La suite et la fin du discours prononcé par Dominique de Villepin lors du Sommet de la Coopération Internationale qui s’est tenu à Changchun en Chine, début septembre.
« 2. Nous ne pouvons nous satisfaire de n’importe quelle forme de coopération. Nous sommes arrivés à l’heure du changement et des choix.
· Nous avons besoin d’une véritable gouvernance mondiale.
Après la Seconde Guerre Mondiale, les Alliés ont mis en place une forme inédite de coopération internationale qui était pleine de promesses, les Nations Unies. Mais ils étaient encore inspirés par les vieux schémas de pensée occidentaux: les Nations Unies devaient être dominées par les intérêts occidentaux pour le bien du monde entier.
C’est un changement majeur des dernières décennies. La fin de la Guerre Froide a permis que s’engagent de véritables discussions et de véritables efforts à l’échelle de la planète. La forte croissance des pays émergents, la Chine et l’Inde, mais aussi le Brésil, le Nigéria, l’Afrique du Sud, a permis d’entendre de nouvelles voix sur la scène internationale.
La situation actuelle est-elle satisfaisante? En aucun cas. Les institutions actuelles ne sont pas assez fortes et réactives. Nous avons besoin d’une réorientation majeure vers une gouvernance forte. Le Conseil de Sécurité doit se voir attribuer de nouvelles responsabilités et de nouveaux pouvoirs. Il doit être élargi pour refléter la réalité et la diversité du monde.
· Nous avons besoin d’une coopération plus équilibrée et plus juste.
L’écart entre le Nord et le Sud est encore profond. Il constitue une source de malentendus et de ressentiments qui rendent le dialogue international plus difficile. Le besoin d’un développement durable doit être reconnu comme la condition de négociations sincères. Par exemple, dans les futures négociations de Copenhague concernant les questions énergétiques et climatiques. Les pays en développement dotés d’infrastructures anciennes et insuffisantes peuvent-ils être soumis aux même normes et aux mêmes standards que les pays industrialisés qui ont développé leurs ressources depuis plusieurs siècles?
Sur la liberté de commerce, c’est la même chose en ce qui concerne l’Organisation Mondiale du Commerce, ce qui explique l’échec du cycle de Doha. Il doit y avoir une clause de développement dans tout accord multilatéral. Il doit y avoir un engagement à l’aide public. Le ralentissement économique a frappé les pays sous-développés beaucoup plus fortement que tous les autres, parce qu’il leur manquait les revenus liés à l’aide, aux investissements, aux exportations et aux transferts d’argent de leurs émigrants.
· Nous avons besoin d’organiser cette coopération dans le temps.
Lorsque nous faisons face au changement climatique et aux questions environnementales qui font partie du patrimoine commun et de la responsabilité de l’humanité tout entière. Une révolution du droit international aussi importante que la définition des crimes contre l’humanité après la Seconde Guerre Mondiale est nécessaire, afin de protéger le Bien Commun dans l’intérêt de l’humanité. L’eau, l’air pur, la biodiversité, les ressources marines ne peuvent être gérées que par le biais d’une législation internationale obligatoire et juste.
Lorsque nous faisons face à des pandémies. Pour l’instant, la mobilisation contre la grippe aviaire a démontré une maturation réelle des relations internationales. La coopération des derniers mois aurait été impossible il y a quelques années.
3. Au coeur de cette coopération que j’appelle de mes voeux, nous ne devons pas chercher de mécanismes, de méthodes ou d’institutions particulières. Nous devons chercher des principes communs susceptibles de fonder un nouvel ordre mondial.
· Nous avons tous besoin d’équité.
Parce que nous vivons dans un monde marqué par de profondes inégalités et par la pauvreté. Les politiques liées au développement ont traversé une période difficile de doute au cours des dernières décennies. Un nouveau modèle de développement juste et durable doit permettre d’agir en faveur d’une intégration plus poussée de l’économie mondiale, en s’attaquant aux conséquences sociales, au Nord comme au Sud, de la récente période de croissance. Dans certains pays émergents, les écarts sociaux se sont accrus.
Les différences entre les villes et les campagnes se sont également accrues. Elles doivent être corrigées par des politiques sociales adéquates. Au Nord, la perte d’emplois industriels, le chômage de masse et la difficile reconversion de pans entiers de l’économie rendent les choix politiques tout aussi nécessaires.
· Nous avons tous besoin de solidarité.
La croyance dans un destin commun pour l’humanité, dans une unité profonde des actions et des aspirations humaines est la condition de la coopération internationale. La volonté de domination, les théories de supériorité de certaines races ou l’intolérance religieuse continuent d’être de féroces ennemis.
Dans le cas de crises localisées, la communauté internationale est capable de rassembler ses forces pour trouver des solutions aux difficultés immédiates. Mais nous devrions apprendre à faire face à des crises plus larges avec la même détermination, comme nous aurions dû le faire par exemple lors de la crise alimentaire de 2008 qui pourrait se reproduire dans un futur proche.
· Et enfin, nous avons besoin d’indépendance.
Toute forme de gouvernement mondial obligeant chacun de ses Etats membres à adopter un comportement ou une pensée uniforme serait vouée à l’échec. La liberté de chaque nation de choisir son destin reste la pierre angulaire de toute coopération internationale. Le souhait d’unifier et d’aligner toutes les positions a conduit à de profonds malentendus au cours des dernières années et au sentiment qu’il existait une lutte entre « l’Ouest et le reste du monde ». Ceci doit être évité à tout prix parce que cela conduit au « choc des civilisations ».
La diversité constitue la véritable richesse des nations. C’est également vrai en ce qui concerne le développement économique, et c’est la base de tout avantage compétitif dans le commerce mondial, comme pour la culture ou la politique. Nous avons besoin de pays susceptibles d’agir comme des intermédiaires ou des passerelles en cas de conflits. Nous avons besoin des liens de l’histoire et de l’enchevêtrement des cultures.
Mesdames et Messieurs,
Vous avez pu constater combien ce sujet suscite mon enthousiasme. Lorsqu’il s’agit de coopération internationale, je pense que nous avons besoin d’avoir des convictions fortes, de soutenir des efforts continus, de tenter des expérimentations audacieuses. Aujourd’hui, tout ceci est possible.
C’est pourquoi il sera particulièrement intéressant d’écouter les expertises très diverses de ceux qui prendront la parole aujourd’hui et demain.
Cela peut nous montrer comment toutes les forces et tous les acteurs peuvent contribuer à ce tout nouveau modèle de coopération qui est nécessaire, acteurs privés ou publics, venant du Sud ou du Nord, de l’Est ou de l’Ouest. »
Seconde partie du discours de Dominique de Villepin lors du Sommet de la Coopération Internationale à Changchun (Chine), le 1er septembre 2009 – Photos à suivre sur ce blog demain.
Remerciements à Fiona pour la version anglaise