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Financement de la dépendance: Philippe Bas propose une deuxième Journée de solidarité

Une seconde journée de solidarité ? C’est en substance ce pour quoi plaide l’ancien Secrétaire Général de l’Elysée et ancien ministre de la Santé et des Solidarités du gouvernement de Dominique de Villepin, Philippe Bas.

Dans une tribune publiée jeudi dans Le Monde, le prédécesseur de Roselyne Bachelot estime que la journée de solidarité, instituée par Jean-Pierre Raffarin après la canicule meurtrière d’août 2003, ne suffit pas pour atteindre ses objectifs. Et pour cause, selon les derniers chiffres connus, la journée de solidarité devait générer 2,24 milliards de recettes en 2009. Bien loin des quelque 19 milliards que représente chaque année la prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées.

Le projet de loi sur le financement de la dépendance doit être finalisé à la rentrée. Ce sera l’un des gros chantiers de l’automne : Trouver les milliards nécessaires pour prendre en charge les personnes du quatrième âge qui perdent leur autonomie, sachant que d’ici à 2050 le nombre des personnes de plus de 85 ans sera multiplié par quatre.

Outre la mise en place d’une deuxième journée de solidarité, « qu’il faut avoir le courage de proposer », Philippe Bas souhaite un meilleur redéploiement de crédits de l’assurance-maladie en faveur des personnes dépendantes.

Arguant encore qu’ »il vaut mieux financer la solidarité par le travail, qui enrichit la France, que par l’impôt, qui l’appauvrit », il se garde toutefois bien de pointer du doigt les artisans, les commerçants, les agriculteurs et les professionnels libéraux qui n’ont jusqu’à présent pas été soumis à la journée de solidarité. « Les syndicats conservateurs oublient qu’ils travaillent déjà plus de cinquante heures par semaine », écrit-il, préférant que cette seconde journée de solidarité soit l’œuvre de « la moitié des salariés français », ceux qui vivent « au pays des trente-cinq heures ».

Le principe actuel de la Journée de solidarité

Comment fonctionne la Journée de solidarité ?

La Journée de solidarité prend la forme d’une journée de travail supplémentaire, non rémunérée, pour tous les salariés. La loi l’a fixée en 2004 au lundi de Pentecôte, mais depuis 2008, les règles se sont assouplies pour répondre aux besoins spécifiques des entreprises et des salariés après de nombreux cafouillages. Selon l’accord collectif défini dans l’entreprise, le salarié peut ainsi effectuer sa journée de solidarité soit un jour férié normalement chômé, hormis le 1er mai, soit un jour de RTT. Il peut également la fractionner en sept heures de travail supplémentaire par an.

Qu’est-ce qu’elle rapporte ?

L’intégralité du profit de ce jour travaillé est reversée par les employeurs à la CNSA (Caisse nationale solidarité autonomie) sous forme de « contribution solidarité autonomie ». On estime que cette journée a permis de collecter 11 milliards d’euros depuis 2004. L’an dernier, elle a ainsi rapporté 2,29 milliards d’euros. 60 % de cette somme est affectée aux personnes âgées. Une part qui alimente à la fois l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), distribuée par les conseils généraux au bénéfice des personnes âgées, et les établissements et services médico-sociaux. Les 40 % restants sont destinés aux personnes handicapées.

Source: La Croix

La Tribune de Philippe Bas dans Le Monde du 6 août: Avoir le courage du (cinquième) risque

Parmi les engagements du candidat Nicolas Sarkozy figure la couverture du « cinquième risque », c’est-à-dire le risque dépendance. C’est un engagement qu’il a eu raison de prendre ! Il faut maintenant le tenir.

Comment ?

D’abord en nous entendant sur l’objectif : il s’agit de financer par la solidarité la part croissante des dépenses aujourd’hui à la charge des personnes dépendantes et de leur famille.

L’expression « cinquième risque » peut induire en erreur. Il ne saurait être question d’ajouter aux quatre branches de la Sécurité sociale (maladie, accidents du travail, famille, retraite) une cinquième, qui serait la branche « dépendance ». Ce serait faire fausse route ! Nous ne partons pas de zéro. Il faut s’appuyer sur l’existant.

