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Interview de Jacques Chirac au Mensuel Arabies (1/2): "La guerre en Irak était une erreur et n'était pas justifiée"

Voici la première partie de l’interview accordée par Jacques Chirac au Magazine Arabies, le mensuel du monde arabe et de la francophonie.

L’ancien Président de la République aborde notamment le rôle de sa fondation, le nécessaire élargissement du G20, la situation au Proche-Orient, l’émergence de la Chine, la guerre en Irak et le rôle de l’ONU.

L’interview de Jacques Chirac a été réalisée par Christian Malar (consultant pour Arabies, éditorialiste en politique étrangère à France 3, et coprésentateur de l’émission À Visage découvert sur France 5), Bernard Vaillot et Magalie Forestier.

Arabies: L’été dernier, vous avez inauguré votre Fondation… Quelle est sa vocation ?

Jacques Chirac: Pendant toute ma carrière, j’ai porté certaines valeurs. J’ai donc considéré qu’il n’y avait aucune raison que je ne continue pas à porter ces valeurs, qui fondent notre civilisation – comme le refus de toute forme de haine, notamment ethnique et religieuse. Il s’agit d’un respect profond de l’autre, en tant qu’être humain. Quand la force prend le dessus sur le droit, tous les excès sont permis. Ma fondation a plusieurs vocations, notamment la diffusion de ces valeurs, via des actions spécifiques : tout ce qui concerne l’accès à l’eau, essentielle à la vie. Cela concerne aussi tout ce qui se rapporte aux médicaments. On connaît leur importance pour la santé des hommes, des femmes et des enfants – sans parler des abus que l’on peut constater avec les médicaments faux ou inadaptés, ce qui est extrêmement dangereux. Il peut aussi s’agir de la lutte contre la déforestation, phénomène extrêmement dangereux aux plans du climat et de l’oxygène, et aussi au niveau culturel. Il y a aussi la défense linguistique. C’est une richesse mondiale que d’avoir un grand nombre de langues qui traduisent beaucoup de cultures différentes. Il s’agit d’un patrimoine universel qu’il nous faut conserver.

Le G20 représente-t-il une prise de conscience au niveau mondial ?

C’est une orientation positive. Son élargissement, voulu et souhaité par la France, est une bonne chose. Le G20 a vocation à s’élargir, notamment à un certain nombre de pays émergents. Il a vocation à voir ses décisions confortées, davantage respectées par la Communauté internationale. Est-ce suffisant ? Non, car il y a un certain nombre de pays qui ont vocation à rejoindre ce cercle, qui peut prendre des décisions et associer tout le monde à un effort commun.

Je voudrais que l’on s’arrête sur le Proche-Orient. Cette tragédie dure depuis plus de soixante ans… Espérez-vous toujours une issue ?

La guerre et l’affrontement ne sont porteurs que de malheurs, jamais de solutions. Cette réalité doit imprégner progressivement l’esprit des responsables. Cela progresse – lentement, j’en conviens. Il faut donc convaincre davantage. Il n’y a pas de solution au Proche-Orient, s’il n’existe pas de respect réciproque. Israël a le droit à une terre, mais les Palestiniens ont droit à une patrie. Par conséquent, il faut imposer une solution dans ce sens.

Vous avez connu Yasser Arafat. Pensez-vous que le leader de l’autorité palestinienne n’a pas su saisir la chance de la paix ? Est-ce qu’il a raté une occasion historique de l’imposer dans la région ?

C’est très facile de réécrire l’Histoire. Yasser Arafat a connu une évolution de pensée très importante. Il est devenu un homme de paix. C’est dans cet esprit qu’il envisageait les choses à la fin de sa vie. Nous n’avons pas toujours été d’accord, nous nous sommes souvent affrontés. Mais les choses ont évolué avec le temps. Vers la fin de sa vie, nos positions convergeaient. C’est avec émotion – lorsqu’il est mort, j’étais auprès de lui – que je lui ai tenu la main. Ses dernières paroles étaient des paroles de paix.

Selon vous, le 11-Septembre a-t-il marqué le début d’une guerre de religions ou le début d’un affrontement de civilisations ?

Le 11-Septembre a été d’abord une action conduite par un groupe de terroristes. Relié cela à une guerre de civilisations constitue une extrapolation. Il s’agit surtout de l’action d’un groupe terroriste qui a été particulièrement forte et spectaculaire, mais qui aurait pu être assimilée à d’autres actions menées à cette époque. Les conséquences psychologiques ont été sans aucun doute plus importantes que les dégâts matériels.

Pensez-vous que cette date marque le début du déclin de l’empire américain ?

Il ne faut pas parler du déclin de l’empire américain. Il n’y a ni empire américain ni déclin. Les États-Unis ont des problèmes, qu’ils assument – un peu comme tout le monde. Ce qui est plus caractéristique de l’évolution du monde moderne, c’est l’émergence de l’Est, celle de la Chine et de l’Inde – surtout celle de l’Empire du milieu.

Quid du Brésil ?

Bien entendu, cela concerne aussi le Brésil. Mais l’émergence de la Chine me semble plus importante. C’est un élément important de l’évolution du monde actuel qui permet d’escompter, à terme, un rééquilibrage.

Existe-t-il un risque de choc frontal entre les États-Unis et la Chine ?

Je ne le pense pas, pour bien des raisons. Personne n’y trouverait d’intérêt. Si vous regardez toute l’histoire de la Chine, de l’Antiquité à nos jours, vous observerez qu’il s’agit d’un pays fondamentalement pacifique. Car la Chine ne déclare jamais la guerre à qui que ce soit. Et pour un conflit, il faut deux parties. Je pense donc que Pékin s’imposera inévitablement mais cela s’accomplira par sa force culturelle, morale, mais pas par le biais de la guerre.

En 2003, vous avez été le fer de lance de l’opposition à la guerre en Irak, déclenchée par l’administration Bush. Pensez-vous toujours que cette guerre était une erreur ? Comment voyez-vous l’avenir de l’Irak ?

Ce sont là deux questions bien distinctes. Cette guerre était une erreur et n’était pas justifiée. C’était une erreur parce qu’elle a été porteuse de conséquences psychologiques importantes et négatives au sein du monde arabe. Elle n’était pas justifiée, parce que les motifs invoqués étaient à l’évidence infondés – comme la prétendue existence d’armements offensifs, donc dangereux. C’était un prétexte de mauvaise foi. Ce conflit était inutile et nuisible.

Selon vous, l’ONU est-elle vraiment utile dans la mesure où les Américains n’ont pas tenu compte de son avis ?

Je conteste cette procédure et il n’en reste pas moins que le bilan de l’ONU est extrêmement positif dans beaucoup de régions. Dans tout bilan positif, il y a des échecs ou des difficultés, mais l’ONU constitue, globalement et sans aucun doute, un élément de paix et de stabilité essentiel.

Comment voyez-vous l’avenir de l’Irak ?

Je ne ferais aucune prévision. Je souhaite que l’Irak mette en place un régime, mais je ne dirais pas obligatoirement, comme certains, « démocratique ». Chaque nation doit avoir un régime adapté à sa civilisation. Pour l’Irak, il s’agirait d’un régime conforme aux aspirations et aux spécificités de son peuple, de sorte que ce grand et beau pays – qui bénéficie d’une longue histoire, d’une tradition et d’une civilisation – puisse évoluer dans le calme et la sérénité.

Source: Arabies numéro 267 (propos recueillis par Christian Malar, Bernard Vaillot et Magalie Forestier)

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