A lire dans ce billet, la suite de l’interview donnée par Dominique de Villepin au magazine Version Femina…
Version Femina: Qui sont vos modèles ?
Dominique de Villepin: Parmi les hommes qui m’ont inspiré, il y a bien sûr le Général de Gaulle. J’habitais en Amérique latine quand il a fait son grand voyage en 1964. Cela reste pour moi une image forte de la France. Il y a également l’engagement de gens comme Gandhi ou Mandela.
Mais aussi d’autres oubliés de l’histoire. Tel Roger Bernard, un jeune poète dans le maquis avec René Char, qui est tombé sous les balles allemandes. Il consacrait sa vie pour une cause qu’il estimait importante. Ce ne sont pas toujours de grandes figures, ni des images ou des lettres écrites au fronton des palais nationaux, mais tous ces témoignages qui vous donnent une raison supplémentaire de vous engager et de faire face aux difficultés.
Quelles sont vos ambitions à court, moyen ou long terme ?
Au delà de l’ambition, il y a la part du devoir. Je ne me suis jamais dit que je serais facilement à la hauteur de telle ou telle mission, mais plutôt que je mènerais un combat de tous les instants. Car la réalisation de ses objectifs nécessite une mobilisation permanente. Mon ambition, c’est de servir. Dans les circonstances qui se présenteront, à la hauteur des possibilités telles qu’elles existeront. Ce n’est pas une question de niveau. En revanche, je ne souhaite pas mettre de limite au combat que je veux mener. Je pense que la France aujourd’hui, dans la crise, doit penser grand. Je sais que les efforts que nous aurons à fournir pour faire face à compétition mondiale sont gigantesques. Mais je sais aussi que nous pouvons le faire, qu’il n’y a pas de fatalité.
Cet amour de la France est-il né du recul que vous a apporté votre enfance en exil ?
Vous dîtes « recul », je dirais plutôt « manque ». C’est vrai que la France et la langue française m’ont manqué. Quand vous êtes dans un pays étranger et que surgit votre langue au hasard d’une rencontre, c’est un moment de bonheur. Je suis né dans l’exil et je me suis constitué dans l’exil, dans le manque. Mais ce manque n’est pas une trahison de la réalité. J’ai toujours eu le souci d’aller vers une connaissance plus approfondie de cette diversité française. Ma famille a des racines implantées un peu partout dans le territoire national. J’aime cette diversité française. Je souffre d’autant plus aujourd’hui de voir l’impasse qui est faite sur certains éléments de cette identité, telle la ruralité, qui est une entité très forte de notre pays. Je souffre aussi quand je vois que nous ne faisons pas d’efforts suffisants pour les banlieues, où plus de 40% de jeunes sont au chômage. C’est inacceptable. Quand la fonction publique, dont je fais partie, est montrée sous un jour peu favorable, ça m’est aussi très difficile. Je pense que le pouvoir et l’homme politique ont une responsabilité : celle de rassembler. Unir chacun avec son esprit et son éthique. J’estime qu’il y a des Français à qui l’on ne rend pas assez hommage, à qui l’on ne donne pas suffisamment d’espoir. La France, c’est toute cette diversité qui mérite d’être associée.
De quelle loi déjà existante auriez-vous aimé être l’initiateur ?
Celle de 1905, la loi de la laïcité. Il a fallu beaucoup de courage pour tirer les leçons de guerres fratricides qui ont opposé les Français de confessions ou d’expériences différentes. Nous avons été capables de créer ce pacte entre Français désireux de vivre ensemble, de surmonter cette passion qui nous anime. En privé, chacun est libre de croire et de penser ce qu’il veut. Mais dans la sphère collective, chacun apporte ce qu’il a à donner à la république, sans qu’il n’utilise, ni n’oppose, sa croyance à celle d’un autre. Je pense que nous sommes-là au sommet du génie français.
De la même façon que nous avons été capables, en politique étrangère, de tirer les leçons de trois guerres avec l’Allemagne pour sceller une réconciliation, laissant de côté nos vieilles haines et nos vieilles passions. Quand j’allais à l’école, l’Alsace et la Lorraine étaient encore en violet sur les cartes, il n’y a pas si longtemps car je suis né en 1953. J’en garde une image très précise. Avoir pu surmonter de tels handicaps, juste après la guerre, constitue, selon moi, une grande fierté pour les générations françaises et allemandes.
Si vous deviez faire passer une loi aujourd’hui, laquelle serait-ce ?
Ce qui me paraît essentiel aujourd’hui, c’est de retrouver ce consensus national pour être plus mobilisés dans la crise.
Pour cela, il me semble nécessaire de rétablir la justice sociale. En répartissant les efforts au sein de la société française, entre ceux qui ont beaucoup, ceux qui n’ont pas assez et ceux qui n’ont rien. J’aimerais réinstaurer cette évidence, qui consiste à ce que chacun apporte en fonction de ce qu’il a. Aujourd’hui, l’éparpillement français est dû, en large partie, à cette absence ou cette insuffisance de la justice sociale.
Source: Cyril Cournoyer de l’Epine (Version Femina)