Après l’âge d’or du système des retraites, les difficultés économiques ont remis en cause le modèle français.
Trois réformes, en 1993, 2003 et 2008, n’ont pas suffi à assurer sa survie.
Soixante ans d’histoire des retraites
1945 – 1974 La retraite pour tous
En 1945 est créée la Sécurité sociale dont l’un des objectif est d’offrir un régime d’assurance vieillesse à l’ensemble de la population. Sur le principe d’une solidarité entre les générations, un régime général basé sur une unification du système de retraite est mis en place. Les régimes spéciaux des agents de l’Etat et assimilés sont néanmoins maintenus et des régimes professionnels sont créés (régime des exploitants agricoles, artisans, commerçants…). Le principe de répartition remplace le système de capitalisation : les cotisations versées aujourd’hui financent immédiatement les retraites présentes. En 1956, le minimum vieillesse est instauré. Il garantit aux plus de 65 ans une retraite minimum. Des caisses complémentaires sont créées sur le modèle de l’Agirc créé en 1947 par les cadres du privé pour améliorer les retraites attribuées par les régimes de base. La loi du 29 décembre 1972 rend obligatoire l’appartenance des salariés à un régime complémentaire. En 1974, la loi de finances organise une compensation financière entre tous les régimes de base.
1975-1992 Les premières craintes
Au milieu des années 70, la crise économique conjuguée au vieillissement de la population change la donne. La question de la pérennité et du financement du dispositif se pose avec de plus en plus d’insistance. L’ordonnance du 26 mars 1982 – François Mitterrand est alors président de la République – fixe à 60 ans l’âge légal de la retraite, au lieu de 65 ans. En avril 1991, un livre blanc sur les retraites est rendu public. Si le Premier ministre d’alors, Michel Rocard, écarte toute substitution de la capitalisation à la répartition, il envisage un allongement de la durée de cotisation et un mode de calcul moins généreux des pensions.
1993 La première grande réforme
Le livre blanc de 1991 va servir de base à la grande réforme de 1993, dite « réforme Balladur ». Trois grandes mesures sont prises : l’allongement de la durée de cotisation pour bénéficier d’une retraite à taux plein passe progressivement de 37,5 années à 40 années. Le salaire moyen de référence, base du calcul de la pension est calculé sur les 25 meilleures années et non plus sur les 10 meilleures. La revalorisation de la pension se fera à partir de l’évolution des prix et non plus à partir de l’évolution générale des salaires.
1995 L’échec du plan Juppé
En 1995, Alain Juppé souhaite étendre à la fonction publique la réforme de 1993. Mais le projet déclenche un vaste mouvement social. Malgré le soutien apporté par la CFDT, les mouvements de grève de novembre et décembre 1995 de « défense des acquis sociaux » ont raison de sa détermination et le chef du gouvernement renonce.
1995 – 2003 Le temps des rapports
La pérennité et le financement du système français des retraites inquiètent de plus en plus. Celui chapeauté par Jean-Michel Charpin, en 1999, juge nécessaire d’allonger la durée de cotisation à 42,5 ans. L’année suivante, le rapport Teulade relativise le problème de financement en se basant sur des hypothèses économiques très optimistes, tandis qu’en 2001, le rapport Taddéi préconise la mise en place d’un système de « retraites choisies et progressives ». Dans ce contexte, la question est fréquemment débattue publiquement. Le gouvernement de Lionel Jospin, lui, promet des mesures dès la fin de 1999. Mais sur ce dossier explosif, il décide finalement de prendre son temps. Un fonds de réserve pour les retraites sera néanmoins créé en 2000. Son objectif : accumuler 152 milliards d’euros d’ici à 2020 par des recettes exceptionnelles. En 2000 est installé le Conseil d’orientation des retraites, instance consultative rattachée à Matignon.
