Qu’il soit, jeudi, jugé coupable ou reconnu innocent, l’ancien Premier ministre est bien décidé à poursuivre son combat politique contre Nicolas Sarkozy. « Les choses sont allées trop loin entre eux. Ils sont irréconciliables », juge l’un de ses proches.
« Ils sont bien, ces locaux, simples et bien placés. On a commencé à les décorer. » Ce jour-là, Dominique de Villepin est tout fier de recevoir dans son premier QG politique. Sur les murs s’étalent déjà des photos. Pas encore des affiches électorales, mais des clichés retraçant ses récents déplacements en province. L’ancien Premier ministre, jamais passé par le suffrage universel, vient d’inaugurer les locaux de son Club Villepin, installé dans un appartement en rez-de-chaussée, à quelques encablures de l’Elysée. Un pas de plus pour celui qui a si longtemps refusé de subir l’épreuve des urnes. Officiellement, Dominique de Villepin n’est pas encore candidat à la présidentielle de 2012. Mais sa campagne a déjà commencé. L’ancienne ministre Brigitte Girardin, présidente et cheville ouvrière du Club Villepin, est aux anges : « On vient de finir le rangement. Hier, on a fait la fête ! »
La veille, bénévoles, parlementaires, anciens ministres et conseillers de Matignon sont venus pendre la crémaillère avec leur champion. Une fiesta entre villepinistes. Tous remontés comme des coucous. Tous convaincus que Dominique de Villepin comptera en 2012. Quoi qu’il advienne le 28 janvier prochain, jour du jugement de l’affaire Clearstream, dans laquelle le procureur a requis contre lui dix-huit mois de prison avec sursis assortis de 45 000 euros d’amende. Ce soir-là, personne n’a évoqué Clearstream. L’ancien Premier ministre a promis aux uns et aux autres de se rendre dans leurs provinces. D’enchaîner un maximum de déplacements à la rencontre des Français. Comme il l’a fait cette semaine à Bondy, en Seine-Saint-Denis. Une banlieue où son rival Nicolas Sarkozy ne met guère les pieds. Bref, de faire de la politique à plein temps. Une nouveauté pour cet intermittent de la politique. Avocat le jour, poète la nuit, meilleur opposant de Nicolas Sarkozy dans les émissions politiques du week-end.
Dans l’immédiat, qu’il le veuille ou non, son parcours politique est suspendu à cette date du 28 janvier. Dominique de Villepin a beau vouloir enjamber ce rendez-vous crucial, dans moins d’une semaine, son destin basculera d’un côté ou de l’autre. La relaxe ouvrirait un boulevard à ses ambitions. Une lourde condamnation obérerait son rêve de candidature à la présidentielle. Par une incroyable coïncidence, le président du tribunal a choisi de rendre la décision de justice la plus attendue de l’année le jour de l’anniversaire de… Nicolas Sarkozy, principale partie civile dans ce procès hors norme. Celui-là même qui a promis de pendre « à un croc de boucher » l’instigateur présumé des fameux fichiers Clearstream dans lesquels son nom a été ajouté afin de lui nuire.
« Le 28 janvier ? C’est une date importante pour la justice. Moi, j’en ai vu d’autres », confie Dominique de Villepin au Figaro Magazine, tranquillement, mais en même temps plus déchaîné que jamais. Fidèle à son tempérament de guerrier, il ne laisse percer aucun signe d’inquiétude. Ce jour-là, il affiche même un sourire en coin. Aurait-il entendu la rumeur parisienne qui annonce sa relaxe ? « Non. J’irai au tribunal le 28 janvier écouter le président du tribunal. Je ne me suis jamais dérobé depuis le début de cette affaire », rappelle-t-il crânement. « J’ai la conscience tranquille. A la limite, ce qui va se passer le 28, ce n’est plus mon problème. Dans mon esprit, la messe est dite. Après, il y a les hommes et l’espoir que la justice soit plus forte que les intimidations. Ce que je sais, c’est que les Français ont bien compris la dimension politique de ce procès. » Même pas peur, donc. Pas question pour l’orgueilleux Villepin de lâcher le moindre centimètre de terrain.
Mais il ne faut pas le pousser longtemps pour le voir refaire le procès. L’emphase en moins. Les emportements en plus. Cela fait maintenant deux ans et demi que Dominique de Villepin se bat. Dos au mur. De son procès, il ne regrette rien. Ni son arrivée spectaculaire avec femme et enfants. Encore moins sa tirade désormais célèbre : « Je suis ici par la volonté d’un homme, je suis ici par l’acharnement d’un homme, Nicolas Sarkozy, qui est aussi président de la République française. J’en sortirai libre et blanchi au nom du peuple français. » Au bout d’un mois de procès, force est de reconnaître que le célèbre prévenu a évité le K.-O. Il a été aidé aussi par les erreurs de Nicolas Sarkozy qui l’a présenté comme un « coupable » à la télévision. « Il est évident que Villepin ment. Mais on n’a pas apporté les preuves formelles qu’il était l’instigateur du complot », admet-on dans le camp sarkozyste. « Sarkozy voulait faire de moi un paria, c’est l’inverse qui s’est produit », assène Villepin, plus que jamais enfermé dans ses certitudes.
