Le 16 juillet 1995, quelques semaines après son élection, Jacques Chirac a prononcé lors de la commémoration de la rafle du Vel’d’Hiv un important discours qui reconnaissait la responsabilité de la France dans la collaboration, rompant avec la position de ses prédécesseurs, du général de Gaulle à François Mitterrand.
L’ancien Président a vu le film La Rafle, de Rose Bosch . Il a confié ses impressions au Journal du Dimanche, dans une Tribune intitulée « La mémoire éclaire l’avenir ».
Il n’y a pas de grande nation, pas de cohésion nationale, pas de capacité à relever les défis du monde, sans mémoire. C’est pourquoi j’ai voulu que l’un de mes premiers actes au service des Françaises et des Français soit de condamner le double crime de Vichy : un crime contre toutes ces familles livrées aux bourreaux nazis autant qu’un crime contre la France.
Le 16 juillet 1942, au petit matin, quatre cent cinquante policiers et gendarmes, ceux-là même dont la mission était de faire respecter la loi et de protéger les citoyens, sont venus arrêter près de dix mille femmes, hommes et enfants. Avec les rafles qui ont suivi, soixante-seize mille juifs de France ont été envoyés à la mort. Combien d’entre eux ont ressenti, dans leurs ultimes instants, la négation de la foi qu’ils avaient dans le magnifique proverbe yiddish: « Heureux comme un juif en France. »
Les images atroces, restituées avec tant de force dans le film La Rafle, de fonctionnaires, en uniformes français, séparant les mères de leurs enfants, sans pitié ni respect pour les vieillards, les jetant brutalement dans les wagons de la mort, avaient ouvert une plaie que le temps ne parviendra pas à refermer. Nier, occulter cette réalité, c’était prendre le risque de voir se diffuser, dans notre conscience collective, le pire des poisons : le doute sur soi.
En tant que chef de l’Etat, j’ai estimé que ma mission et mon devoir étaient de reconnaître que, oui, la folie criminelle de l’occupant avait été secondée par des Français, par l’Etat français ; que la France, patrie de Lumières et des droits de l’homme, terre d’accueil et d’asile, avait accompli, ce 16 juillet 1942, l’irréparable.
La France devait le dire à ses compatriotes juifs. Elle le devait tout autant à elle-même. Savoir qualifier les instants noirs de son histoire, c’est savoir qui l’on est. C’est pouvoir affirmer, en toute conscience, que la France, ce n’est pas cela. La France, c’est la patrie du J’accuse de Zola, de l’homme du 18 juin, des Français libres de Bir Hakeim et de la Résistance.
La France, comme l’a souvent rappelé mon amie Simone Veil, ce sont aussi les justes, ces Français anonymes qui ont sauvé tant de juifs. Comme dans un jeu de miroir symbolique, le discours du Vel’d’Hiv de juillet 1995 et l’hommage rendu aux justes au Panthéon en janvier 2007 se répondent dans une même fierté française. Car la mémoire éclaire l’avenir et tout doit nous conduire à revendiquer avec fierté les valeurs qui font l’identité française, des valeurs utiles à la France comme au monde.
Depuis la Révolution, depuis que le général de Gaulle et le Conseil national de la Résistance ont posé les bases de la France moderne, notre pacte social est fondé sur des principes dont nous devons tous nous sentir les dépositaires : l’égalité des droits et des chances pour tous les enfants de la République, quelles que soient leurs origines ; la solidarité, comme ciment de notre cohésion nationale ; et le courage d’affirmer partout dans le monde que jamais la force ne saurait primer sur le droit. A l’heure où beaucoup de repères sont bouleversés, sachons voir que ces valeurs qui fondent le modèle français s’imposent d’évidence comme autant d’atouts pour relever les défis de notre avenir. »
Source: Tribune de Jacques Chirac pour Le Journal du Dimanche daté du 6 mars 2010