2003 La réforme Fillon
Ministre des Affaires sociales dans le gouvernement Raffarin, François Fillon est chargé d’organiser la réforme des retraites. Après un round de consultation des partenaires sociaux, il confirme les grands principes de sa réforme au cours de l’émission 100 minutes pour convaincre. Il y déclare qu’il s’agit de « la seule réforme possible ». Les syndicats s’offusquent. Les grèves éclatent. Le 13 mai 2003, entre 1 et 2 millions de manifestants défilent dans la rue. Entre-temps, le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin déclare : « C’est pas la rue qui gouverne ! ». Les grèves se poursuivent. De l’autre côté, des partisans de la réforme se mobilisent à l’initiative d’associations proches des idées libérales comme Liberté chérie : l’ampleur de la manifestation du dimanche 15 juin (de 18.000 à 150.000 personnes) surprend. Au final, le projet sera présenté mi-juin en Conseil des ministres et adopté à l’Assemblée nationale le 4 juillet 2003. La réforme prévoit un allongement de la durée de cotisation, des incitations à l’activité des « seniors » et la mise en place d’un système de retraite par capitalisation individuel, le PERP. Elle a été par la suite fréquemment jugée insuffisante pour assurer la pérennité du système.
2007 La réforme des régimes spéciaux
Conformément à sa promesse de campagne, Nicolas Sarkozy s’attaque dès les premiers mois de sa présidence à la réforme des régimes spéciaux de retraite, serpent de mer des dix dernières années à l’origine de bien des conflits dans les transports. Retoqué en 1995, sous le gouvernement Juppé, après une mobilisation historique des cheminots, le projet n’entraîne cette fois qu’une dizaine de jours de grève des transports : les négociations tripartites Etat-direction-syndicats sur les modalités d’application de la réforme et les compensations apportées aux salariés ont finalement été acceptées par les syndicats. La réforme entrée en vigueur le 1er juillet 2008 pour les agents de la SNCF et de la RATP, a avalisé l’augmentation progressive de la durée de cotisation pour bénéficier d’une retraite à taux plein, de 37,5 ans à 40 ans en 2012, soit la même durée que celle des fonctionnaires et des salariés du privé.
Le rendez-vous de 2010
Après la réforme des régimes spéciaux en 2007, Nicolas Sarkozy fixe à 2010 celle des retraites. Un projet de loi devrait être présenté au Parlement en septembre. Pour poursuivre la réforme engagée en 2003, le gouvernement devrait jouer sur trois leviers différents : une hausse des cotisations retraite, l’allongement de la durée de cotisations et l’augmentation de l’âge légal de départ à la retraite, ce dernier débat ayant été ouvert plus tôt que prévu par l’opposition.
Source: Florence Renard-Gourdon (Les Echos)
Retraites : les trois réformes qui ont changé nos vies
Alors que la remise en question de l’âge légal de la retraite et un nouvel allongement de la durée de cotisation constituent aujourd’hui les deux pistes mises en avant par le gouvernement pour sauver le système de retraite français, retour sur les trois grandes réformes instituées en 1993, 2003 et 2008.
Réforme Balladur en 1993, réforme Fillon en 2003, réforme des régimes spéciaux en 2008 : les trois grands tournants qui ont marqué le système de retraite français n’ont pas suffi pour assurer sa survie. A la veille d’une réforme de grande ampleur promise par Nicolas Sarkozy, les déficits atteignent des niveaux jamais vus. Pourtant, ces trois réformes ont profondément modifié la situation de la population française. Démonstration.
Un cadre du Privé
* Avant la réforme Balladur
Les cadres du secteur privé qui prennent leur retraite avant la réforme Balladur vivent encore l’âge d’o
r du système par répartition français. Jusqu’en 1993, ils peuvent partir à 60 ans dès lors qu’ils ont cotisé 37 ans et demi. Leur pension est calculée sur la base de leurs dix meilleures années de salaire. Les régimes de retraite complémentaire Arrco (pour tous les salariés) et Agirc (pour les cadres) remplissent pleinement leur rôle d’amélioration des pensions : 100 francs de cotisations à l’Arrco payées dans les années 1960 donnent droit à presque 14 francs de retraite, deux fois plus qu’aujourd’hui. A l’Agirc, le taux de cotisations a même été réduit pendant une vingtaine d’années, car l’argent rentre trop massivement dans les caisses !
Les pensions versées par la Caisse nationale d’assurance-vieillesse sont alors revalorisées tous les ans en tenant compte de la progression des salaires. De plus, les Français de ces générations ont peu de chances d’avoir été touchés par le chômage. Et lorsqu’ils le sont, cela n’a pas d’incidence sur leur retraite, car les cotisations sont prises en charge.
