L’ancien Premier ministre Dominique de Villepin va assigner Nicolas Sarkozy en justice à Paris pour violation de sa présomption d’innocence dans des propos visant l’affaire Clearstream, a confirmé son avocat Olivier Metzner, vendredi matin, faisant suite à ses déclarations de jeudi soir (vidéo ci-dessus).
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Violation de la présomption d’innocence
« Nous assignons le président de la République pour atteinte à la présomption d’innocence », a déclaré Me Metzner, indiquant que cette assignation -civile- devant le tribunal de grande instance de Paris devrait être formellement déposée vendredi.
Le président Nicolas Sarkozy a provoqué la fureur des avocats de l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin, principale personnalité poursuivie dans le procès Clearstream, en parlant mercredi soir de « coupables » à propos des prévenus de cette affaire.
« Au bout de deux ans d’enquête, deux juges indépendants ont estimé que les coupables devaient être traduits devant un tribunal correctionnel », a-t-il affirmé sur TF1 et France 2.
Tout prévenu à un procès est présumé innocent tant qu’il n’a pas été définitivement condamné.
Dominique de Villepin demandera à la formation civile du tribunal de Paris une réparation financière « symbolique », a précisé à Reuters Me Olivier Metzner.
L’avocat s’est dit conscient que la démarche ne pourrait pas aboutir pour l’instant, puisque la Constitution prévoit que le chef de l’Etat bénéficie d’une immunité judiciaire totale tant qu’il est en fonctions.
« C’est justement l’intérêt de cette procédure de démontrer que le tribunal ne pourra pas se prononcer contre la personne qui viole notre présomption d’innocence », a expliqué Me Olivier Metzner. Sollicité par l’AFP, l’avocat du président, Me Thierry Herzog, n’était pas joignable dans l’immédiat.
Le tribunal de Paris devrait repousser sa décision jusqu’au départ de Nicolas Sarkozy de l’Elysée, en 2012.
Les avocats de Dominique de Villepin pourront utiliser cette décision à l’appui de leur demande de rejet de constitution de partie civile de Nicolas Sarkozy dans l’affaire principale, fondée notamment sur le fait que les deux adversaires ne bénéficient pas de l’égalité des armes.
Le chef de l’Etat, garant de l’indépendance de la justice, avait déjà été au centre d’une polémique du même type en qualifiant d’ »assassin » le tueur présumé du préfet Erignac, Yvan Colonna, avant son procès. Nicolas Sarkozy – avocat de formation – a fait l’objet d’une procédure judiciaire de l’intéressé mais la justice a estimé qu’elle ne pouvait se prononcer tant qu’il était président de la République.
Les réactions
Le patron des sénateurs UMP, Gérard Longuet, prend très nettement ses distances avec Nicolas Sarkozy, jeudi 24 septembre, après l’utilisation par ce dernier du mot « coupables » dans l’affaire Clearstream. « Sur le terrain judiciaire, je suis d’une extrême prudence car je considère que chacun est présumé innocent tant qu’il n’est pas définitivement condamné », a lancé Gérard Longuet. « Il faut être d’une extrême prudence sur ce sujet. Donc moins on dit, mieux on se porte », a-t-il conseillé au chef de l’Etat.
Gérard Longuet rappelle le précédent de l’affaire Broglie : « J’ai un long souvenir, notamment de Michel Poniatowski, ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur qui avait été menacé d’être renvoyé en Haute cour de justice pour avoir, en effet, présenté des prévenus pour des coupables ». Le prince Jean de Broglie, homme politique, avait été assassiné en 1976. Patrick de Ribemont avait été mis hors de cause après avoir été publiquement présenté comme « coupable » par Michel Poniatowski, ministre de Valéry Giscard d’Estaing. Patrick de Ribemont a fait condamner la France par la Cour européenne des droits de l’homme en 1995 et 1996.
