La rédaction du magazine Casemate, magazine consacré à la BD, nous autorise à reproduire des extraits de l’interview que lui a accordée Dominique de Villepin, à l’occasion de la sortie cette semaine de Quai d’Orsay chez Dargaud. Pour lire l’interview dans son intégralité, le numéro 26 du magazine Casemate est en vente dans les kiosques jusqu’au 28 mai.
Dernière partie de l’interview de Dominique de Vilepin: « On essaye avec beaucoup d’humilité. Et puis quelqu’un, à un moment donné, retient ce geste. C’est la force des artistes de retenir ce geste, et c’est magique. Oui, j’ai essayé. J’ai essayé différemment et quelqu’un s’en est rendu compte. Ca me touche, comme un geste de tendresse nous touche. »
Casemate: En effet, on les sent inquiets, tels que Blain les dépeint.
Dominique de Villepin: Au bout du chemin, ils portaient cette exigence que je leur ai inculquée pendant des mois et des années. Mais c’est compliqué de défendre l’intérêt général, c’est compliqué de sortir de soi, de se remettre en cause, de faire la part des égoïsmes pour trouver ce qui, à un moment donné, peut étonner, peut faire bouger. L’alchimie des hommes joue un rôle très important. J’ai attaché énormément d’importance à avoir des gens d’horizons totalement différents, j’avais besoin de cet atypisme, de personnalités contrastées, mais très affirmées apportant des regards très différents. On ne peut pas avoir des hommes qui se ressemblent les uns à côté des autres, mais la difficulté est de marier tout ça. C’est souvent douloureux parce qu’il y a des susceptibilités, des amours propres blessés, des gens qui ont le sentiment qu’on n’a pas arbitré en leur faveur, mais au bout du chemin tout le monde trouve sa place. Très vite, on a le sentiment que l’on poursuit la même chose et que ça n’a pas grand-chose à voir avec l’ambition personnelle. (…)
Les gens des cabinets ministériels sont-ils tous des gens exceptionnels?
Oui. Enfin… Dans le mien, oui. Pas dans tous. Je n’avais que les meilleurs et je les avais choisis sans prendre en compte leurs opinions politiques. Mon directeur de cabinet avait été le directeur de cabinet d’Elisabeth Guigou, ce qui n’est pas banal ! Pour moi, seul l’intérêt de la France comptait et ça allait d’autant mieux qu’ils étaient différents.
Est-ce la destinée de l’homme public de devenir un personnage de fiction?
Je pense qu’il y a des façons d’être, des styles – pour prendre un mot qui est fort en politique – qui, à un moment donné, peuvent correspondre à un vrai besoin. Entre 2002 et 2004, il y a eu la possibilité pour un ministre des Affaires étrangères de mettre en mouvement une maison comme le Quai d’Orsay, qui peut être prompte au conservatisme, mais qui en même temps rêve de se réveiller. Quand on a cette chance-là, avec un président de la République qui connaît très bien les relations internationales et qui fait confiance à une équipe pour défricher des territoires nouveaux ou trouver des solutions nouvelles, c’est forcément un moment un peu magique. Alors, que ce style ait correspondu à une époque, et qu’on ait eu quelques succès au milieu des difficultés et de quelques échecs, ça reste emblématique. C’est une période dont tout le monde se souvient au Quai d’Orsay parce que cette diplomatie est possible. Qu’on puisse, à partir de là, la caricaturer -au sens noble du terme, c’est-à-dire mettre en avant ses particularités et ses aspérités-, ça me paraît normal.
Et, personnellement, comment prenez-vous d’être un héros de bande dessinée?
C’est quelque chose qui vous échappe. Ca m’a toujours frappé, tout au long de ma vie: quand quelqu’un retient quelque chose de vous, c’est qu’il y avait une particularité dans ce que vous avez dit, dans ce que vous avez fait, dans ce que vous êtes. Qu’est-ce que ça fait de sentir que l’on a pu exercer une influence ou marquer les esprits de telle ou telle façon? Ca vous échappe, surtout pour un ministre des Affaires étrangères qui, par définition, se coltine avec beaucoup plus grand que lui, avec des forces qui le dépassent de très loin. C’est symbolique du combat qu’on mène contre le chaos pour recréer un tout petit peu l’ordre du monde. On essaye avec beaucoup d’humilité. Et puis quelqu’un, à un moment donné, retient ce geste. C’est la force des artistes de retenir ce geste, et c’est magique. Oui, j’ai essayé. J’ai essayé différemment et quelqu’un s’en est rendu compte. Ca me touche, comme un geste de tendresse nous touche. Oui, quelqu’un a retenu quelque chose. Ce n’est pas plus, ce n’est pas moins. C’est un signal.
Source: Casemate – Numéro 26 – Propos recueillis par Bertrand Dicale