A peine vainqueur de son bras de fer avec les députés UMP sur la taxe professionnelle (TP), le gouvernement est confronté à la fronde de sénateurs de la majorité menée par Jean-Pierre Raffarin pour obtenir qu’il renonce à sa réforme en l’état.
Jean-Pierre Raffarin est le troisième ancien Premier ministre de droite à clamer haut et fort son opposition à la suppression de la TP telle qu’envisagée par le gouvernement.
« C’est se foutre du monde », avait tonné ainsi Alain Juppé, avant de regretter la tonalité de ses propos. Et mercredi, invité de Questions d’Info LCP/France Info/AFP, Edouard Balladur avait critiqué le calendrier du gouvernement, à savoir le couplage réforme territoriale/suppression de la TP.
« On ne peut pas faire une véritable réforme fiscale avant de savoir quelles sont les compétences de chacun des niveaux de collectivités territoriales, département, commune, région », avait-il dit. « Il faut d’abord fixer la règle du jeu entre elles avant de savoir comment on va leur affecter ce qui va remplacer la taxe professionnelle », avait jugé l’ancien Premier ministre de François Mitterrand.
Un argument repris avec force dans la tribune publiée dans le Journal du Dimanche par 24 sénateurs UMP dont Jean-Pierre Raffarin. Quelques jours auparavant, le sénateur de la Vienne avait prévenu qu’il n’y avait « pas de majorité » au Sénat pour voter la réforme.
Des élus territoriaux comme René Beaumont, sénateur de Saône-et-Loire, ou Jacques Blanc, représentant la Lozère, se prononcent dans cette tribune « en faveur de la réforme de la taxe professionnelle » au nom de la recherche de compétitivité des entreprises françaises, mais précisent que « la réforme telle qu’elle est actuellement proposée par l’exécutif ne peut pas être votée en l’état ». Se positionnant à deux jours de l’ouverture du Congrès des maires de France, ils jugent que « le volet allégement fiscal ne pose pas de problème », et peut donc être voté rapidement, mais que « le travail relatif au volet territorial de la réforme n’est pas achevé ».
Pour ces sénateurs enracinés territorialement, « l’actuelle proposition n’est ni claire ni juste, ni conforme à (leurs) convictions ». Ils ne souhaitent pas mener la réforme des moyens avant celle des compétences des élus territoriaux, qui les concernent directement, alors que le président Nicolas Sarkozy vient d’annoncer une redistribution des cartes entre région et département. Les sénateurs défendent leur proposition : « Définissons les compétences de chaque échelon territorial puis (…) répartissons les recettes fiscales en fonction des missions des différents échelons ». Ils réclament des simulations financières de Bercy, menaçant sinon de repousser le vote à 2011, année d’application de la réforme de la taxe professionnelle.
L’Assemblée nationale a voté la semaine dernière la réforme de la TP, au terme d’un long bras de fer entre le gouvernement et sa majorité UMP. Le texte prévoit la suppression de la taxation des investissements des entreprises, ce qui représente un manque à gagner pour les collectivités locales de quelque 11 milliards d’euros. Le projet prévoit donc une compensation avec une nouvelle contribution payée par les entreprises à partir de 500.000 euros de chiffre d’affaires.
Si en 2010, les pertes pour les collectivités seront compensées, à partir de 2011, les choses sont plus incertaines. D’où l’inquiétude de l’ensemble des élus face à la perspective de devoir augmenter les impôts locaux payés par les ménages.
Le porte-parole du PS Benoît Hamon s’est réjoui, dimanche, de voir M. Raffarin rejoindre la position des socialistes et a demandé à Nicolas Sarkozy de renoncer. « Combien d’élus faudra-t-il pour faire entendre raison à un homme (M. Sarkozy)? », s’est émue Marylise Lebranchu (PS) tandis que le président du PRG Jean-Michel Baylet louait « le courage » de M. Raffarin et Arnaud Montebourg (PS) appelait Nicolas Sarkozy à « écouter la France ».
A l’Elysée, on s’est refusé à tout commentaire, « laissant le texte être débattu au Sénat ». Le secrétaire général de l’UMP, Xavier Bertrand, a minimisé la fronde des sénateurs, qui signifie seulement qu’il y a « une demande de précisions supplémentaires pour les collectivités au Sénat ». « Le débat est tout à fait souhaitable au Sénat », il permettra d’ »apporter les clarifications », a-t-il dit. Même tonalité à Bercy où l’on a assuré que Christine Lagarde (Finances) « sera à l’écoute » des sénateurs et travaillera avec eux à l’élaboration d’un texte qui leur convienne.
Pour le patron de l’UMP, Xavier Bertrand, cette tribune démontre seulement qu’il y a « une demande de précisions supplémentaires pour les collectivités au Sénat ». « Le débat est tout à fait souhaitable au Sénat », a-t-il souligné, en assurant qu’il permettrait d’ »apporter les clarifications ». Interrogé sur l’existence d’un front anti-Sarkozy au sein de la majorité, le patron de l’UMP a répondu: « je n’ai vraiment pas ce sentiment. Je me suis même entretenu avec Jean-Pierre Raffarin, on n’est vraiment pas dans cette logique là ».
La situation pour le gouvernement peut être en effet périlleuse. L’UMP ne disposant plus de majorité absolue au Sénat, si les 24 sénateurs UMP persistent, le risque que la réforme soit repoussée est réel. En outre, même si le dernier mot appartient à l’Assemblée, un tel résultat au Sénat pourrait inciter alors les députés UMP à être plus combatifs.
La taxe professionnelle en chiffres
La réforme de la taxe professionnelle, qui ne touchera plus les investissements, va se traduire dès 2010 par un allègement d’impôt de quelque 8 milliards pour les entreprises et modifie le financement des collectivités locales.
Jusqu’ici, l’essentiel de la taxe professionnelle reposait sur la valeur locative des équipements et biens mobiliers de l’entreprise (machines, outillage, matériels de bureau…). La réforme prévoit la suppression de cette part, ce qui bénéficiera aux entreprises qui investissent le plus. Celles, fait valoir le gouvernement, qui sont le plus exposées à la concurrence internationale. Pour le président Nicolas Sarkozy, la taxe professionnelle est un « impôt imbécile ».
Les entreprises paient actuellement 26 milliards de taxe professionnelle. Cette somme va aux collectivités qui perçoivent en outre 10 milliards de l’État, soit 36 milliards. Dès 2010, les entreprises ne paieront plus que 18 milliards d’euros : 5,7 milliards de cotisations sur la valeur immobilière, et 11,4 milliards au titre d’une nouvelle contribution complémentaire (CC) sur la valeur ajoutée. Celle-ci touchera les entreprises à partir de 500.000 euros de chiffre d’affaires, avec un barème progressif.
La taxe professionnelle est une des ressources de financement principales des collectivités, de sorte qu’elles s’inquiètent de cette suppression. Elles ont chiffré à 11 milliards d’euros leur manque à gagner avec cette réforme. En 2010, les pertes des collectivités locales seront compensées. À partir de 2011, le texte initial du gouvernement prévoyait que les départements perçoivent 75 % de la nouvelle contribution complémentaire sur la valeur ajoutée. Le manque à gagner devrait être compensé par le versement aux collectivités du produit de diverses taxes et par une dotation budgétaire. Le gouvernement a renoncé à instaurer une péréquation nationale du produit de la cotisation complémentaire. Les députés ont obtenu le maintien d’un lien fiscal entre les territoires et les entreprises qu’ils accueillent.
Sources: Agence France Presse et Nouvel Observateur