Que faire de Villepin ? Voilà la quadrature du cercle que la Sarkozie a du mal à résoudre. Personne de plus dangereux que cette grande figure pleine d’ombres et de lumières, ce talent humilié et inemployé par la droite.
L’idée de renvoyer cet archange dans les ténèbres extérieures en le faisant descendre dans le prosaïsme d’un tribunal était totalement inadéquate. Mieux valait, si on souhaitait s’en débarrasser, employer le baiser qui tue plutôt qu’une justice toujours suspecte dès lors que la politique s’en mêle. François Mitterrand, en florentin, avait habilement usé de cet expédient de l’empoisonnement gracieux avec ses opposants de l’intérieur comme Savary ou Rocard.
Au contraire, en renvoyant Villepin devant un tribunal, on lui a permis de déployer ses ailes.
On lui a offert le moyen d’exister et de surnager dans les vestiges du chiraquisme comme un flamboyant revenant porteur d’un flambeau, le seul d’une période assez morne : ce sursaut de la France éternelle à l’Onu à propos de l’Irak. Image d’Epinal, certes, mais qui a remué les fibres de plus d’un cœur chez les Français déboussolés.
Désormais, on peut craindre le pire venant de ce grand fauve blessé.
Nicolas Sarkozy, qui s’est tant attaché à élargir son assise à gauche, a découvert son flanc à droite. Et pour un romantique qui n’aime rien tant que les « levez-vous, orages désirés », la situation actuelle, mélange de déprimisme, d’aquoibonisme et de désespoir, fournit un terrain propice.
Des ministres qui sont souvent des ombres – politiquement parlant – auront du mal à faire face culturellement à cette machine intellectuelle aussi efficace et destructrice que les orgues de Staline. On voit mal Christine Lagarde ou Christian Estrosi avec leur sage talent de conseil d’administration affronter sa dialectique tellurique d’autant plus redoutable qu’elle puise son inspiration et sa légitimité dans le gaullisme.
Il s’agit pour lui de faire du villepinisme un nouvel humanisme. On dira qu’une sensibilité ne suffit pas pour exister en politique et que les fervents de « La princesse de Clèves » ne constituent pas des bataillons très dangereux. Peut-être pas suffisant pour gagner, mais suffisant pour faire perdre.
Le sarkozysme peut dériver en giscardisme, et il en donne parfois les signes : un bon bilan mais un chef de l’Etat affaibli dans son image. Comment éviter que Villepin, en émule du Chirac de 1981, ne soit en position de porter le coup de poignard fatal ? Comment, sinon par la réconciliation.
Source: Jean-Marie Rouart dans Paris Match