Sa voix fluette, qui parfois va se percher dans les aigus, donne une impression de fragilité. Erreur. Marie-Anne Montchamp, députée (UMP) du Val-de-Marne, pourrait en remontrer à bon nombre de ses collègues quant à la solidité de ses convictions. Il suffit de se souvenir de la volée de bois vert qu’elle a essuyée, lors de la discussion budgétaire, pour avoir osé s’attaquer au sacro-saint dogme du bouclier fiscal, en proposant bien modestement que la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) en fût sortie.
Pendant que, dans le groupe UMP, même ceux qui partageaient son analyse optaient pour un silence penaud, elle a tenu bon. Contrairement à bien d’autres qui, dans ces cas-là, préfèrent abdiquer ou pointer aux abonnés absents, elle a défendu l’amendement en séance. A ce moment-là, ils étaient quelques-uns, sur les bancs de la majorité, à regarder le bout de leurs chaussures…
La liberté d’expression de Marie-Anne Montchamp détonne à droite. « Depuis qu’on lui a supprimé sa circonscription, on ne la tient plus », ricane un de ses collègues. A cela près qu’elle n’a pas attendu d’être punie pour défendre ses opinions. En mars 2008, contre l’avis des instances fédérales de l’UMP, elle avait constitué une liste contre le maire (UMP) sortant de Nogent-sur-Marne, Jacques Martin, dont elle jugeait le bilan « critiquable ».
Suspendue, elle était restée inflexible et avait obtenu 22 % des suffrages au premier tour. Ses amis de l’UMP se sont chargés de lui faire payer son impudence. Sa circonscription a été supprimée dans le redécoupage électoral opéré par Alain Marleix. Rayée d’un trait de plume…
C’est probablement cette indépendance d’esprit qui lui vaut d’être ostracisée par les fidèles du chef de l’Etat. « Sarkozy la hait, soupire Jean-François Copé. C’est dommage, parce que c’est une députée de qualité, mais elle a fait une connerie en se présentant contre Jacques Martin. » On sent le président du groupe UMP de l’Assemblée nationale mal à l’aise avec cette élue qui, non seulement, dérange mais qui, en plus, n’a pas de plan de carrière. C’est perturbant.
Lorsqu’elle a déposé cet amendement sur la CRDS à l’occasion du débat budgétaire, il l’a d’abord avertie, dans le huis clos de la salle Colbert, que « pas un seul député de l’UMP » ne le voterait. Plus tard, quand il fut sûr d’être entendu, il a repris les habits du patron bienveillant : « Marie-Anne, il va encore falloir que je te défende à l’Elysée », l’a-t-il tancée. « Ne t’emmerde pas avec ça », lui a-t-elle simplement répondu.
Les députés de cette trempe, à gauche comme à droite, ne sont pas légion au Palais-Bourbon. La peur de franchir la ligne blanche. « C’est inquiétant, quand même, sur les réflexes, confesse-t-elle. On se demande ce qui se passerait s’il était question de vie ou de mort. » S’affranchir de la discipline de vote, c’est basculer dans la transgression. Elle serait plutôt du genre « même pas peur ». Elle se dit « révulsée » par un certain « cynisme » en politique qui consiste à se couler dans le moule quoi qu’il en coûte de contorsions. En prenant position comme elle l’a fait lors de la discussion budgétaire, elle est convaincue d’avoir pris date. « Celui qui se plante, ce n’est pas celui qui a énoncé le constat juste, mais celui qui a dit que ce n’était pas le moment », assure-t-elle.
Peu de députés de la majorité s’aventurent à braver la colère du chef. Ceux qui s’y risquent savent qu’ils en paieront durablement les conséquences. Cela suffit, la plupart du temps, à refroidir les ardeurs. Avec Nicolas Sarkozy, elle n’a pas ce genre de retenue. « On n’a pas les mêmes valeurs, on n’a pas emprunté les mêmes chemins et, donc, on n’a pas la même route », constate-t-elle, en disant avoir « l’impression de lire en lui comme dans un livre ouvert ».
De ses rencontres avec celui qui est devenu président de la République, elle retire toujours un sentiment de « double discours » et, surtout, l’impression de quelqu’un d’ »obsédé par le mal qu’il pense qu’on pourrait lui faire ». Depuis le début du quinquennat, elle n’a jamais fait partie des groupies du chef de l’Etat. Elle vient de franchir un pas supplémentaire dans la déviance en rejoignant, début décembre, le conseil d’administration de l’association Club Villepin.
Marie-Anne Montchamp, 52 ans, mère de quatre garçons et grand-mère de deux petites-filles, a fait ses premières gammes en politique en 1999. C’est Gilles Carrez, à l’époque député du Val-de-Marne et aujourd’hui rapporteur général (UMP) de la commission des finances, qui avait repéré cette jeune chef d’entreprise. Elle avait « un bon profil ».
Si son histoire familiale a été marquée par des figures tutélaires de la résistance communiste et des femmes ayant eu, dans des conditions difficiles, à affronter des situations extrêmes, elle-même n’avait aucun passé militant. Juste un héritage, qui continue à inspirer son parcours. « A droite, en général, on vient chercher les femmes pour compléter le casting, sourit-elle. Simplement, ils ont oublié que les filles étaient beaucoup plus autonomes. »
En 2002, elle est élue députée et, à peine deux ans plus tard, entre dans le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin au poste de secrétaire d’Etat aux personnes handicapées. Elle reprend alors le dossier de la loi pour l’égalité des droits et des chances en faveur des personnes handicapées en bataillant pour faire aboutir la prestation de compensation du handicap et faire progresser l’emploi des handicapés. Pour les associations et les professionnels intervenant dans ce secteur, son passage à ce ministère aura représenté une période avec de réelles avancées.
Depuis, elle a poursuivi son activité dans ce domaine. Elle a fondé l’agence Entreprises et handicap, une structure regroupant des dirigeants de grandes entreprises pour l’emploi des handicapés, ainsi que Fonda’Mental, un réseau de recherche et de soins en santé mentale. « Si je n’avais pas ces lieux d’engagement citoyen, d’où est-ce que je pourrais continuer à parler ? Ces gens-là, je ne peux juste pas les quitter. La réforme comme une sorte de pensée magique, ça n’existe pas. Ce qui compte, c’est la capacité respectueuse à faire que la société se bouge elle-même. Je veux être dans la continuité. C’est une question de fidélité, d’engagement, de cohérence. »
Et ce n’est pas parce que, cette fois-ci, la majorité présidentielle a préféré se mettre aux abris qu’elle remisera ses convictions au placard. « Je ne lâcherai pas », prévient-elle, convaincue que les problèmes qu’elle a mis sur la table sont des « questions revolving ». Selon elle, tous les éléments permettant de pronostiquer les « emmerdements à venir » ont pour nom : perte de confiance durable, panne démocratique, tension généralisée.
En refusant de rentrer dans le rang, d’être docile, Marie-Anne Montchamp a peut-être pris le risque d’encourir les foudres du patron. Elle a surtout pris date. Et gagné en respect ce qu’elle a perdu en faveurs.
Source: Patrick Roger (Le Monde)