Le Président de la République installe ce mercredi la commission chargée de réfléchir à l’usage qui sera fait du « grand emprunt national », annoncé le 22 juin dernier, et prévu pour 2010. Présidée par Michel Rocard et Alain Juppé, la commission a deux mois pour rendre ses « propositions sur les choix des priorités stratégiques », qui ont vocation à être financées par l’emprunt.
Décryptage et rappel de la position de Dominique de Villepin.
Le grand emprunt: décryptage
Pourquoi faire un emprunt national ?
Alors que le plan de relance de 26 milliards d’euros continue d’être mis en oeuvre, l’idée est de doper l’économie à plus long terme en faisant financer par l’Etat des investissements bénéfiques pour les « générations futures », mais trop coûteux ou trop peu rentables pour être mis en oeuvre par les seuls opérateurs privés. Il ne s’agit pas d’un « deuxième plan de relance », ni de financer les dépenses courantes de l’Etat mais de « dessiner notre vision de la France, c’est-à-dire de la France de l’après-crise », avait martelé le Premier ministre François Fillon, fin juin. Pas question, donc, d’utiliser cette future cagnotte pour résorber les « déficits structurels » ou empiler les « dépenses de fonctionnement ».
Quels secteurs seront privilégiés ?
Les ressources seront affectées à des dépenses « porteuses de croissance et d’emploi » a insisté François Fillon, qui a ainsi évoqué « la croissance verte et le développement durable », « l’université de demain et l’économie de la connaissance ».
Le ministre de la Relance, Patrick Devedjian, a précisé mardi dans Le Monde que les quatre grandes lignes de TGV souhaitées par Nicolas Sarkozy et le projet du « Grand Paris » avaient vocation à bénéficier des fonds de cet emprunt. Selon le quotidien, le ministère des Finances entend donner la priorité à la santé, aux infrastructures publiques et aux innovation technologique.
Selon le Figaro.fr, Bercy et Matignon chercheront à tout faire pour que le nombre de projets finalement retenus soit limité – autour d’une dizaine maximum, « pour éviter le saupoudrage des fonds. »
Qui souscrira à l’emprunt ?
Nicolas Sarkozy avait indiqué qu’il serait lancé soit auprès des Français soit auprès des marchés financiers, mais il est vraisemblable que tout le monde soit mis à contribution: les particuliers pour l’aspect symbolique et politique, les marchés pour limiter le coût de l’emprunt. Pour les particuliers, il n’y a que des avantages : l’Etat offre aux épargnants un placement sûr et avec un meilleur rendement que les placements traditionnels comme le Livret A ou le LDD. Les Français ne sont toutefois pas convaincus. Selon un sondage de juin, 82% d’entre eux ne veulent pas souscrire à cet emprunt.
Quel sera le montant de l’emprunt ?
Il faudra attendre la fin du processus pour en avoir une idée du montant. Certains proches de Nicolas Sarkozy, comme Henri Guaino, avaient évoqué la somme pharaonique de 80 à 100 milliards d’euros. Il n’aura pas gain de cause. Au final, on sera sans doute plus proche des 10 ou 20 milliards.
Cet emprunt est-il vraiment nécessaire ?
Non. L’Etat finance aujourd’hui sa dette publique en empruntant auprès des marchés financiers, via l’émission par l’AFT (Agence France Trésor) de bons du Trésor ou OAT (obligations assimilables du Trésor). Le marché des OAT est d’ailleurs également accessible aux particuliers. « Depuis le début de l’année, l’AFT n’a aucun problème pour placer ses titres sur les marchés financiers, remarquait en juin Cyril Regnat, économiste chez Natixis, les obligations souveraines de l’Etat français bénéficiant en effet de la notre maximale, le fameux « triple A ». » Selon lui, faire appel aujourd’hui à l’épargne des particuliers n’a donc pas énormément d’intérêt pour l’Etat. Là encore, l’emprunt a surtout une valeur symbolique.
Le dispositif coûtera-t-il cher à l’Etat ?
Le grand emprunt pourrait effectivement s’avérer très coûteux si les investissements choisis sont faiblement rentables ou peu porteurs de croissance. Cet emprunt « va probablement être très cher pour les finances publiques », prévient Jean-Christophe Caffet, économiste chez Natixis. Si l’emprunt creusera inévitablement le déficit public, Paris fait une distinction entre « bons » et « mauvais déficits » en soulignant que les fonds dégagés ne financeront que des dépenses d’investissement.
Le coût de l’emprunt dépendra en grande partie de qui y souscrira : s’il est lancé sur les marchés financiers, il pourrait s’apparenter aux obligations régulièrement émises par le Trésor. Leur rémunération varie en fonction de leur durée (2,10% sur 2 ans, 2,90% sur 5 ans, environ 4,45% à 4,50% sur 30 ans).
Mais si l’Etat fait appel à l’épargne des Français comme il l’a annoncé, l’emprunt sera plus cher : il faudra alors « non seulement rémunérer les banques », qui serviront d’intermédiaires, mais aussi « attirer le chaland avec des taux attractifs » avertit Jean-Christophe Caffet.
