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Dominique de Villepin au Point: "Si ce n'était pas trop, ce ne serait pas moi…"

Guerrier. Villepin croit encore à son destin. Confidences.

Le vol de « La Joconde ». 1911. C’est à l’arrestation et l’emprisonnement d’Apollinaire – à tort, pour complicité de vol… – que Dominique de Villepin songeait, pendant les longues heures, les interminables semaines où il a occupé, tout comme Imad Lahoud et Jean-Louis Gergorin, le siège en plastique noir du prévenu, sous les 144 lampes-chandelles suspendues au plafond à caissons de la salle d’audience, tandis que le vilipendaient Jean-Claude Marin et Thierry Herzog.

A aucun moment le dragon à crinière de la classe politique n’a bondi de sa chaise pour cracher son feu. « Avec ce qui lui est arrivé, il aurait dû craquer, un mec normal aurait perdu son calme », s’étonne ce très proche collaborateur du président. Villepin n’est pas exactement un « mec normal ». Un « mec normal » ne serait pas allé maquillé à l’audience, comme on le ferait sur une scène de spectacle, ou de combat, en érigeant sa bella figura en bouclier. Un « mec normal » ne se prendrait pas pour Apollinaire. Un « mec normal » n’aurait pas eu, collée à la rétine, jusqu’à ne plus voir qu’elle, cette image du poète flanqué de deux policiers. A en croire Villepin, Picasso eût pu d’emblée innocenter Apollinaire. Il garda le silence. A l’instar de Jacques Chirac, qui n’a pas formulé, au sujet de l’affaire Clearstream, « la phrase de soutien qui aurait tout changé ». Tout est là, pour l’ancien Premier ministre. « Je dois lui en vouloir de ne pas l’avoir prononcée ? Eh bien non ! Peut-être que ça va changer ma vie… C’est ça, l’alchimie. Je fais partie de ces gens qui ne séparent pas les bonnes choses des mauvaises. »

Cette épreuve, traumatisante, ne fut pas étrangère à l’engagement volontaire d’Apollinaire dans l’armée en 1914 ; Villepin, lui, a décidé de s’engager sur le chemin que lui dessine l’ »acharnement » de Nicolas Sarkozy. « La route, c’est lui qui l’a ouverte, nous confie-t-il. Il suffit de suivre la voie qu’il a tracée. On est vraiment dans le hasard et la nécessité. Moi, je n’ai rien demandé. Si Nicolas Sarkozy n’était pas Nicolas Sarkozy, je ne serais pas là où je suis, à préparer ce que je dois préparer. » La prochaine élection présidentielle ? Il ne répond ni oui ni non, ce qui est déjà une réponse. « J’ai beaucoup moins d’expérience que François Bayrou ou Ségolène Royal. Il faut que j’apprenne. J’ai beaucoup à apprendre. » Ô humilité si rare ! Le meilleur opposant au président exhibe ses fossettes, se rassure : « En politique, la fraîcheur, ça a du bon…  » Alors, 2012 ? « Il y a des choses qui vous obligent… Quand on réunit 1 300 personnes… » Allusion à la réussite de la première soirée du Club Villepin, le 27 octobre, à la Maison de l’Amérique latine, à Paris. Le héros du jour avait la voix grondante des grandes occasions.

Baraka. La salle débordait, il y avait du monde aux balcons, aux fenêtres, et aussi dans le jardin, malgré le froid. Les jeunes femmes et les mamies se sont jetées à son cou, les messieurs lui ont serré la main avec respect. A tous, à tous ces nostalgiques du temps d’avant, d’avant Sarkozy, Villepin a promis « le retour aux sources de ce que nous sommes, de ce qu’est la France ». Il s’est réclamé de l’ » esprit de mission », celui « qui a permis au général de Gaulle de faire face alors que l’ennemi était là, que le renoncement était là ». Rien que ça !

