« La situation d’endettement de la France, pour être préoccupante, n’a rien à voir avec celle de la Grèce. Mais c’est aujourd’hui un obstacle à la confiance et un frein à la croissance. Elle constitue aussi une menace pour la démocratie du fait des contraintes sévères que nous transmettons aux générations futures. A très court terme, les charges d’intérêt de la dette publique vont devenir le premier budget de l’Etat, ce qui réduit d’autant notre liberté de mouvement et de choix politique. Le service de la dette se fait au détriment de la fourniture des services publics.
Nous sommes assez loin de la zone de vulnérabilité où notre dette serait insoutenable. Il n’y a pas de drame à craindre à court terme et donc aucun espoir d’une action immédiate et vigoureuse de réduction de la dette. La conjoncture économique incertaine, la fragilité de la reprise commandent d’ailleurs la prudence. Mais cette prudence n’est acceptable par les marchés, et responsable devant les citoyens, qu’accompagnée d’une stratégie forte, claire et courageuse pour le moyen et le long terme.
La réforme des retraites est un test de la capacité de la France à ne plus vivre au-dessus de ses moyens. L’exigence n’est pas de rétablir tous les équilibres en deux ans, mais bien de définir une perspective dans la durée. L’enjeu n’est pas aujourd’hui au rafistolage rapide mais à une réforme d’ampleur qui s’inscrive sur plusieurs décennies. Cette réforme ne sera acceptée et même portée par les Français que si ceux-ci sont complètement associés à sa définition et à sa mise en oeuvre. Nous proposons d’engager dès après les élections régionales un grand débat public dans tout le pays sur l’avenir des retraites. Le suivi de la réforme devra aussi associer le plus grand nombre.
Comment réduire la dette de l’Etat ? Augmenter les impôts ? Ce n’est pas notre choix politique. Vendre des actifs publics ? Assurément, dès que les cours de Bourse le permettront et que nous aurons défini les stratégies industrielles d’accompagnement. Espérer la croissance ? Le plus probable est qu’elle soit molle, trop molle ; il y faudrait davantage de confiance. La confiance est nécessaire à la réduction de la dette, la réduction de la dette est nécessaire à la confiance. Comment sortir du cercle vicieux actuel pour atteindre une logique vertueuse ? Il faut passer un contrat avec les Français et ce contrat est celui de la réforme fiscale. Nous ne voulons pas augmenter les impôts, il faut alors une pression collective à la modernisation de l’Etat et à la maîtrise des dépenses. Il faut que tous les Français se sentent concernés, il faut donc qu’ils paient tous l’impôt direct. Cet impôt douloureux enseigne la vertu. L’impôt sur le revenu concerne moins d’un Français sur deux. Au sein de la commission fiscalité du club Réforme et Modernité que je préside, nous avons dessiné les contours d’une réforme ambitieuse. Opérons la fusion de l’impôt sur le revenu avec la contribution sociale généralisée (CSG) dans un nouvel impôt qui concerne la quasi-totalité des Français ! Il faudra bien sûr assurer les transferts au profit de la Sécurité sociale. On veillera aussi à ne pas aggraver la progressivité de l’impôt. On pourra alors alléger le poids des niches fiscales qui sont, pour partie, une réponse à l’excessive concentration de l’impôt sur le revenu, un remède pour le rendre acceptable. En préservant la familialisation de l’impôt (le rôle essentiel du quotient familial), ce peut même être enfin l’occasion de passer au prélèvement à la source tout en maintenant l’acte déclaratif annuel, moment d’information et de responsabilité.
Surtout, cette réforme (fusion impôt sur le revenu-CSG, réduction des niches fiscales, prélèvement à la source) rendra tous les Français acteurs de la dépense, de son financement et donc du désendettement. On évitera de charger la réforme avec la fausse piste proposée par François Hollande d’une fusion avec la taxe d’habitation. Laissons aux communes leur responsabilité propre.
On pourra utilement encadrer la réforme par une règle constitutionnelle d’équilibre de la loi de Finances. Les propositions de l’économiste Jacques Delpla pour un amortissement rapide de tout déficit d’exécution budgétaire sont convaincantes. Elles s’accompagnent d’un appel à une définition objective des soldes budgétaires, indispensable, tant les divergences actuelles entre le gouvernement et la Cour des comptes sont malvenues. Les députés, les citoyens ont le droit de bien connaître les chiffres et leur définition. La Grèce s’est prise au jeu des commodités statistiques ! Cette réforme constitutionnelle ne peut être qu’à effet dans la fin de la décennie, mais, annoncée aujourd’hui, elle couronne une stratégie de moyen terme cohérente.
Réforme des retraites, réforme fiscale, règle d’équilibre sont des réformes à partager avec tous les Français pour rétablir la confiance, pour stimuler la croissance. Talleyrand disait que « les financiers ne font bien leurs affaires que quand l’Etat les fait mal ». Tant pis pour les financiers et tant mieux s’il s’agit de redonner au politique – et au peuple -la possibilité, la responsabilité de choisir plutôt que de subir. »
Source: Tribune d’Hervé Mariton, ancien Ministre, Député-Maire de Crest (Drôme), Président du Club Réforme et Modernité – Tribune parue dans Les Echos du mercredi 3 mars 2010