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Appel de la relaxe de Dominique de Villepin: un acharnement politique

Rarement une décision de justice aura été autant commentée dans la classe politique.

Sitôt la décision du parquet de faire appel de la relaxe de Dominique de Villepin dans l’affaire Clearstream annoncée vendredi par le procureur de Paris sur l’antenne d’Europe 1, l’ancien premier ministre a riposté en affirmant que cette décision avait été prise « à l’Elysée ». Selon lui, cet appel a été dicté par un seul homme, « Nicolas Sarkozy », qui a choisi de « persévérer dans son acharnement, dans sa haine ».

L’affrontement entre les deux hommes se poursuit donc au-delà du verdict, et ce même si le président évite de s’exposer en choisissant de ne pas se porter partie civile lors du procès en appel, qui se tiendra fin 2010 début 2011.

L’opposition s’empare immédiatement de l’affaire. Sur RTL, François Hollande suppose que la décision du procureur de Paris Jean-Claude Marin a été prise « sur autorisation, pour ne pas dire sur ordre, de la chancellerie et du président de la République ». « Qui peut penser qu’il n’a pas référé – et d’ailleurs c’était son devoir – à la garde des sceaux, laquelle en a forcément évoqué le principe avec le président de la République ? », argumente-t-il.

Confronté au soupçon d’une intervention de l’Elysée, le gouvernement et l’entourage du président s’efforcent aussitôt de dépolitiser l’affaire. Dans une interview à ParisMatch.com, le secrétaire général de l’Elysée Claude Guéant affirme que la décision du parquet n’est « absolument pas sous l’influence de Nicolas Sarkozy ou du ministère de la justice ». Au cours du week-end, les proches de l’Elysée se succèdent pour convaincre l’opinion que le procureur a écouté sa seule conviction. Dans les colonnes du Monde, Jean-Claude Marin se fait son propre avocat : « J’ai une conviction », affirme-t-il avant d’ajouter : « Je ne dois ma carrière à aucun homme politique ».

Les termes de la polémique sont posées : le parquet a-t-il fait appel en fonction de sa seule « conviction », ou a-t-il agi sous la pression de sa ministre de tutelle, Michèle Alliot-Marie, qui en aurait elle-même référé à l’Elysée ? Directement mise en cause, la ministre de la justice assure dimanche sur Europe 1 que le procureur de la République n’a « eu ni instruction ni incitation, de quelque nature que ce soit, pour prendre sa décision ». « Je n’ai pas l’habitude de me cacher derrière mon petit doigt. Si j’avais eu des instructions à donner », elles auraient été « écrites et motivées », explique-t-elle.

Le procureur Marin reçoit également le soutien du ministre de l’intérieur, Brice Hortefeux, qui s’était constitué partie civile dans l’affaire Clearstream. « S’il n’y avait pas eu appel, le débat aurait été incomplet (…) S’il avait été incomplet, il y aurait eu risque d’injustice (…) Naturellement, je ne doute pas une seule seconde que l’ensemble des protagonistes souhaitent qu’il y ait justice », ironise-t-il sur TF1.

Autre commentaire, plus inattendu, celui de Carla Bruni. L’épouse du chef de l’Etat se déclare « très étonnée par le peu de confiance que, bien sûr, M. de Villepin, mais aussi visiblement les médias, accordent à la justice française, le peu d’indépendance qu’on lui attribue ». « C’est un procès pénal, vous comprenez, il s’agit d’une affaire pénale, pas politique », ajoute la chanteuse sur l’antenne de RTL.

Malgré cette mobilisation d’une bonne partie des ténors de la majorité, le concert de critiques n’a pas faibli durant le week-end. Plus grave, la décision de Jean-Claude Marin est mise en cause par plusieurs figures du monde judiciaire. L’ancienne magistrate Eva Joly, devenue députée européenne, estime ainsi dans le Journal du Dimanche que cet appel « est la parfaite illustration de l’absence d’indépendance du parquet » à l’égard du pouvoir politique. Elle se dit par ailleurs « mal à l’aise de voir qu’il annonce sa décision de faire appel à la radio dès le lendemain du jugement, alors qu’il avait dix jours pour réfléchir ».

Dans un entretien au Monde.fr, Me Jean-Louis Borie, président du Syndicat des avocats de France, suggère lui aussi que « la décision du parquet vient des plus hautes sphères, au moins du ministère, voire de l’Elysée ». Tout comme Christophe Régnard, président du principal syndicat de magistrats, l’USM : « Il faut couper le lien entre le parquet et le pouvoir politique, voilà, c’est tout », explique-t-il.

Dans les colonnes du Monde, l’ancien garde des Sceaux Robert Badinter, s’il s’étonne lui aussi « que le procureur annonce cette décision sur les ondes d’une radio », rappelle néanmoins que « sur le fond, cet appel du procureur s’inscrit dans la pratique commune dès l’instant où des condamnés ont interjeté appel ». « Mais dans le cas de Monsieur de Villepin, s’empresse-t-il d’ajouter, il est évident que la décision de faire appel n’a pas été prise sans l’accord – sinon à l’initiative – de la chancellerie et de l’Elysée ».

A l’annonce de sa relaxe, Dominique de Villepin s’était posée en « alternative » à Nicolas Sarkozy. Un projet contrarié par l’appel du parquet. S’il paraît encore bien isolé au sein de la majorité, l’ancien premier ministre peut néanmoins compter sur le soutien de quelques élus chiraquiens.

Le député UMP de l’Aube François Baroin appelle ainsi le président à « tourner la page sans attendre » le procès en appel et à « faire revenir dans le jeu » Dominique de Villepin. « Il est inenvisageable que cette situation perdure (…) On ne peut pas arriver in fine six mois avant la présidentielle avec un sujet de cette importance qui ne soit pas purgé », a-t-il déclaré sur Canal+, résumant l’opinion d’une partie de la majorité qui redoute les effets dévastateurs d’un tel conflit en vue des prochaines échéances électorales.

M. Baroin s’est dit « surpris » sur Canal+ par « l’appel général » du procureur de la République de Paris Jean-Claude Marin sur le jugement relaxant M. de Villepin dans l’affaire Clearstream. C’est « un élément qui crée un soupçon sur l’indépendance de la justice », a affirmé le député-maire de Troyes, jugeant « hautement improbable » que M. Marin n’ait pas averti l’Elysée avant de faire appel.

« Dominique de Villepin, qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas », est « une forte personnalité de la droite. Il a une place. Je crois qu’il faut que le président de la République tourne la page lui-même sans attendre » le procès en appel, a-t-il dit.

Dominique de Villepin « a mené un combat et il est innocenté », « blanchi » dans l’affaire Clearstream et il faut « le faire revenir dans le jeu, de manière intelligente à la place qui est la sienne », a-t-il insisté. « Il a toute sa place, il faut lui redonner sa place ».

Source: Le Monde

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