L’affrontement Sarkozy-Villepin, enraciné dans une haine née avec la présidentielle de 1995, incarne un nouveau type de combats politiques. Un duel à mort, dans la perspective de 2012, où une arme joue un rôle décisif : la justice.
Jusqu’à la mort, au-delà de toute raison, comme s’ils étaient mus par une force obscure, comme s’il s’agissait d’exécuter des figures imposées. Depuis plus de quinze années, Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin sont engagés dans ce duel interminable où les blessures ne font couler que le sang métaphorique de la politique, ce mélange d’ambition, d’espoir et d’honneur.
A chaque rendez-vous électoral, à chaque incident partisan, à chaque rebondissement judiciaire, l’un a saigné quand l’autre a souri. Sarkozy n’a pu empêcher Villepin d’entrer à Matignon en 2005, Villepin n’a pas su enrayer l’ascension de Sarkozy vers l’Elysée en 2007. L’actuel président n’a pas pu éliminer du débat public l’ancien Premier ministre, le fidèle de Jacques Chirac ne va pas remplacer à l’UMP le disciple d’Edouard Balladur. Pourquoi tant de haine?
1995: des droites en décomposition
Tout a commencé dans ce chaudron d’affrontement fondamental que fut la présidentielle de 1995. Après quatorze années de mitterrandisme, et malgré les deux cohabitations, les droites sont, alors, en pleine décomposition. Le solide triptyque énoncé par René Rémond n’est plus qu’un décor de carton-pâte. La droite bonapartiste incarnée par Jacques Chirac quitte Napoléon pour Louis-Napoléon et le pont d’Arcole pour le cul des vaches: c’est en candidat zen et social, mangeur de pommes et défenseur de la feuille de paie, que Jacques Chirac séduit une majorité de Français.
La droite orléaniste n’est plus représentée par le centrisme giscardien, qui n’a même pas de candidat, mais par Edouard Balladur, gaulliste pompidolien, et le célèbre « Enrichissez-vous » sonne aux oreilles des Français comme un arrogant « Enrichissons-nous ».
La droite légitimiste n’est plus à droite, mais à l’extrême droite, avec le Front national. La vieille opposition, enfin, gaullistes contre centristes, a vécu: le RPR a tout dévoré, sauf les ombres, agitées encore un peu par l’UDF, et les ténèbres, abandonnées au FN. Le schéma en vigueur depuis 1789 a cédé la place au dispositif du XXIe siècle.
Pragmatisme contre messianisme
En effet, en y regardant bien, la suite, avec l’UMP érigée en parti unique et Nicolas Sarkozy en vampire planté dans la carotide de Le Pen, n’a fait qu’achever le travail, et habiller ce nouveau corps de la droite, éveillé comme Frankenstein par la grande tempête de 1995. Depuis cette guerre civile, les luttes ne se déroulent plus entre les clans, mais au sein de la même et seule famille: on est passé de la droite tribale à la droite cannibale. On ne se combat plus, on s’entre-dévore; il n’y a plus de ligne de front, la mêlée est intime, la tuerie, domestique.
Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin, en leur grande querelle, sont nés vraiment en 1995, de ce big-bang. Chacun en son camp a alors pesé sur la stratégie et ourdi les coups bas, chacun s’est démené en scène comme en coulisses, en salle comme en cuisines. Enfants de cette violence, ils n’ont de fait gravé aucun humanisme au sein de leurs idéologies respectives. Nicolas Sarkozy a placé sa conquête sous le signe du pragmatisme, avec de vifs reflets de cynisme; Dominique de Villepin a inscrit son destin sur le registre du messianisme, avec de forts accents de lyrisme.
Le premier a construit un clan, bousculé par les aléas de sa vie privée, le second a théorisé la traversée du désert, avec quelques apôtres. L’un, volant d’exploit en joute au coeur du pouvoir, joue à d’Artagnan; l’autre, affairé à la mise en scène de son retour, singe Monte-Cristo.
Source: Christophe Barbier dans L’Express