L’ancien Premier ministre sera fixé jeudi. Condamné, il se posera en victime; relaxé, en recours.
Le tic-tac va encore durer jusqu’à jeudi matin. A 10 h 30, Dominique de Villepin, Jean-Louis-Gergorin et Imad Lahoud seront fixés sur leur sort dans la première manche du procès Clearstream. Dix-huit mois de prison avec sursis pour le premier et dix-huit ferme pour les deux autres ont été réclamés par le procureur de Paris, Jean-Claude Marin. Depuis la fin de l’audience, les rumeurs se succèdent pour prédire ce que va décider la formation des trois magistrats présidée par Dominique Pauthe.
Une première rumeur a fait état d’une relaxe de Villepin, fondée « sur une indiscrétion », lâchée par une des trois juges lors d’un congrès syndical. Une autre rumeur parle, au contraire, de l’agacement de Dominique Pauthe des nombreuses et insistantes sollicitations pour connaître le jugement. D’autres assurent que la condamnation de Villepin est acquise. « Le secret du délibéré est un des rares secrets qui tienne encore, soupire un avocat. Peut-être parce qu’il ne dure jamais très longtemps. » Depuis le 23 octobre dernier, les trois juges se sont réunis à plusieurs reprises pour se mettre d’accord sur les grandes lignes puis le président Pauthe s’est attelé à l’écriture des attendus… « Si Villepin est condamné, il va faire feu de tout bois sur la justice aux ordres de Sarkozy… En revanche, s’il est relaxé, il va se sentir pousser des ailes pour 2012″, résume un avocat de l’audience. Au soir du procès, le tribunal avait le choix entre trois options.
L’innocent
La relaxe est demandée par les avocats de Dominique de Villepin et de Jean-Louis Gergorin. Ils estiment qu’il n’existe aucune preuve de leur connaissance de la fausseté des listes de comptes Clearstream. S’ils optent pour cette thèse, les juges estimeront que Gergorin était de bonne foi quand Imad Lahoud lui a confié les listes prétendument issues d’une pénétration informatique de Clearstream. De bonne foi, Gergorin en aurait parlé au général Rondot en novembre 2003, puis à Villepin en janvier 2004, puis au juge Van Ruymbeke en avril 2004. Dans ce scénario, Imad Lahoud, « escroc au renseignement d’élite », aurait berné tout le monde dans le but, à sa sortie de prison pour une autre affaire d’escroquerie, de se trouver du travail au sein d’EADS. Si les juges relaxent Villepin (et Gergorin), ils risquent de condamner lourdement Imad Lahoud, qui passerait alors pour l’auteur unique de la dénonciation calomnieuse.
L’instigateur
A l’inverse, selon les juges d’instruction qui ont mené l’enquête, et selon plusieurs avocats des parties civiles, Dominique de Villepin et Jean-Louis Gergorin savaient bien que les listes étaient fausses… Pour Thierry Herzog, l’avocat de Nicolas Sarkozy, dénoncé à tort comme ayant des comptes occultes, Dominique de Villepin est bel et bien l’instigateur de la machination. Il aurait tout simplement suggéré de rajouter le nom d’un rival politique sur des listes bidon. Lors du procès, Villepin a farouchement nié ce mobile, rappelant qu’au contraire c’était lui, en 1997, qui avait ramené Nicolas Sarkozy dans le jeu politique auprès de Jacques Chirac. Pourtant, en janvier 2004, lorsque se noue l’affaire Clearstream, le camp Chirac est dans l’attente du jugement d’Alain Juppé dans l’affaire des emplois fictifs du RPR. Juppé, condamné à dix ans d’inéligibilité le 30 janvier 2004, va devoir lâcher la présidence de l’UMP… L’affaire Clearstream était-elle un fil à la patte judiciaire destiné à empêcher Nicolas Sarkozy de prendre l’UMP? Ce 14 juillet 2004, Chirac lâche le fameux « Je décide, il exécute ». « Cet été-là, dans l’entourage de Jacques Chirac, on était persuadé que Sarkozy était cuit judiciairement », se souvient une source proche de l’Elysée.
Le complice
C’est la thèse du procureur de Paris, Jean-Claude Marin. Mi-chèvre mi-chou, ce scénario fait de Dominique de Villepin non pas l’instigateur de la machination initiale, mais le « complice par abstention » de l’envoi des deux dernières lettres anonymes en août et septembre 2004. Selon le procureur, le dossier n’apporte pas la preuve de la connaissance par Villepin de la fausseté des listes avant le mois de juillet 2004. Jean-Claude Marin estime donc que sa responsabilité n’est engagée que lorsqu’il sait que les listes sont douteuses, en juillet, quand le général Rondot vient le lui dire directement. Pour la plupart des avocats de l’audience, ce raisonnement est doublement fragile. « En droit, cela ne tient pas », ont plaidé les quatre défenseurs de Dominique de Villepin, démontant l’une après l’autre les jurisprudences évoquées par le procureur. Autre difficulté de cette thèse, sa vraisemblance: comment imaginer que Jean-Louis Gergorin sachant les listes fausses, selon le parquet, ait berné Villepin à ce point, pendant des mois, son ami de trente ans? « Si Gergorin savait que les listes étaient truquées Villepin savait aussi… », soupire un des défenseurs de l’ancien vice-président d’EADS.
Encore une poignée de nuits blanches attendent d’ici à jeudi les trois hommes et leurs avocats. Une chose est sûre, s’ils sont condamnés, ils feront appel. Et s’ils sont blanchis, le parquet s’en chargera. Un second procès devrait avoir lieu en 2011. En tout cas, avant la prochaine présidentielle.
Source: Laurent Valdiguié (Le Journal du Dimanche)