Et l’existant, ce n’est pas d’abord la Sécurité sociale, ce sont les départements et la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie. Ils assurent le financement de l’allocation personnalisée d’autonomie et de la prestation de compensation du handicap, ainsi que la prise en charge des dépenses des maisons de retraite et des maisons pour personnes handicapées qui ne sont pas laissées aux personnes dépendantes et à leur famille. Notre organisation est garante d’une réponse aux besoins de chaque personne par des services de proximité. Il ne s’agit pas de se priver de ce qui marche, mais d’innover pour remédier à ce qui ne va pas.

Et ce qui ne va pas, c’est que la part laissée aux personnes et à leur famille ne cesse de croître. En effet, les établissements ont beaucoup investi pour se mettre aux normes et augmenter le nombre de places disponibles ; ils devront d’ailleurs continuer à le faire. Les conséquences sur les budgets ne se sont pas fait attendre.

Malgré un effort sans précédent des pouvoirs publics grâce à la Journée de solidarité, les prix de journée des établissements n’ont cessé d’augmenter pour pouvoir rembourser les emprunts. Dans les maisons de retraite, le prix de journée moyen avoisine désormais 1 800 euros par mois, contre 1 500 en 2004. Avec une retraite moyenne de 1 200 euros, les personnes âgées ne peuvent suivre sans que toutes leurs économies y passent. Beaucoup sont contraintes de faire appel à leurs enfants ou à l’aide sociale. Certaines le ressentent comme une insupportable humiliation après une longue vie de labeur. Le devoir de notre société n’est pas seulement de dispenser les soins et l’accompagnement auxquels elles ont droit. C’est de leur épargner cette ultime souffrance morale du grand âge, parfois aussi douloureuse que la dépendance elle-même.

Quand il s’agit du gîte et du couvert, il est normal que chacun paie comme s’il était chez lui. Mais quand il s’agit de l’assistance et des conditions d’hébergement liées à la dépendance, la solidarité doit jouer. Il faut créer au plus vite un « chèque dépendance » pour combler le fossé creusé entre la pension de la personne dépendante et le coût de son accueil.

Gardons-nous bien de le faire en augmentant les prélèvements obligatoires, dont notre pays détient déjà le triste record ! Cela se traduirait par plus de chômage et moins de pouvoir d’achat. Ce serait irresponsable.

Il y a deux autres moyens de réunir les financements nécessaires. L’un et l’autre ont démontré leur efficacité.

Tout d’abord, le redéploiement de crédits de l’assurance-maladie en faveur des personnes dépendantes : depuis 2005, ce sont près de 4 milliards d’euros supplémentaires qui ont ainsi alimenté les fonds médico-sociaux de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, que je suis fier d’avoir mis en place. Gageons que la création des agences régionales de santé et les nécessaires restructurations du système hospitalier qu’elles ne manqueront pas d’impulser permettront d’amplifier encore cet effort. Il faut mettre l’argent de l’assurance-maladie là où sont les nouveaux besoins.

Ensuite, la création d’une deuxième Journée de solidarité, qu’il faut avoir le courage de proposer. Au pays des trente-cinq heures, dont bénéficient aujourd’hui plus de la moitié des salariés français, il vaut mieux financer le progrès de la solidarité par le travail, qui enrichit la France, que par l’impôt, qui l’appauvrit. Nous ne manquons pas de vacances et de RTT. Saurons-nous surmonter nos égoïsmes pour donner à nos anciens et aux personnes handicapées un peu de ce temps libre dont nous disposons à profusion ?

J’entends d’ici le déchaînement des protestations qu’une telle proposition, pourtant raisonnable, ne manquera pas de déclencher. Les défenseurs des acquis sociaux ne craindront pas de se mobiliser contre le progrès social et la solidarité. Les responsables politiques les plus frileux justifieront leur immobilisme par la crainte électorale. Les syndicats conservateurs dénonceront le fait que les artisans, les commerçants, les agriculteurs et les professionnels libéraux ne sont pas soumis à la journée de travail supplémentaire, oubliant qu’ils travaillent déjà plus de cinquante heures par semaine.

Et pourtant, malgré l’emprise du politiquement correct, malgré les critiques véhiculées pa
r de nombreux médias, j’ai assumé haut et fort la Journée de solidarité dans toute la France, à chacun de mes déplacements ministériels. J’en ai en effet montré la contrepartie positive : à chaque fois, il s’agissait d’ouvrir des places pour enfants autistes, de créer des services d’accueil pour malades d’Alzheimer, de rénover de fond en comble des maisons de retraite vétustes. Rien de tout cela n’aurait été possible sans la Journée de solidarité. Partout, les critiques se faisaient discrètes devant les réalisations constatées. N’ayons donc pas peur !