De son côté, la députée UMP Marie-Anne Montchamp estime que Nicolas Sarkozy doit « revenir » sur le mot « coupables ». « J’espère de tout mon coeur que c’est un lapsus. Mais sur ce genre de sujets, les lapsus ne sont pas possibles », a-t-elle déclaré. Cependant, « à un tel niveau de l’Etat, il ne peut pas y avoir de lapsus », a lâché la députée du Val-de-Marne. « J’espère que le président de la République va revenir là-dessus. C’est incompatible avec sa fonction ».
Le porte-parole de l’UMP Frédéric Lefebvre a estimé jeudi que « les coupables sont toujours parmi les prévenus », jugeant « curieuse » la polémique suscitée par les propos de Nicolas Sarkozy concernant l’affaire Clearstream. « Cette polémique est curieuse parce que, dans un procès, il y a des victimes et il y a des coupables. C’est la justice qui déterminera (mais) les coupables sont toujours parmi les prévenus », a déclaré M. Lefebvre sur France-Inter, même si « les prévenus ne sont pas toujours coupables ».
Le secrétaire général de l’UMP, Xavier Bertrand, a estimé qu’il n’y avait pas de « problème » dans l’utilisation du mot « coupables » par Nicolas Sarkozy dans l’affaire Clearstream puisque le président n’a « pas cité un seul nom ». « Est-ce qu’un seul nom a été cité par le président de la République ? Alors, où est le problème ? Il n’y a pas de problème », a-t-il réagi.
De son côté, le ministre de l’Immigration Eric Besson a déclaré: « C’est quand même extraordinaire qu’à l’ouverture d’un procès, le suspect, à tort ou à raison (la justice le dira), commence par accuser avec grandiloquence, talent et emphase, la victime », tandis que Franck Riester, député de Seine-et-Marne, reconnaissait que « ce lapsus du président complique les choses, c’est vrai ».
Plusieurs députés villepinistes qui participaient aux journées parlementaires de l’UMP réunis au Touquet, se sont indignés jeudi de l’utilisation du mot « coupables » par Nicolas Sarkozy dans l’affaire Clearstream. Fidèles des fidèles, Jean-Pierre Grand a déclaré qu’il ne croyait pas à un « lapsus » : « Nicolas Sarkozy a une maîtrise hors du commun du verbe, et je ne pense pas qu’il puisse s’égarer aussi facilement », a expliqué ce proche de l’ex-Premier ministre à quelques journalistes. « En parlant de coupables, il a renouvelé sa feuille de route à la justice », avait déclaré un peu plus tôt à l’AFP le député de l’Hérault. « On sent l’ambiance, le pouvoir est très prégnant dans cette affaire, dans le prétoire, et ça heurte mes convictions républicaines ».
« Quand on est avocat, on sait faire la différence entre prévenu et coupable », a renchéri Jacques Le Guen, « profondément surpris par la prise de position du président de la République sur une affaire qui est en cours ». « Ce qui me surprend, a-t-il dit à l’AFP, c’est que le procureur (de Paris Jean-Claude Marin) avait eu la même phrase il y a quelques semaines à la radio ». En outre, les propos de Nicolas Sarkozy « étaient enregistrés », a-t-il fait valoir. S’il avait voulu ensuite changer sa phrase, il l’aurait fait », a ajouté le député du Finistère.
Son collègue de la Drôme, Hervé Mariton a estimé pour sa part que les propos de Nicolas Sarkozy montrent la « subjectivité d’une partie à un procès qui serait banale pour un Français banal. Mais Nicolas Sarkozy n’est pas un citoyen ordinaire, a-t-il expliqué à l’AFP. Et ce qui est compréhensible pour M. Dupont ne l’est plus pour un président de la République ».
