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Dominique de Villepin en Chine: "Une nouvelle ère de coopération économique, politique et culturelle" (1/2)

Mieux vaut tard que jamais… Voici la première partie du (brillant!) discours prononcé par Dominique de Villepin lors du Sommet de la Coopération Internationale qui s’est tenu à Changchun en Chine, début septembre.

« Nous vivons un moment captivant mais difficile. Il s’agit sans aucun doute d’un tournant dans l’histoire de la coopération internationale. Nous venons de vivre une année marquée par de grandes incertitudes et nous ne savons toujours pas de quoi demain sera fait.

Mais une chose est sure: la Chine a définitivement un rôle majeur à jouer dans la définition de la nouvelle économie. C’est une période d’opportunités mais aussi de responsabilités. C’est pourquoi je suis particulièrement heureux d’être ici, devant des décideurs venant d’horizons si divers.

Aujourd’hui, rien n’importe davantage que de partager les points de vue, tout en dévoilant de possibles différences d’approche de l’économie mondiale et de la coopération internationale. Ce sommet, j’en suis certain, peut être un élément d’une prise de conscience commune.

La coopération internationale est très à la mode, ces temps-ci. Le G20 de Londres a démontré une forte volonté d’action collective. Toutes les grandes puissances ont réalisé des efforts importants pour une résolution conjointe des problèmes qui ont causé la crise. Pour autant, les promesses ne sont pas encore devenues réalité.

C’est pourquoi je voudrais d’abord souligner à quel point la coopération internationale est encore cruciale aujourd’hui. Nous avons là une opportunité que nous ne devons pas manquer.

Devant des incertitudes et des changements d’une ampleur que nous avons rarement connus par le passé, nous devons inventer de nouvelles formes de coopération. Nous avons vécu trop longtemps avec une mondialisation hémiplégique, dans laquelle l’Ouest prenait les initiatives, essayant d’imposer ses vues et de façonner le monde à son image. Cette époque est révolue, parce que l’Ouest a échoué à certains égards et parce que de nouvelles prétentions, tout aussi légitimes, sont en train d’apparaître, particulièrement en Asie.

Cette invention nécessite des principes communs. La coopération ne doit pas être une technique, ni une expertise, mais bien plutôt un esprit commun.

1. D’abord, la coopération est, plus que jamais, une nécessité du monde d’aujourd’hui

· Parce qu’aucun pays n’a plus le pouvoir de décider pour tous

L’ère des hégémonies est révolue. Au moins, cela nous donne une opportunité de bâtir des environnements multilatéraux susceptibles d’empêcher l’apparition de nouvelles formes de domination par un seul pays ou par un groupes de pays partageant des intérêts communs.

Prenons un exemple: la finance. Au cours des siècles passés, les monnaies des grandes puissances ont servi de références au commerce international. C’est ce qui s’est passé avec la livre sterling et, plus tard, avec le dollar. Cette règle a été remise en cause au cours des trente dernières années, après que l’équilibre des accords de Bretton Woods de 1944 a été bouleversé par la fin de la convertibilité en or du dollar. Dans les trente dernières années, les crises de change se sont multipliées et ont eu un coût social et politique dans de nombreux pays – le Mexique, l’Argentine, la Turquie, l’Asie du Sud-Est.

Mais aujourd’hui, la prédominance du dollar peut être remise en cause. Pendant la réunion du G20 de Londres et plus tard au cours de cette année, des puissances émergentes comme la Chine et le Brésil ont exprimé leur souhait d’une monnaie commune plus représentative et plus juste. Je pense que cette évolution, aussi longtemps qu’elle puisse mettre à se concrétiser, est inévitable et positive.

Dans tous les domaines, nous entrons dans une période de multipolarité, très différente de la logique des blocs opposés de la Guerre Froide tout comme de la période qui s’est ouverte après 1990 lorsque les Etats-Unis pouvaient prétendre être les leaders de la planète. Cette prétention semble être pratiquement révolue, en raison de l’erreur de la guerre en Irak et de la perte de poids économique des Etats-Unis par rapport aux pays émergents, bien que la puissance économique et militaire des Etats-Unis demeure impressionnante.

L’hégémonie appartient au passé. Une multipolarité paisible nécessite des actions multilatérales pour la sécurité, le développement économique ou le changement climatique. Sur le développement durable et la croissance urbaine, beaucoup a été accompli au cours des dernières années qui puisse servir d’exemple dans d’autres domaines. Les négociations sur le climat et l’énergie à Copenhague constitueront un test important de notre capacité à trouver de bons compromis qui sachent prendre en compte à la fois la protection de l’environnement et le besoin de développement des pays du Sud.

