Dominique de Villepin a été le premier homme politique à appeler lundi à « un sursaut » à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) où le Front national est arrivé largement en tête du 1er tour de l’élection municipale dimanche dernier.
« Ce qui se passe à Hénin-Beaumont, c’est d’abord la sanction d’une politique qui n’a pas fonctionné. Manifestement, les partis traditionnels n’ont pas été à la hauteur de la situation, ils se sont divisés, ils n’ont pas convaincu les habitants », a-t-il estimé lundi matin sur France 2. « Il faut un sursaut, il faut faire en sorte que ce qui n’est à l’évidence pas une solution -la victoire du Front national- puisse être contré par la mobilisation de l’ensemble de la population », a-t-il dit.
Contre l’extrémisme, relisons le discours prononcé à Villepinte par Jacques Chirac, à quelques jours du second tour des élections présidentielles de 2002 où il affrontait Jean-Marie Le Pen.
Discours de M. Jacques CHIRAC à Villepinte
Villepinte, Seine-Saint-Denis, le jeudi 2 mai 2002
Mes chers amis,
Merci pour votre présence, merci pour votre enthousiasme, merci pour votre engagement. Merci d’avoir répondu à mon appel. Je suis heureux de vous retrouver ardents et passionnés pour cette dernière réunion publique de la campagne présidentielle.
Nous partageons une même exigence démocratique, une même conception de l’homme, de sa dignité et de ses droits. Nous voulons ensemble une France qui retrouve son l’élan, son dynamisme, l’envie d’être une grande nation.
Je viens à votre rencontre porteur d’un message d’espoir et de confiance. Un message de volonté aussi, volonté d’action et de renouveau.
On s’interrogeait sur la vigueur de notre idéal démocratique.
Comme on avait tort ! Une fois de plus, le peuple français, face à l’épreuve, répond présent au rendez-vous de l’histoire. Il témoigne aujourd’hui de son attachement à la démocratie. Il se retrouve, fidèle à lui-même, pour dire à l’Europe et au monde qu’il est toujours le même peuple, le peuple des droits de l’homme et du citoyen, la grande Nation de 1789, la France libre du Général de Gaulle, cette France éternelle qui, dans l’épreuve, retrouve toujours son unité et le sens de son destin.
Voici que de toutes parts, en métropole comme outre-mer, parce que soudain chacun réalise, et notamment les jeunes, que la démocratie est en question, qu’elle doit être défendue, la passion des libertés, la passion de la République, si profondément enracinées dans le coeur de chaque Français, s’affirment avec toute leur force.
Mes chers amis, cet élan démocratique ne restera pas sans lendemain. Il nous oblige tous. Et il oblige d’abord les responsables politiques à se montrer à la hauteur des exigences d’un grand peuple.
Mon espoir, ma confiance, ma détermination, viennent de cette formidable capacité de rassemblement de la Nation autour de l’essentiel. Les temps nouveaux de l’action approchent. Et l’action réussira si elle est soutenue, portée, stimulée par la volonté, le courage, la générosité des Français. L’action réussira si elle est conduite avec conviction et fermeté.
Mon espoir, ma confiance, ma détermination, viennent aussi du chemin qui s’ouvre à nous. Parmi les principales difficultés que nous traversons, je n’en vois aucune qui puisse durablement résister à une action claire, forte et déterminée, dès lors qu’elle serait puissamment appuyée par les Françaises et les Français.
Aujourd’hui, c’est vrai, la Nation est troublée. Troublée dans sa sécurité. Jamais dans l’histoire un peuple n’a pu construire de grandes choses en vivant dans la crainte. Et pourtant, le chemin n’est pas si long pour rétablir le respect des règles et l’harmonie de la vie en société. Si chacun, à commencer par l’Etat, assume les exigences de l’autorité, vous verrez que la violence cédera, que la peur qui empêche de se projeter vers l’avenir reculera, que la tranquillité publique sera reconquise.
La Nation est aussi troublée dans ses solidarités et sa cohésion. Parce que l’avenir des retraites n’est pas assuré. Parce que le monde de la santé est en crise. Parce que beaucoup de Français ont le sentiment de ne pas être suffisamment soutenus, de cumuler les charges du présent et les risques de l’avenir. Et plus encore parce que, depuis près d’un an, le chômage est hélas ! reparti à la hausse. Et pourtant, nous sommes forts d’un modèle qui a fait ses preuves, un modèle qui allie depuis longtemps le développement économique et le progrès social. Un modèle qui conjugue initiative et protection. Il est temps, grand temps, de rétablir son dynamisme et son efficacité.
