Une Europe de la protection doit également émerger à travers la constitution de véritables services publics européens, une convergence des politiques sociales et la recherche de minima sociaux.
Le défi de cette Europe refondée est à l’horizon du monde. L’Europe-puissance peut être le fer de lance de la multipolarité. Son absence ouvre la voie à la « Chimérique », un duopole économique sino-américain où l’atelier du monde hyper-épargnant s’accorderait avec le consommateur hyper-endetté d’outre-Atlantique. Son silence encourage aussi les logiques de blocs, comme avec la Russie qui restaure son ancienne zone d’influence.
Dans ce monde dangereux, un pôle de puissance européen capable d’organiser un vaste espace de sécurité, de prospérité et de stabilité réunissant près d’un milliard de personnes s’avère indispensable avec l’émergence de l’Inde et de la Chine.
Sans pour autant préjuger de l’issue des négociations d’adhésion, la Turquie aurait vocation à rejoindre, ainsi que la Russie et les pays du Maghreb, cette alliance paneuropéenne élargie où les bénéfices des politiques communes pourraient être partagés sans conduire à l’intégration politique, réservée au noyau dur que resterait l’Union.
L’Union pour la Méditerranée exprime, en dépit des blocages actuels, notre responsabilité particulière envers le Sud. Son approfondissement sera crucial pour la gestion des flux migratoires, la maîtrise du risque terroriste et l’approvisionnement énergétique. L’histoire ne sera écrite en grand que par le partage de la paix et le dialogue des cultures. Avec la Russie, nous avons en commun un passé conjuguant le rêve de l’universel et le deuil des empires. Persister à lui tourner le dos revient à la précipiter vers ses démons nationalistes et la reconstitution d’un bloc rival à l’Est.
Pour devenir enfin une réalité, l’Europe ne peut se replier sur son aire. Elle a vocation à contribuer au règlement des crises comme médiatrice et comme actrice d’une nouvelle gouvernance mondiale. Elle peut promouvoir la stabilité financière, en assignant un rôle accru à l’euro face à la prééminence du dollar.
Elle a une chance de contribuer davantage à la paix en préservant son indépendance et en s’appuyant sur son exemplarité pour conjurer les logiques de force. Saisissant l’occasion historique de l’élection de Barack Obama, l’Europe doit conserver sa relation profonde avec les Etats-Unis, en valorisant les complémentarités d’action pour prévenir toute tentation unilatérale et en devenant une force de proposition sur les grands enjeux, le conflit israélo-palestinien, l’Afghanistan ou l’Iran.
Pour y parvenir, il faut inventer une sécurité européenne indépendante, grâce en particulier à un état-major autonome, une Agence de défense dédiée à des grands programmes européens et une force de projection rapide.
Elle serait légitime pour promouvoir l’équité d’une gouvernance mondiale refondée, par une réforme du Conseil de sécurité des Nations unies et par une promotion des organisations régionales. A l’heure où l’Europe hésite entre repli et fuite en avant, son défi consiste à renouer avec sa vocation pionnière. Antidote à la mondialisation subie, l’Europe choisie doit trouver un second souffle pour construire un nouveau demi-siècle de progrès et de paix.
Source: Seconde partie du Point de vue publié dans l’édition du Monde datée du 31 mai 2009