Face à l’optimisme quasi mystique dont fait preuve l’ancien Premier ministre, ses amis sont plus partagés. « Dominique a clairement décidé d’enjamber cette date du 28. C’est une étape, mais en aucun cas un barrage. Quoi qu’il arrive, son combat politique ne s’arrêtera pas », avertit le député de l’Essonne Georges Tron. « Quand on fait un procès politique à un homme politique, c’est pour le condamner. L’opinion publique sera derrière nous. Une condamnation serait un détonateur qui ferait réagir les républicains », anticipe Jean-Pierre Grand, autre villepiniste de choc. Dominique de Villepin refuse de bâtir des scénarios. « Si Nicolas Sarkozy veut faire appel, c’est son problème », lâche-t-il en forme de provocation. L’ancien Premier ministre, lui, ne fera pas appel en cas de condamnation ; sauf si la peine est « infamante ». Avant tout, tourner la page Clearstream. « Dominique a beaucoup souffert. Ce combat l’a épuisé », confie l’ancien ministre François Baroin, qui a dîné avec lui avant les fêtes.
Un combat qu’il mène depuis sa sortie de Matignon et cette humiliante perquisition à son domicile. Incontestablement, le tournant dans cette haine farouche que se vouent les deux hommes. « Les policiers ont retourné les lits de mes enfants, fouillé chez moi comme chez un vulgaire trafiquant de drogue », enrage-t-il encore en racontant ce jour de juillet 2007. « En perquisitionnant chez lui, ils ont transformé Villepin en un animal blessé, prêt à tout pour effacer cette humiliation », assure un de ses amis. Depuis, il a promis de laver son honneur. Engagé dans une opération de survie, il s’est imposé avant et pendant le procès un hallucinant régime de sportif de haut niveau. Une à deux heures de course à pied par jour. Régime alimentaire strict et pas une goutte d’alcool. Résultat : il a perdu 8 kilos et son visage n’a jamais été aussi émacié. Dominique de Villepin n’en démord pas : « Cette affaire n’aurait jamais dû arriver devant la justice. Le bon sens aurait dû conduire le Président à tourner la page. Je ne lui conteste pas son droit d’être partie civile. Mais son droit aurait dû le conduire à une neutralité. Or, il n’a cessé de peser, de s’immiscer dans ce dossier. Il a abusé de son droit. Il a voulu dire le droit à la place des juges », se déchaîne l’avocat Villepin. Un de ses anciens collaborateurs résume : « Sarkozy a commis une faute psychologique. S’il avait lâché l’affaire après son élection, il n’entendrait plus parler de lui aujourd’hui. Au lieu de ça, il a allumé une mèche lente. »
Villepin contre Sarkozy. Sarkozy contre Villepin. Cela fait quinze ans que ces deux animaux politiques se jaugent, se défient, se combattent. Une lutte à mort commencée au tout début de la rivalité entre Edouard Balladur et Jacques Chirac en 1994. A l’époque, Nicolas Sarkozy est ministre du Budget et Dominique de Villepin dirige le cabinet d’Alain Juppé, alors ministre des Affaires étrangères. Le second soupçonne le premier d’avoir déclenché un contrôle fiscal contre son père, Xavier de Villepin, sénateur des Français de l’étranger. La suite est connue.
Elle sera faite de coups bas et de mains tendues. A deux reprises, Dominique de Villepin fera pourtant revenir son ri
val dans le jeu. En 1997, c’est lui qui organise les retrouvailles entre Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy. En 2002, il plaide pour sa nomination à Matignon, mais le Président réélu lui préfère Jean-Pierre Raffarin. En 2005, Dominique de Villepin, Premier ministre, doit subir le retour de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur. Les deux hommes, qui se vouvoient, vont se livrer alors une lutte quotidienne inouïe. L’échec du CPE en 2006, puis la révélation de l’affaire Clearstream réduiront à néant les ambitions présidentielles de Villepin. Reclus à Matignon, il assiste impuissant au succès de son meilleur ennemi. Après l’élection de 2007, les deux hommes se reverront trois fois. A la rentrée de septembre 2008, Sarkozy et Villepin semblent prêts à enterrer la hache de guerre. On évoque même l’entrée du chiraquien dans le gouvernement. Villepin change de ton. En réalité, il s’est laissé prendre au piège. Sarkozy a tranché : il ne lui fera pas de cadeau ! Quelques jours plus tard, le chiraquien est renvoyé en correctionnelle. La guerre devient totale. Ex-directeur de cabinet de Dominique de Villepin à Matignon, Bruno Le Maire, devenu ministre de Nicolas Sarkozy, veut croire à une réconciliation : « Ils se retrouveront un jour ou l’autre. »
Un scénario auquel croient de moins en moins les villepinistes du premier cercle. « Les choses sont allées trop loin entre eux. Ils sont irréconciliables », pronostique son ami Georges Tron, le plus modéré des villepinistes. Depuis deux ans et demi, Villepin critique méthodiquement l’action de Sarkozy. De « l’esprit de cour », qu’il a raillé le premier, à l’intégration de la France dans le commandement de l’Otan, en passant par la réforme constitutionnelle ou la dérive des déficits publics, l’ancien Premier ministre s’est révélé un contempteur implacable. Le 1er janvier, il a franchi une nouvelle étape en évoquant, lors de ses vœux diffusés sur son site internet, « les illusions perdues de la rupture ». « Moi, j’estime que la politique menée n’est pas susceptible de donner des résultats. L’élection présidentielle de 2007 devait ouvrir de nouveaux possibles, elle ne l’a pas fait. Tout est à refaire. Son quinquennat ressemble à un long tunnel. L’hyperprésident est devenu au fil des mois un président impuissant », confie-t-il avec une rare sévérité. « Nicolas Sarkozy se prépare des lendemains qui vont déchanter. Aujourd’hui, il distrait les Français avec des sujets secondaires comme le débat sur l’identité nationale ou celui sur la burqa, alors que les Français s’inquiètent pour leur emploi et que la France a perdu 800 000 emplois depuis 2007 ! Je ne laisserai pas la France partir à la dérive », conclut-il, martial.