Notre Nation est également troublée dans ses projets, ses ambitions, sa capacité à cueillir les promesses du nouveau siècle. Aujourd’hui, la France tourne au ralenti. Le travail n’a plus la place qui lui revient. Il n’est plus suffisamment encouragé ni récompensé. Nos énergies sont prisonnières. Notre fiscalité est parmi les plus élevées d’Europe. Notre bureaucratie entrave nos forces vives. Et pourtant, la France est travailleuse, active, ardente à la tâche. La France est riche de ses capacités d’initiative, de sa volonté de créer, d’entreprendre, d’innover. Elle ne demande qu’à aller de l’avant. Elle n’attend qu’un signal.
Ce signal, c’est à vous, dimanche, de le donner !
Contre l’indifférence. Contre le scepticisme. Contre le désenchantement, l’inaction et l’impuissance publique.
Pour redonner tout son sens à notre vie démocratique. Pour placer l’action au coeur du pacte républicain. Pour remettre l’Etat au service de chaque Français.
Dimanche prochain, l’avenir de la France vous appartient.
Beaucoup de nos compatriotes ont dit leur désarroi face à un monde incertain, dont ils ont l’impression d’avoir perdu les clés. Ils ont dit leur sentiment d’être le jouet de forces qui les dépassent et que personne ne maîtrise. Leur volonté que revienne l’ordre républicain sur l’ensemble de notre territoire. Leur aspiration, très forte, à davantage de considération. Leur sentiment d’être trop souvent laissés seuls pour affronter les difficultés de la vie. Leur besoin de repères, de références dans un monde de plus en plus globalisé et de plus en plus instable. Leur distance à l’égard du système politique traditionnel. Leur exigence d’action et de résultat. Mais aussi le désir de voir la France retrouver une ambition digne de son histoire.
La réponse à ces inquiétudes, à ces attentes, ce ne sont pas des solutions simplistes et des slogans démagogiques qui l’apporteront.
La réponse, ce n’est pas l’extrémisme.
L’extrémisme dégrade et salit l’image et même l’honneur de la France.
Aux heures sombres, les dirigeants de l’extrême-droite ont trahi le peuple français en s’alliant aux forces du mal et aux ennemis de la patrie. Aux jours de danger pour la République, ils appelaient à abattre le Général de Gaulle. Ces dirigeants assument aujourd’hui sans fard, et parfois avec arrogance, un passé de honte, de lâcheté, de compromission et de trahison. L’histoire les a définitivement disqualifiés pour parler au nom de la France.
Nous ne pouvons pas jouer avec ce que notre pays représente pour tant de peuples humiliés, privés de liberté, privés d’expression démocratique. Nous n’avons pas le droit de brouiller le message de la France, d’ébranler son influence et son crédit, d’affaiblir la force de sa voix quand elle défend la tolérance, le respect de l’autre, la solidarité internationale.
L’extrême-droite divise, trie et rejette. Elle veut introduire l’inégalité et la discrimination au coeur de la Constitution. Elle est un moteur d’exclusion, de discorde et de violence sociale. Elle refuse de voir la France comme un tout, de mettre en valeur toutes ses richesses et sa diversité, de faire jouer toutes ses solidarités.
Je veux une France unie. Une France où les différences s’additionnent au lieu de se combattre. Une France qui réapprenne à faire vivre ensemble des femmes et des hommes de toutes origines.
Je sais que ce n’est pas toujours le cas aujourd’hui.
La solution n’est évidemment pas dans la tentation communautariste, qui dresse les Français les uns contre les autres. Elle n’est pas dans le repli identitaire, qui place l’appartenance à un groupe social, à une catégorie, à une religion, avant la conscience et la fierté d’être français.
Mais elle n’est pas non plus dans le rejet de l’autre que préconise une extrême-droite qui veut rendre impossible
toute forme d’intégration.