Dernière réaction à l’UMP, celle de François Baroin interrogé jeudi soir sur Europe 1: « Nicolas Sarkozy, il le sait très bien comme avocat et comme responsable politique, n’aurait pas dû dire cette phrase. (…) Tant qu’on est prévenu et qu’on n’a pas été jugé, on est présumé innocent. Donc c’est une faute », estime ce proche de Jacques Chirac. Evoquant un procès « hallucinant » et « très spectaculaire », François Baroin craint que sa « tournure politique (ne soit) toxique pour la majorité ». L’ancien ministre appelle donc l’
actuel président de la République à ne plus évoquer publiquement l’affaire. « Je pense vraiment, dans l’intérêt de Nicolas Sarkozy victime, qu’il ne faut plus d’expression du président de la République sur ce sujet. Et je pense que la politisation des prises de position de tous les acteurs ne doit pas interférer dans la bulle politique, sinon ça prendra une mauvaise tournure. »
François Bayrou, président du MoDem, a réagi sur RTL: « M. Freud aurait dit que c’était un lapsus révélateur et révélateur de quoi, révélateur de l’ambiguïté de la position qui est celle de Nicolas Sarkozy dans cette affaire ». Le président « est à la fois partie civile, c’est-à-dire celui qui a déposé plainte et qui se plaint, et le garant de la justice, supérieur hiérarchique du parquet. Cette position anormale ne devrait pas être acceptée dans une République qui a des principes ».
A gauche aussi, on se dit choqué. Dès mercredi soir, le député socialiste Pierre Moscovici a déclaré : «Il y a des expressions qui ne sont pas seulement maladroites. Parler des coupables alors lorsqu’on est président de la République, c’est à dire le garant de l’indépendance de la justice et aussi du respect de la présomption d’innocence, c’est extrêmement choquant», a insisté l’élu du Doubs sur Europe 1.
La première secrétaire du PS, Martine Aubry, a jugé »très grave qu’un président de la République (…) puisse s’exprimer ainsi ». « Il est très grave qu’un président de la République qui est chargé de faire respecter la justice dans notre pays, qui est président du Conseil supérieur de la magistrature et qui est chargé d’appliquer la présomption d’innocence, puisse s’exprimer ainsi », a-t-elle souligné. « Je continue à penser qu’il ne devrait pas être partie civile alors qu’il est intouchable par son statut », a-t-elle ajouté.
Son prédécesseur, François Hollande, ex-premier secrétaire du PS, a déclaré sur France 2: « C’est un lapsus doublement fâcheux parce que Nicolas Sarkozy est avocat de profession, il doit donc avoir le sens des mots, et parce que Nicolas Sarkozy est président de la République et qu’il a autorité sur les parquets, c’est-à-dire les procureurs ». Le chef de l’Etat « aurait dû se mettre de côté » dans le procès Clearstream, « il ne l’a pas fait et maintenant son lapsus se retourne contre lui ».
Dans un communiqué, le député socialiste de l’Isère, André Vallini, « suggère de faire bénéficier le président de la République du principe qu’il refuse aux autres: celui de la présomption d’innocence, en considérant qu’il s’agit d’un lapsus révélateur de sa conviction personnelle ». « Mais ce lapsus est grave quand il est commis par le président du Conseil supérieur de la magistrature ». « Ce contexte est en tout cas difficile pour les juges qui doivent rendre leur décision en toute indépendance d’esprit et avec la sérénité requise ». « Tous ces remous montrent que si Nicolas Sarkozy a eu raison de se constituer partie civile dans cette affaire en 2005, il aurait dû, une fois élu président de la République, se désister en application du principe selon lequel ‘le roi de France oublie les querelles du duc d’Orléans’. »
Sur Le Post, la présidente du Syndicat de la magistrature, Emmanuelle Perreux, estime qu’en parlant des « coupables » de l’affaire Clearstream, le chef de l’Etat a voulu « exercer une pression sur le cours de la Justice »: « Déjà, il faut rappeler que l’atteinte à la présomption d’innocence est un délit. Mais comme le chef de l’Etat bénéficie de l’immunité pénale, tant que Nicolas Sarkozy est président de la République, il ne risque rien. (…) Je ne sais pas ce que Nicolas Sarkozy avait dans la tête quand il a parlé des ‘coupables’. Mais en disant cela, c’est une manière d’exercer une pression sur le cours de la Justice. Nicolas Sarkozy est partie civile dans le procès Clearstream mais aussi président du conseil supérieur de la magistrature, il est le premier magistrat de France et sa parole compte beaucoup dans les débats… »
Sources: Reuters, Agence France Presse et Le Post