relève le gant : « Je ne me serais pas donné tout ce mal depuis le début de la matinée s’il ne s’agissait que de querelles politiciennes, qui ne m’intéressent pas. Mais j’ai eu conscience, plus que d’autres et bien avant d’autres, que ce qui s’annonçait n’était pas bon pour notre pays. Ma motivation n’a jamais été le règlement de comptes. » Pas forcément convaincu, mais ravi du déjeuner pour autant, un exploitant viticole soupire : « C’est dommage, il y en a un qui ferait un bon premier ministre, et il est président, et un qui ferait un bon président et il est… » Sans achever sa phrase, le quadragénaire désigne l’orateur d’un signe de tête.
Durant tout le déjeuner, l’ancien premier ministre ne contredira pas ceux qui lui prêtent une ambition présidentielle. Deux heures plus tôt pourtant, Villepin s’était exclamé : « Ne parlez pas de malheur », devant un jeune sympathisant qui lui souhaitait d’accéder à l’Élysée. Comme si, échaudé par l’affaire Clearstream autant que soucieux de prendre sa revanche, il n’avait pas encore lui-même décidé de la marche à suivre, du degré d’exposition auquel il souhaitait se soumettre. Parmi les clés du personnage, cette phrase lâchée à table, sur la « douleur qui accompagne la mise en cause injustifiée. Pour soi, mais surtout pour sa famille et pour ses proches. Traînés dans la boue. Ça finit par casser, par gâcher des vies »…
Pourtant, autour de lui, les choses avancent. Prochaine étape : la transformation du Club Villepin, organisation dirigée par l’ancien ministre Brigitte Girardin, en formation politique digne de ce nom. L’événement aura lieu le 19 juin – Villepin n’ayant pas poussé le lyrisme jusqu’à occuper une date sacrée du gaullisme. Mais là encore, l’ancien premier ministre ne veut pas abattre ses cartes trop tôt, parle d’un « rassemblement », par opposition aux partis traditionnels, entretient le suspense. Ce mouvement participera-t-il aux élections ? Quelle serait sa stratégie d’alliance, sa position vis-à-vis de l’UMP ? Pas de réponse. Seule certitude pour l’instant, Dominique de Villepin a déjà annoncé que, s’il se présentait à la présidentielle, sa route ne passerait pas par les primaires de l’UMP, contraires « à l’esprit du gaullisme ». Pour le reste, si les informations sont délivrées au compte-gouttes, il est peu probable que cet admirateur de Bonaparte résiste longtemps à l’attrait de l’aventure politique suprême, renversant ainsi l’adage en se disant finalement qu’après être passé si près de la roche Tarpéienne, le Capitole ne doit plus être très loin.
Source: Valentin Goux (Valeurs Actuelles)