Implacable avec Nicolas Sarkozy, il traite avec mépris son successeur à Matignon. Quand on lui demande ce qu’il pense de l’émergence de François Fillon, ce féru d’histoire emprunte cette célèbre formule de Napoléon, adressée au Directoire, au retour de la campagne d’Egypte : « Qu’avez-vous fait de la France que je vous ai laissée ? » Ironique, Villepin complète : « Fillon a le mérite de durer. Ce n’est pas facile de travailler avec Nicolas Sarkozy. Avec lui, il ne faut rien céder! »
Ne rien céder. Villepin ne fait plus mystère de son ambition présidentielle. En demandant à son amie Brigitte Girardin d’organiser son club, il a franchi une étape. En quelques mois, 7 000 adhérents l’ont rejoint. L’objectif est d’ouvrir une antenne dans chaque département. « On atteindra les 100 000 militants à la fin de l’année », s’emballe Jean-Pierre Grand en « gars du Sud ». Hervé Mariton, François Goulard et Georges Tron travaillent sur le programme. « On sortira des propositions économiques après les élections », assurent-ils. Le cercle des villepinistes s’est élargi. A la poignée de grognards du début, de nouvelles têtes sont venues s’ajouter : l’ancienne ministre Marie-Anne Montchamp ou encore le souverainiste Nicolas Dupont-Aignan.
Villepin candidat en 2012 ? A l’automne, un sondage le créditait de 8 %. Un autre chiffre a fait fantasmer les villepinistes : leur champion réunirait 15 % des suffrages en Ile-de-France. Certes, cela reste insuffisant pour espérer figurer au second tour, mais cela suffit pour assurer son pouvoir de nuisance. Et c’est, peut-être, ce que cherche par-dessus tout l’ancien Premier ministre. « Mon idée n’est pas de témoigner ni d’être revanchard, mais de défendre la France. Je n’ai pas de goût pour l’Apocalypse », se défend-il quand on lui demande s’il veut empêcher Nicolas Sarkozy d’être réélu en 2012, comme Jacques Chirac avait contribué à la défaite de Valéry Giscard d’Estaing en 1981. Les sarkozystes minimisent l’impact d’une telle candidature. « Villepin finira comme Michel Debré en 1981″, raille un conseiller élyséen (soit 1,66 % des voix, ndlr). On imagine mal toutefois Nicolas Sarkozy laisser s’installer dans l’opinion l’hypothèse d’une candidature Villepin. Depuis 2007, toute la stratégie du Président consiste à empêcher l’émergence d’une alternative à droite. « On verra après les régionales si Sarkozy s’obstine à prendre le chemin d’une droite étriquée », tempère Villepin, soudain moins sûr de lui. « Je ne vois pas ce qui le fera reculer », assure Brigitte Girardin. Le chiraquien Jean-Louis Debré est dubitatif : « Il aura vite un problème de financement. Je regrette qu’il ne m’ait pas écouté en 2007. Aujourd’hui, il serait député de l’Eure et ça aurait tout changé ! » Villepin pourra-t-il reculer ? « Dans sa tête, reculer ce serait accréditer Clearstream », analyse un de ses meilleurs amis. François Baroin ne le voit pas aller jusqu’au bout : « Dominique a envie de revenir dans le jeu. »
Villepin, ministre de Sarkozy ? L’intéressé balaie d’un revers de main ce qui constituerait un nouveau retournement dans leur histoire si chaotique : « Je ne me vois pas dans une relation d’autorité avec lui. Seulement dans une relation d’égalité. »
Source: Bruno Jeudy (Le Figaro Magazine)