* Après la réforme Balladur
Lorsqu’il arrive à Matignon en 1993, Edouard Balladur constate un déficit sans précédent : 40 milliards de francs pour la CNAV. La récession économique frappe de plein fouet les recettes de la Sécurité sociale. Devant cette situation, la réforme est menée au pas de charge, en quelques semaines.
Les pensions sont désormais revalorisées au rythme de l’inflation, et non plus à celui des salaires, ce qui ralentit sensiblement leur progression. La durée de cotisation augmente d’un trimestre par an : on passe de 37,5 ans pour la génération de 1933 à 40 ans pour celle de 1943 et pour les suivantes. Le montant de la pension, lui, n’est plus calculé sur 10 ans de rémunération mais sur les 25 meilleures années. Résultat, selon la CNAV, pour six retraités sur dix, la réforme Balladur a « conduit au versement d’une pension moins importante que celle à laquelle ils auraient pu prétendre sans réforme ». La différence moyenne est de 6 % pour l’ensemble de la population. Les hommes nés en 1938, par exemple, reçoivent une pension moyenne annuelle de 7.110 euros (hors retraites complémentaires), 660 euros de moins que si la réforme n’avait pas eu lieu. L’Agirc et l’Arrco prennent elles aussi des décisions douloureuses pour les assurés dans les années 1990. Pour 100 francs versés, on obtient maintenant moins de 7 francs de retraite.
Au total, un cadre du privé né en 1938 qui prend sa retraite à 65 ans en 2003 après une carrière continue de 40 ans reçoit une première pension qui représente 64 % de son dernier salaire, net de prélèvements sociaux.
* Après la réforme Fillon
La réforme Balladur ne suffit pas. Après quelques années dans le vert, due à l’arrivée à l’âge de la retraite des classes creuses nées pendant la Seconde Guerre mondiale, la CNAV renoue avec les déficits, sous l’effet du « papy-boom ». Portée par François Fillon, alors ministre des Affaires sociales, la loi d’août 2003 ne touche toujours pas à l’âge légal du départ, 60 ans, mais la durée de cotisation poursuit sa hausse inexorable.
Concrètement, un salarié du privé qui part à la retraite en 2012 devra avoir cotisé 41 ans. Pour l’inciter à retarder encore son départ, une surcote et une décote sont instaurées. Tout trimestre travaillé au-delà de la durée cotisée nécessaire entraîne une amélioration de la pension. A l’inverse, les salariés qui partent plus tôt voient leur pension réduite. Parallèlement, un dispositif de départs anticipés est prévu pour les salariés qui ont commencé très jeunes.
Quant au taux de remplacement, il reste stable, si l’on en croit une étude de la Drees qui a fait des évaluations avant et après la réforme de 2003 pour un même profil d’assuré né en 1948. Dans les deux cas, on touche entre 70,7 % et 71,5 % de son dernier salaire selon que l’on a été cadre toute sa carrière, au bout de dix ans ou au bout de vingt ans. La réforme n’a pas eu d’impact sur ce plan.
* Et demain ?
Pour l’instant, le montant moyen des retraites versées n’a jamais cessé de progresser pour les salariés du privé, même avec l’impact de la réforme Balladur. « Tout simplement parce que le montant moyen des nouvelles pensions liquidées est plus élevé que celui de l’ensemble des pensions en cours de service », note l’Observatoire des retraites. Résultat, les retraités jouissent aujourd’hui d’un niveau de vie très proche de celui des actifs. Plus pour longtemps. Car si l’on ne changeait rien, un cadre du privé partant à la retraite à 65 ans en 2020 après une carrière continue de 40 ans toucherait moins de 57 % de son dernier salaire, contre plus de 64 % pour un départ en 2003. En 2050, le taux de remplacement tomberait à 53 %.
Quant à l’âge de la retraite, il devrait reculer mécaniquement à l’avenir, même en l’absence de réforme. Les nouvelles générations ont commencé à cotiser plus tard que leurs aînés, à cause de l’allongement de la durée des études, des périodes de stage ou de chômage non indemnisé au début de la vie active. L’âge moyen d’entrée dans la vie professionnelle frôle les 22 ans et demi pour la génération née en 1970, trois ans plus tard que leurs parents. Même avec la législation actuelle, les quadragénaires d’aujourd’hui « pourront au mieux partir en moyenne à 63 ans et demi », souligne la Drees.