Rien ne serait plus contraire à notre histoire et à nos principes républicains, rien ne serait plus dangereux pour l’avenir, que de ne pas donner aux étrangers présents sur notre sol, en situation régulière, respectueux de nos lois, les moyens de s’intégrer dans notre pays. Que de refuser à leurs enfants l’égalité des chances. Exclure l’intégration, créer la précarité, ce serait fermer l’horizon, ce serait nourrir le désespoir, ce serait enclencher des mécaniques de discorde, de violence et d’affrontement, et ce serait même déchirer notre tissu national en opposant entre eux les Français de toutes origines.
La solution, elle est dans l’affirmation de nos valeurs. Elle est dans la rénovation de notre modèle d’intégration. Elle est dans le respect des droits mais aussi des devoirs de chacun. Elle est dans l’application ferme de nos lois, notamment contre l’immigration clandestine et les trafics inhumains auxquels elle donne lieu. Elle est dans la mise en place d’un véritable contrôle de l’immigration aux frontières de l’Europe. Elle est dans la coopération avec les pays pauvres, dans une aide plus efficace à leur développement.
L’intolérance peut nourrir des formules à l’emporte-pièce, pas une politique. Elle ne saurait assurer l’avenir d’un pays.
L’extrémisme ne propose pas d’explication ni de solutions. Il veut tromper. La mise en oeuvre de ses idées serait ruineuse pour notre économie. Son programme est un programme d’appauvrissement des Français : les salariés, les PME et les agriculteurs à cause de la sortie de l’Europe ; les retraités mais aussi les demandeurs d’emploi, à cause de la diminution brutale et drastique des prélèvements qui financent leurs revenus. Son programme est aussi un programme de dépérissement des services publics, l’éducation nationale, l’hôpital, la police, la gendarmerie, promis à une baisse radicale de la dépense publique.
Comment peut-on prétendre veiller aux intérêts de la France et des Français et vouloir quitter l’Union européenne ?
L’Europe, c’est l’emploi. Plus des deux tiers de nos exportations vont vers elle. Le travail d’un Français sur quatre dépend d’elle. Quitter l’Union européenne, ce serait détruire des millions d’emplois. Ce serait briser la dynamique de notre économie. Ce serait porter une atteinte irréparable au revenu de nos agriculteurs. N’oublions pas les bienfaits de la politique agricole commune, sur laquelle s’est bâtie la capacité exportatrice de notre industrie agro-alimentaire qui est aujourd’hui au premier rang dans le monde.
Grâce à l’euro, nous vendons plus facilement nos produits et nos services à l’extérieur. Nous évitons la concurrence déloyale que créaient les dévaluations étrangères. Nous bénéficions d’une monnaie stable et de taux d’intérêt bas. Renoncer à l’euro, ce ne serait pas retrouver la souveraineté, mais renouer avec la faiblesse, avec la dépendance, avec l’inflation, avec l’instabilité monétaire, qui ont été notre mal pendant plusieurs décennies.
L’Europe est une force pour la France. Elle accroît notre protection dans tous les domaines. Elle accroît nos marges de manoeuvre. Elle nous ouvre des débouchés.
L’Europe, c’est la paix. Grâce à elle, notre continent a définitivement rompu avec les luttes fratricides qui ont ruiné et endeuillé notre pays dans la première moitié de XXème siècle. Tous ceux qui ont vécu ces déchirements, ces tragédies, connaissent le prix de la paix.
Tous les enjeux du monde moderne nous ramènent vers l’Europe. La mondialisation, qui nous impose de nous regrouper car c’est le seul moyen d’être forts face aux autres grandes puissances économiques. L’environnement, qui nécessite une action collective, car la pollution ne s’arrête pas aux frontières. La sécurité alimentaire, qui implique la mise en place de standards communs. La lutte contre le terrorisme et les grands trafics internationaux. La maîtrise de l’immigration clandestine. La gestion de l’énergie. Le développement de la recherche. La création des grandes infrastructures et des grands projets, Ariane, Airbus, Galileo. Partout, les solutions relèvent d’une politique aux dimensions de notre continent.
Refuser l’Europe, c’est jouer contre la France.
Voilà pourquoi nous devons rejeter l’extrémisme. Au nom de l’image et de l’honneur de la France. Au nom de l’unité de notre nation, au nom des intérêts de chaque Français, à commencer par les plus inquiets et les plus vulnérables. Au nom de l’avenir de la France.
Source: Archives de l’Elysée