« Alors que l’emprunt EDF va permettre aux ménages de souscrire des obligations rémunérées au taux de 4,5%, on voit mal l’Etat proposer un taux plus faible », avance aussi Nicolas Bouzou, économiste chez Asterès.
Le rappel de la position exprimée par Dominique de Villepin
Assemblée Nationale, le 24 juin
Dominique de Villepin émet des réserves sur la proposition d’un grand emprunt. Une telle idée peut « avoir une force pédagogique, symbolique » face à la dette, mais « n’est pas suffisant(e) pour marquer la mobilisation de la nation », « coûte cher » et « peut servir, dans l’esprit de certains, de vocation plébiscitaire. »
Marseille, le 25 juin
« Lancer un emprunt national a une valeur symbolique et pédagogique mais c’est aussi un aveu de difficulté. »
« Le Président a choisi de se donner trois mois pour un grand débat sur son action, il y a donc un décalage dans le temps. Or, aujourd’hui, nous connaissons les priorités pour la France: avoir une politique ambitieuse d’innovation, une grande politique de l’emploi et une politique de réduction des déficits. Ne tournons pas autour du pot ! On peut toujours essayer de se rassurer en se disant qu’il y a un bon et un mauvais déficit mais quand le déficit est élevé, il est toujours mauvais. Veillons à faire preuve d’économie et de responsabilité. »
« L’emprunt peut avoir dans certaines circonstances une valeur pédagogique ou symbolique en mobilisant tous les Français face au problème de la dette ». L’ancien Premier Ministre rappelle cependant l’urgence d’une « mobilisation générale » face à la position française, « plus dangereuse que nos voisins et notamment l’Allemagne ». Et de préciser : « Notre dette se situe en pourcentage un peu au-dessus de 80% de notre PIB (…) mais dans les prochaines années nous risquons de passer le cap des 100%. Il n’est donc pas question de laisser les choses dériver si nous ne voulons pas compromettre nos chances de relance et si nous ne voulons pas grever les chances de nos enfants. »
BFM TV, le 28 juin
« Je ne suis pas sûr que l’emprunt soit la formule pour solutionner tous les maux », affirme Dominique de Villepin. « Nous empruntons 200 milliards d’euros chaque année, sans tambours ni trompettes. Donc attendons de voir quel sera le montant et les modalités de l’emprunt. »
« Ce n’est pas pareil d’emprunter sur les marchés financiers, à un taux très compétitif, autour de 2% » ou « d’emprunter, au contraire, auprès de l’ensemble des Français à un taux vraisemblablement très élevé. »
« On a le sentiment parfois d’avoir trouvé la formule magique pour dépenser plus et en même temps de faire un acte de vertu (…) mais d’une façon ou d’une autre il faudra rembourser. Il ne faut pas contourner l’obstacle, tourner autour du pot. Au bout du chemin, il n’en reste pas moins que nous sommes dans une situation difficile. »
France 2, le 29 juin
Il fallait « qu’une stratégie globale avec des priorités claires soient définies dès maintenant ». Or « nous allons partir dans un grand débat pendant trois mois pour définir les priorités, nous allons partir dans de grandes aventures
institutionnelles à la Martinique avec un référendum, nous allons lancer et préparer un grand emprunt pour 2010. »
« Je crains que ce recours à la symbolique politique ne masque une très profonde angoisse des Français et une certaine incertitude quant à la gestion du pays du point de vue du gouvernement », juge Dominique de Villepin.
Financial Times, le 13 juillet
« A l’heure où nous pouvons voir assez clairement le chemin à emprunter, je regrette le fait que nous perdions du temps », souligne l’ancien Premier ministre français dans une interview publiée par le quotidien économique britannique « Financial Times ».
« Nous devons favoriser les investissements qui renforceront la France pour l’avenir, en renforçant l’innovation et la compétitivité. »
Alors que la France connaît le plus fort déficit budgétaire de la zone euro, Dominique de Villepin qualifie d’ »absurde » la distinction faite par le chef de l’Etat entre le « mauvais » et le « bon » déficit: « Quand on est obèse, on ne peut pas parler de bonne ou de mauvaise graisse. Toute graisse est dangereuse et met en danger la vie du patient. »
Le Parisien, le 26 juillet
« Les nominations de Michel Rocard et d’Alain Juppé sont une garantie de sérieux. Mais le grand emprunt n’est pas un remède miracle ! Cela peut même être un piège. Il faut d’abord être sûr que l’argent sera bien dépensé. Et puis cet emprunt risque d’envoyer un mauvais message à ceux qui ont entre leurs mains les cordons de la bourse. On dit qu’il y a de l’argent sur la table, autrement dit, dépensez ! C’est comme mettre une nouvelle bouteille sur la table d’un alcoolique. Or, nous sommes dans une situation extrêmement détériorée, avec une dette publique dépassant 80% du PIB, des déficits publics de 7,5%. »
« Quand on a atteint un certain seuil d’obésité, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise graisse. Il y a un risque pour la santé de notre pays et pour la reprise. Aujourd’hui, nous perdons du temps. »
Sources: L’Expansion… et 2villepin