· Parce que dans une économie globalisée, aucun pays ne peut plus tout contrôler sur son propre territoire

La nouvelle mobilité des investissements étrangers a créé un entremêlement sans précédent des intérêts économiques. Les discussions sur les effets des différents plans de relance mis en oeuvre depuis un an le prouvent. L’interdépendance est devenue la règle.

En même temps, ces transferts de capitaux ont créé une concurrence entre les Etats, ainsi qu’une nouvelle forme de compétitivité, un benchmark des Etats dans le domaine des infrastructures, des politiques fiscales et de la stabilité politique et juridique. Il s’agit parfois d’incitations puissantes pour la mise en place de normes mondiales de transparence et d’efficacité. Mais c’est aussi parfois une limite à la souveraineté de chaque Etat et une restriction à son action. Là encore, seule la coopération peut permettre d’éviter de possibles instabilités ainsi que toute forme de dépendance.

Ce sera encore plus vrai dans le futur, parce que la globalisation à venir sera liée à une nouvelle révolution industrielle qui transformera les formes de travail elles-mêmes. L’économie du savoir va créer de nouvelles formes d’interdépendance. Le coeur de la nouvelle économie ne sera plus le capital ou la propriété physique, mais le contrôle, le développement et la propriété des idées, des concepts, des technologies. Les règles du jeu sont en train de changer. La coopération est nécessaire pour permettre ces changements et pour créer des règles communes concernant les droits de propriété intellectuelle, les licences ou les normes techniques.

· C’est une nécessité, parce que nous entrons dans une nouvelle période de globalisation, définie par le retour de la politique et la loi de la rareté.

La crise économique a montré la nécessité d’une régulation politique et administrative des processus économiques. La croyance dans la loi naturelle du marché appartient au passé. Les Etats qui ont résisté au choc l’ont fait à travers des interventions publiques massives, à travers des plans de relance impressionnants et des politiques industrielles volontaristes.

Les fonds souverains ont vocation à devenir des acteurs majeurs des circuits financiers mondiaux et, en tant que tels, de la production mondiale. Ils vont contribuer à définir le nouveau monde et ils doivent être considérés comme des acteurs-clés de la coopération.

La rareté des ressources va définir de nouvelles relations économiques. Nous avons eu un avant-goût de cette situation avec la crise des matières premières de la première moitié de l’année 2008. Des prix du pétrole en hausse, des réserves de métaux en baisse ou des ressources énergétiques plus limitées: ce sont les résultats arithmétiques des taux de croissance impressionnants des principales économies émergentes.

L’impact diplomatique de cette situation constitue d’ores et déjà une évidence. Les principales puissances essaient d’obtenir un accès privilégié vers des marchés stratégiques, en Afrique par exemple.

Une nouvelle forme de coopération internationale est en train de gagner du terrain. La seule façon de contrebalancer les effets collatéraux de cette compétition, c’est d’établir une forte coopération. La compétition ne peut être totalement évitée. Elle peut cependant être maîtrisée afin d’éviter le risque d’une guerre économique mondiale.

Des menaces sont en train d’apparaître à l’échelle de la planète et elles exigent une réponse mondiale. Elles sont certes visibles dans le secteur financier, mais nous ne devons pas oublier les menaces relatives à la sécurité internationale. Le terrorisme islamiste n’a toujours pas été éradiqué et les attentats à la bombe de Bombay au printemps dernier nous ont rappelé combien il reste à faire dans ce domaine.

Ce danger ne peut être surmonté que par une politique de coopération plus affirmée et par un partage plus large de l’information entre tous les Etats ciblés.

Aujourd’hui, l’incertitude semble l’emporter. Après l’onde de choc créée par la crise financière de l’année dernière, beaucoup semblent penser que la crise est derrière nous. Ou ils veulent le croire. C’est un vrai danger de croire que tout va redevenir comme avant.

Ceci peut nous conduire à une crise encore plus grave dans un avenir proche.

Ou
cela pourrait compromettre la croissance dans les prochaines années et conduire à une récession économique mondiale.

Pire, cela pourrait conduire les leaders mondiaux ainsi que les opinions publiques à penser que le monde n’a plus besoin d’une forte coopération.

C’est pourquoi des actions concrètes majeures doivent être menées à terme dans les prochains mois. C’est pourquoi le sujet-même de la coopération doit rester prioritaire. C’est pourquoi il doit être discuté activement, à l’Est et à l’Ouest, au Nord et au Sud. »

Première partie du discours de Dominique de Villepin lors du Sommet de la Coopération Internationale à Changchun (Chine), le 1er septembre 2009 – Seconde partie à suivre sur ce blog demain.

Remerciements à Fiona pour la version anglaise

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