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Dominique de Villepin au Parisien: "Le grand emprunt peut être un piège"

Les résultats des réformes engagées par Nicolas Sarkozy « ne sont pas au rendez-vous », pour Dominique de Villepin qui avertit dans un entretien publié dimanche par « Le Parisien/Aujourd’hui en France » que le grand emprunt annoncé par le président peut se révéler « un piège ».

Pour Dominique de Villepin, « il y a aujourd’hui un décalage manifeste, que chaque Français peut ressentir, entre un affichage d’hyper-réforme et la réalité des choses vécues par les Français ». Et « les Français pourraient devenir allergiques à l’idée même de réforme si elle était perçue comme un simple refrain politicien », craint-il.

Ancien Premier ministre de Jacques Chirac, Dominique de Villepin a désormais son propre mouvement politique, le Club Villepin. Vous pouvez adhérer en cliquant ici.

Le Parisien: La loi sur le travail du dimanche vient d’être adoptée de justesse au Sénat. Comment jugez-vous la politique de réformes de Nicolas Sarkozy ?

Dominique de Villepin: C’est le problème de la bouteille à moitié vide ou à moitié pleine.

Certes, il convient de saluer un certain nombre d’initiatives : la fusion ANPE-Unedic ou le RSA. Mais encore faut-il que ces réformes aboutissent. Or, soit parce qu’elles sont faites à contretemps (heures supplémentaires), ou qu’il s’agit de demi-réformes (travail le dimanche, formation professionnelle, ANPE-Unedic), ou encore de réformes à un coût exorbitant (régimes spéciaux), les résultats ne sont pas au rendez-vous. Il y a aujourd’hui un décalage manifeste, que chaque Français peut ressentir, entre un affichage d’hyper-réforme et la réalité des choses vécue par les Français.

Tout cela n’est-il, selon vous, que de l’affichage ?

La réforme doit être appréciée et jugée au cas par cas. Il faut ainsi se demander si Hadopi, avec les exigences posées par le Conseil constitutionnel, sera réellement applicable compte tenu de l’encombrement des tribunaux. Quant à la loi sur le travail dominical, se traduira-t-elle réellement par un progrès pour les Français et qu’en sera-t-il des contreparties financières ?

Donc, trop de réformes tuent la réforme…

Oui. Les Français pourraient devenir allergiques à l’idée même de réforme si elle était perçue comme un simple refrain politicien. L’objectif doit être de rassembler et de servir les Français avec des résultats visibles.

Les conflits sociaux se radicalisent, les licenciés de New Fabris menaçant même de faire sauter leur usine avec des bonbonnes de gaz. Est-ce le climat prérévolutionnaire que vous avez évoqué ?

Il y a une exaspération, une colère, et rien ne sert de le nier. Le risque est double : d’abord des bouffées de violence non canalisée, qui échappent aux syndicats. Et un risque de désintégration sociale, de perte de repères. Quand j’évoque un climat prérévolutionnaire, je ne parle pas d’une révolution politique, mais d’initiatives qui peuvent prendre des formes diverses, des mouvements de désespoir. Cela nous impose beaucoup de vigilance, mais aussi une forte mobilisation.

Se mobiliser de quelle manière ?

Il faut trouver des réponses locales, nationales et globales. Or, je suis très inquiet quand je vois réapparaître les comportements d’hier, d’avant la crise financière. Alors qu’il va y avoir une nouvelle réunion du G 20, nous n’avançons pas assez vite dans la régulation financière et Londres semble même faire machine arrière. Il y a le risque de voir les choses repartir comme avant, avec l’exaspération qui peut en résulter. C’est pourquoi je ne cesse de poser une exigence de justice sociale. Je plaide pour des réponses fortes, comme le gel du bouclier fiscal ou une contribution plus importante de la tranche la plus élevée de l’impôt sur le revenu.

Mais Sarkozy a agi contre la crise. Est-ce de la simple agitation ?

L’action au jour le jour ne suffit pas. Il faut s’inscrire collectivement dans la durée. Pour cela, chacun doit être à sa place dans une juste répartition des rôles entre le président, le gouvernement et le Parlement, notamment. Il faut une volonté forte, une coordination et un suivi au quotidien. Les Français ont besoin d’être convaincus que l’action s’appuie sur une véritable vision.