Le lendemain, hélas, point de quotidiens dans les kiosques pour relater le succès, grève des NMPP oblige. « La baraka fait partie de la bonne gestion », persifle un conseiller élyséen. Qu’importe, ce soir-là, sans même attendre le verdict, Villepin a tracé sa feuille de route : « Constituer une force alternative. » On ne saurait être plus clair… Beaucoup moins ambigu, en tout cas, que ne l’ont été certaines de ses déclarations pendant le procès. La dernière, surtout : « Je garde la main ouverte vis-à-vis de Nicolas Sarkozy. » Ne regrette-t-il pas ces mots qui en contredisent beaucoup d’autres ? « Pas du tout ! rugit-il. Grâce à cette expression, j’ai tourné la page du procès, et ça, c’était fondamental. Le temps du procès est fini. » Dans ce cas, était-il habile de déclarer, trois jours plus tôt, après que le parquet a requis dix-huit mois de prison avec sursis contre lui : « Nicolas Sarkozy avait promis de me pendre à un croc de boucher. Je vois que la promesse a été tenue » ? « Il fallait prendre acte, rétorque-t-il, il fallait accuser le coup avec indignation. Se taire, c’est admettre qu’on est coupable. » Il omet de raconter que ce jour-là, avant de sortir de la salle d’audience, il a demandé à l’un de ses conseils, Olivier Metzner, s’il devait aller trouver les journalistes : « Qu’est-ce que je fais ? J’y vais ? » L’avocat lui a répondu : « Si vous y allez, ne cognez pas sur Nicolas Sarkozy. » Villepin s’est pour le moins affranchi de cette recommandation… Il ne regrette rien.

A ceux qui ont jugé peu compréhensible cette succession de postures, il objecte : « Il fallait ce levier-là. J’impose mon rythme, c’est moi qui fais le jeu, moi qui donne le tempo, ce n’est pas Thierry Her­zog, ce n’est pas Nicolas Sarkozy. C’est parce que j’ai su marquer les temps. J’ai eu une stratégie de communication très étudiée. » Au moins autant que sa stratégie d’amaigrissement. L’homme au visage désormais émacié est fier d’avoir perdu « 8 kilos en deux mois ». « J’ai fait attention à tout, à ce que je bois, à ce que je mange, je cours tous les jours entre une heure quinze et deux heures. Je me suis préparé comme on le fait pour un marathon. » Lui fait-on remarquer que trop c’est trop, qu’il a trop maigri : « Si ce n’était pas trop, ce ne serait pas moi … » réplique-t-il, lucide et amusé.

C’est comme ce voyage éclair en Chine, que le marathonien avait maintenu à son agenda, malgré la fatigue physique, malgré la fin trop proche du procès. Il a attendu la dernière minute pour l’annuler ; du coup, il avait un peu de temps pour lui, il est allé visiter l’exposition « Soulages », à Beaubourg. Il ne s’est pas contenté de commenter la majesté, la puissance, etc. Non, ce qui l’intéresse par-dessus tout, c’est l’ »esprit de résistance » du peintre : « Tout en laissant le noir faire son oeuvre, il lui résiste, il apprivoise la lumière dans l’empire du noir. » Et de s’exalter, à la fin du parcours, devant les grands polyptyques outrenoirs de la dernière salle : « Ce qui est inouï, c’est la diversité avec une règle du jeu si contraignante. Comment conjuguer la liberté avec l’obligation la plus serrée ? Il la gagne, sa liberté, malgré le corset, grâce au corset. Il faut pousser suffisamment loin l’ascèse que l’on s’impose à soi-même pour arriver à en extraire une quintessence, une parole qui puisse être partagée. C’est une belle leçon d’espoir. » Evidemment, Villepin parle, aussi, d’abord, de lui. Faut-il comprendre que l’art – si semblable à l’existence, à ses mouvements, à ses transmutations – lui donne de l’espoir ? Cet après-midi-là, devant chacune des toiles, l’ancien Premier ministre, le nez en avant, a scruté les reliefs, à l’affût des ruptures. « Soulages prend sa spatule et il fait des aplats, et puis une goutte tombe. C’est souvent l’accident, l’éraflure, la déchirure, la maculation, qui fait la toile. Dans la vie, c’est pareil. » Il coule vers nous un regard de défi : « Je n’échangerais ma place contre celle de personne. »

Source: Anna Cabana – Le Point daté du 12 novembre 2009

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