Un fonctionnaire de l’Etat
* Avant la réforme Fillon
Les fonctionnaires n’ont pas été touchés par la réforme de 1993. A la veille de la loi de 2003, ils jouissent encore d’une durée de cotisation de 37 ans et demi, plus courte que dans le privé. Et leur pension est calculée sur la base de leurs six derniers mois de salaire. Seul inconvénient, ils ne cotisent pour leur retraite que sur leur salaire de base, et non sur leurs primes. Or celles-ci peuvent représenter une part très importante de leur rémunération dans certains métiers, parfois plus de 50 % de leur traitement de base pour les agents des ministères des Finances ou des Transports.
Malgré ces inconvénients, un fonctionnaire qui prend sa retraite à la veille de la loi Fillon bénéficie d’un taux de remplacement relativement élevé : il atteint 68,7 % de son dernier salaire pour un agent né en 1938, parti en 2003 après quarante ans de cotisations et rémunéré sur la base d’un taux de prime de 20 %.
* Après la réforme Fillon
La réforme de 2003 aligne la fonction publique sur le régime du privé : même durée de cotisation, même méthode de calcul pour la revalorisation annuelle des pensions, instauration progressive d’une surcote et d’une décote. Mais le gouvernement laisse intacte une particularité du régime des fonctionnaires, celle du calcul de la pension sur la base des six derniers mois de salaire.
* Et demain ?
Si rien n’était fait, le taux de remplacement serait pratiquement stable pour un agent né en 1955 partant en 2020 comme pour un agent né en 1985 partant en 2050. Mais le gouvernement est déterminé à rapprocher encore le régime de la fonction publique de celui du privé. La règle des six derniers mois de salaire, notamment, pourrait être remise en question.
Un cheminot SNCF
* Avant la réforme des régimes spéciaux
Après l’échec cuisant d’Alain Juppé en décembre 1995, le gouvernement Raffarin ne se risque pas à s’attaquer aux régimes spéciaux comme la SNCF. Pour les salariés de l’entreprise publique, il suffit de cotiser 37,5 ans pour bénéficier d’une pension à taux plein. L’âge d’ouverture des droits est de 55 ans. Dans les faits, certaines catégories de salariés partent plus tôt grâce à des bonifications d’annuités. L’âge moyen de départ en 2004 était de 50,3 ans pour les agents de conduite, après 33,5 annuités de cotisations validées. Le taux de liquidation est basé sur le dernier sala
ire d’activité, dont il représente 67 % de la valeur en moyenne. Les primes, elles, ne sont que partiellement intégrées dans le calcul.
* Après la réforme
Promesse de campagne de Nicolas Sarkozy, la réforme des régimes spéciaux est entrée en vigueur le 1er juillet 2008. La durée de cotisation pour une retraite à taux plein passera à 40 annuités d’ici à 2012, avec instauration d’une décote et d’une surcote. Les pensions sont indexées sur les prix depuis 2009, et non plus sur les salaires. Comme dans la fonction publique, la pension est calculée sur la base des six derniers mois de salaire.
Pour éviter un remake des grèves de 1995, la réforme des régimes spéciaux de 2008 s’est accompagnée de substantielles contreparties négociées dans l’entreprise. Possibilité de racheter des périodes d’études supérieures, création d’un échelon d’ancienneté supplémentaire, assiette du salaire de référence élargie, retraite anticipée pour trois enfants étendue aux hommes… Au final, ces « mesures d’accompagnement » coûtent plus de 100 millions d’euros par an à l’entreprise publique ! Mais l’âge du départ commence déjà à reculer.
* Et demain ?
L’exécutif n’a rien dit sur les régimes spéciaux pour la réforme de 2010. La règle de calcul sur les six derniers mois de salaire devrait cependant être mise en question, comme pour la fonction publique. C’est en tout cas ce que redoutent les syndicats de la SNCF.
Source: Vincent Collen (Les Echos)