D’aucuns préfèrent sans le dire l’augmentation de la CSG ou la création d’une TVA sociale, qui auraient le mérite de renflouer aussi les caisses de la Sécurité sociale. Force est de constater que le sujet est devenu tabou.

Je préfère pour ma part ouvrir le débat car, si nous ne surmontons pas les crispations qui surgissent à chaque fois qu’il est question du financement de la solidarité, nous pouvons être certains que jamais le cinquième risque ne verra le jour. Il n’y a pas d’autre raison au retard pris par ce grand projet présidentiel, dont la réalisation est plus que jamais urgente.

Source: Le Monde

L’interview de Philippe Bas au journal La Croix

La Croix : En 2004, vous avez été l’artisan de la première journée de solidarité. Aujourd’hui, vous jetez un pavé dans la mare en proposant d’en créer une deuxième. Pourquoi ?

Philippe Bas : De nombreuses personnes âgées engloutissent toutes leurs pensions et leurs économies dans le paiement de journées en maisons de retraite. Du coup, elles sont contraintes de faire appel à leur famille, pour subsister, et si ça ne suffit pas, à l’aide sociale. Il y a aussi toute une génération, celle des personnes de 60 ans, qui doit aider ses grands enfants à entrer dans la vie active dans un contexte difficile, et supporter en même temps la prise en charge de ses parents âgés. On peut s’accommoder de cette situation et laisser le problème peser sur les épaules des individus. Ou on peut estimer que la solidarité doit jouer. En ce cas, il faut réfléchir aux moyens de financement. Moi je dis qu’on ne peut pas passer à côté d’une deuxième journée de solidarité.

L’allocation personnalisée d’autonomie a précisément été mise en place pour faire face à la dépendance. Ça ne suffit pas ?

Aujourd’hui, nous avons un système complexe et inachevé. Environ 15 % du financement d’une place en maison de retraite est pris en charge par le département au titre de cette allocation personnalisée d’autonomie (APA), et 1/3 est pris en charge par l’assurance-maladie au titre des soins de santé. Plus de 50 % de la somme reste à la charge des familles. Sachant qu’en moyenne ce type de placement coûte 1 800 € par mois et que les personnes âgées perçoivent une pension de 1 200 €. Par ailleurs, ce coût ne cesse d’augmenter. Les maisons de retraite ont dû peu à peu se mettre aux normes, construire, investir massivement… Résultat, les établissements sont forcés de faire monter leurs prix pour pouvoir rembourser leurs emprunts. Enfin, les personnes âgées sont quant à elles de plus en plus dépendantes. Tout concourt donc à ce que la charge des familles devienne de plus en plus lourde.

Dans un contexte délicat, une nouvelle journée de solidarité représente un effort supplémentaire pour les Français. N’y a-t-il pas d’autres choix possibles ?

Certes, il y a d’autres choix possibles : le déficit ou l’impôt. À ce moment-là, on décide de faire payer les générations à venir ou d’augmenter les prélèvements obligatoires. En période de crise, ce sont là des options lourdes de risques pour le pouvoir d’achat et pour l’emploi. Avec la journée de solidarité, il faut savoir qu’on ne prélève pas un centime sur le pouvoir d’achat des Français. Celle-ci aura pour effet d’augmenter la richesse nationale, et c’est l’effort le plus justifié. Aujourd’hui, l’effort existe, mais il est lourd, injuste et mal réparti. Si la personne a un gros revenu, elle peut se couvrir et jouir de réductions d’impôts importantes ; si elle a un petit revenu, elle peut faire appel à l’aide sociale. Mais si elle est dans la classe intermédiaire, elle ne peut aller ni dans un sens, ni dans l’autre. Aujourd’hui, les victimes du système, ce sont les classes moyennes.

Mais cette idée, on l’a vu lors de la création de la première journée de solidarité, soulève de fortes résistances…

Si l’on n’en parle pas, on n’avancera pas. Aujourd’hui, il y a un point de blocage sur le cinquième risque qu’il nous faut dépasser. Ce qu’il faudrait, ce sont des états généraux de la dépendance : organiser un vaste débat, avec des jurys citoyens, où les questions seraient creusées sous tous leurs aspects. Car si nous en restons au système actuel, nous allons provoquer des conflits familiaux et de terribles souffrances morales chez les personnes âgées.

Source: La Croix (propos recueillis par Maryline Chaumont)

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