Que faire alors ?

Il faut agir à tous les niveaux. Prenons la mesure de la crise et de la nécessité du changement. J’entends des responsables américains s’inquiéter que les choses puissent repartir comme avant, j’ai entendu M m e Lagarde s’en indigner. Nous devons nous organiser pour plus de gouvernance au niveau européen, en matière d’harmonisation sociale et fiscale, par exemple, comme au niveau mondial, au plan de l’environnement ou de la régulation financière.

Le grand emprunt n’est-il pas une réponse à ces besoins ?

Les nominations de Michel Rocard et d’Alain Juppé sont une garantie de sérieux. Mais le grand emprunt n’est pas un remède miracle ! Cela peut même être un piège. Il faut d’abord être sûr que l’argent sera bien dépensé. Et puis cet emprunt risque d’envoyer un mauvais message à ceux qui ont entre leurs mains les cordons de la bourse. On dit qu’il y a de l’argent sur la table, autrement dit, dépensez ! C’est comme mettre une nouvelle bouteille sur la table d’un alcoolique. Or, nous sommes dans une situation extrêmement détériorée, avec une dette publique dépassant 80 % du PIB, des déficits publics de 7,5 %.

Henri Guaino, le conseiller de Sarkozy, assure qu’il y a de bons et de mauvais déficits…

Quand on a atteint un certain seuil d’obésité, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise graisse. Il y a un risque pour la santé de notre pays et pour la reprise. Aujourd’hui, nous perdons du temps. Peut-être à cause des résultats en trompe-l’oeil des européennes.

Les élections européennes n’ont-elles pas été un succès pour l’UMP ?

Un succès trompeur hélas : avec la force de l’abstention, il serait erroné de penser que les Français ont donné un satisfecit à la politique menée. Clarifions notre stratégie au lieu de prolonger à l’infini les débats sur les priorités. Nous devons ouvrir pour les trois dernières années du quinquennat les chantiers majeurs : l’emploi, l’innovation et la lutte contre les déficits.

La commission Rocard-Juppé ne rogne-t-elle pas sur les prérogatives du Premier ministre ?

On peut faire confiance aux deux anciens Premiers ministres, mais attention à la multiplication des missions et des commissions qui peuvent créer la confusion et la dilution des responsabilités au sein de l’Etat.

On dit que Sarkozy a changé…

Les prochains mois nous le diront. Un homme d’Etat doit savoir changer, se métamorphoser pour prendre la mesure de situations et responsabilités différentes. Plus que jamais, on attend du président de la République qu’il soit au-dessus des partis, rassembleur et défenseur de l’intérêt général : le guide, l’arbitre et le garant.

Vous affronterez le procès Clearstream en septembre. Craignez-vous toujours un procès politique ?

J’attends cette échéance avec impatience. J’attends que la justice aille jusqu’au bout et que l’on sorte des rumeurs et des mensonges.

Vous venez de créer un club politique. La prochaine étape, c’est une candidature aux régionales avant la présidentielle en 2012 ?

Je me prononcerai le moment venu. Mais je veux dès maintenant rassembler autour de moi des sensibilités et des opinions très diverses qui ont en commun une même exigence pour la France. Le Club Villepin, créé à l’initiative de l’ancienne ministre Brigitte Girardin, répond à un devoir d’engagement. Il veut œuvrer à la défense de nos valeurs républicaines et de nos institutions dans un esprit de justice sociale, avec le souci d’encourager le rayonnement de notre pays et son indépendance.

Mais, pour vous, la vraie échéance reste 2012…

C’est l’échéance centrale de notre vie politique. Les Français ont besoin d’alternatives.

Comment jugez-vous la crise au PS ?

C’est à la fois une crise du leadership et des idées au sein de la gauche. Le PS bute sur des sujets de fond : quelles réponses sur la sécurité, sur un nouveau modèle de solidarité, sur l’identité française. Ma
is je ne me réjouis pas des difficultés des socialistes. On ne construit pas une politique avec le vide autour de soi. Nous avons besoin d’une opposition forte.

Sources: Le Parisien (propos recueillis par Didier Micoine et Henri Vernet) et Asssociated Press

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